Chapitre 10 : une vérité jaillit des ombres

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Les drones scannaient la zone, prenant rapidement de l’altitude. Nous avions peu de chance de leur échapper et je n’avais aucune envie de finir en confiture de viande. Un simple échange de regard entre Tobias et moi suffit à nous synchroniser. L’un des robots flottant au-dessus de nos têtes nous tournait le dos. Nous visâmes et fîmes feu, toujours caché derrière les épaves. Je parvins à toucher l’hélice latérale droite et le drone perdit son équilibre en vol. Il chuta dans un mouvement de spirale et percuta le sol. Ses moteurs tournaient à pleine puissance. Mais il ne put que tourner sur lui-même comme une mouche privée d’une aile. Un de moins. Nous n’eûmes pas le temps de nous réjouir. Les deux engins restants braquèrent leur attention et leurs armes sur notre cachette et tirèrent. Nous courûmes et roulâmes jusqu’au couvert suivant : un muret de béton à moitié détruit.

– Je t’en foutrai, des renforts, grognai-je, accroupi derrière le petit rempart. Faut qu’on retrouve Jo et Chambers. On peut pas rester plantés là à servir de cible.

– Je sais, merci, coupa Tobias. Elle a prit la rue derrière toi. Vas-y, je te couvre.

– Ça va pas, non ? Tu t’en sortiras jamais face à deux drones de défense.

– Bouge ! On a un contrat à finir et Jo a besoin de toi.

J’étais face à un dilemme. Lequel de mes agents devais-je aider ? Qu’allait-il arriver à celui que je laisserais se débrouiller seul ? Le doute me figea sur place pendant plusieurs secondes. Je savais ce que nous risquions en restant affronter ces machines de mort. Mais, une petite partie de mon esprit, profondément enfouie des les noires abysses de mon subconscient, me susurrait que l’autre choix serait encore plus terrible et funeste. Je le sentais, quelqu’un allait mourir d’ici peu. Soudain, Tobias me poussa violemment en arrière.

– Tu bouges, oui ou merde ?!

Il ponctua son injonction de plusieurs tirs précis en direction des engins volants. Mon corps se décida tout seul et, penché en avant, je m’éloignai des drones et de mon meilleur agent. Une fois suffisamment à distance, je tentai de joindre mon assassine.

– Jo, tu m’entends ? Où es-tu ?

– *grésillements* ... Lothar ... Qu’es... vous foutez, tou... es deux ?

– Il y a des parasites, je t’entends mal. Dis-moi où tu es et si Chambers est avec toi.

– ...e suis su... es talons... *grésillements*... À envi... ent mètres du poin... épart, un gro...ans le mur d’un chantier ....donné.

– Répète, s’il te plaît. Je te capte très mal.

– Cinq-cent mètre de... maison, chantier ab...onné, trou dans... mur.

Je courus alors aussi vite que possible jusqu’à trouver le lieu indiqué. Je le vis enfin. Un pan de mur affaissé ouvrant sur un vieux chantier laissé à l’abandon. Mon front ruisselait de sueur. J’entrai à pas feutrés dans l’immeuble inachevé. Au bout de quelques mètres, les ténèbres m’enveloppèrent progressivement.

– Je suis entré, murmurai-je dans mon communicateur.

– Descends l’escalier en métal en face de toi, chuchota Joanna. Fais gaffe à la troisième marche. En-bas, tourne à gauche. Chambers cherche à se planquer dans les caves.

D’un pas souple et silencieux, je suivis ses instructions. Une fois arrivé au sous-sol, je constatai que certaines des lampes rouges de sécurité fonctionnaient encore. Au moins, je voyais où je mettais les pieds. Je pris à gauche et suivit un couloir donnant sur plusieurs embranchements. Enfin, je distinguai une ombre cachée derrière un mur, au niveau d’un autre tournant. C’était Joanna. En m’entendant arriver, elle m’indiqua l’entrée de la salle à sa gauche.

– Il est entré là-dedans, murmura-t-elle. Je crois que c’est un cul-de-sac.

– On y va. Mais, en douceur. N’oublie pas qu’il est armé.

– Où est Tobias ?

– Il joue avec des drones.

– Tu l’as laissé tout seul ?!

– C’est pas le moment. T’en fais pas pour lui. Allez, on entre.

Nous pénétrâmes, armes levées, dans une grande salle vide qui aurait probablement dû devenir un parking souterrain. Nous nous déplacions en nous réfugiant derrière les colonnes de béton érigées tous les dix mètres. Des bruits de pas précipités firent écho devant nous. Nous nous mîmes à courir dans leur direction. Nous nous rapprochions. Je pouvais entendre un souffle saccadé. Puis, les bruits de course cessèrent net. Une seconde de silence. Puis, deux nouveaux coups de feu. Joanna et moi eûmes tout juste le réflexe de nous abriter derrière la dernière colonne.

– Pas de mal ? demandai-je à voix basse.

– Non, ça va. Il peut pas viser juste dans ce noir.

– Sur un coup de malchance, on ne sait jamais.

Je pris un instant pour reprendre mon souffle et réfléchir. En passant légèrement la tête hors de la colonne, je pus voir que Chambers était là, arme levée, tremblant comme une feuille morte. Derrière lui, sur le sol, se trouvait une tache d’ombre totalement opaque qui semblait lui bloquer la route. Un fossé. Il devait mesurer au moins trois mètres de longueur. Quant à deviner sa profondeur, je préférai ne pas essayer. Il était coincé, acculé, terrifié et armé; donc, dangereux. Il fallait avant tout trouver le moyen de le raisonner.

– Monsieur Chambers, dis-je d’une voix forte, mais calme. Je vous en prie, essayez de vous calmer. Je vous jure que nous ne vous voulons aucun mal.

– Ah oui ? Pourquoi vous me poursuivez, alors ? Répondez!

– Je voudrais juste vous poser quelques questions au sujet de Nicole Barber. Je sais que vous la connaissez, inutile de nier. Accordez-moi juste quelques minutes et, ensuite, vous n’entendrez plus jamais parler de nous. Je vous donne ma parole.

Il hésita un moment, tentant de reprendre le contrôle de sa respiration.

– Sortez de votre planque. Mettez-vous face à moi, les mains en l’air. Mais gardez vos distances. Un seul pas de trop et je tire. Compris ?

Joanna me fit «non» avec les yeux. Je n’avais pas le choix. Il fallait que je lui donne satisfaction, sous peine d’avoir fait tout ça pour rien. Je me redressai, rengainai mon arme, levai les mains et me présentai face à lui.

– Là, vous voyez ? dis-je pour tenter de le rassurer. Je ne suis pas armé. Tout va bien.

– Posez vos questions et disparaissez! aboya-t-il, son pistolet toujours pointé sur moi.

Mon com-link grésilla.

– Je l’ai en joue. S’il tente quoi que ce soit, je l’abats, susurra Joanna dans mon oreille.

Je fis comme si de rien n’était et commençai mon interrogatoire sous tension.

– Très bien. Dans la nuit de lundi à mardi dernier, vous êtes descendu au White Aurora Hotel et vous y avez retrouvé Nicole Barber. Est-ce bien exact ?

– Oui. En quoi ça vous regarde ?

– Elle a disparu. Je suis à sa recherche. De ce que j’en sais, vous êtes la dernière personne à l’avoir vu avant sa disparition. Avez-vous une idée de ce qui a pu lui arriver ?

Il prit un instant pour réfléchir. Son bras se décrispa un peu. C’était bon signe.  

– Non ... non, aucune idée. Après qu’on ... Enfin, qu’elle ait quitté l’hôtel, j’ai payé pour la chambre, signé le registre et j’ai pris le dernier bus pour rentrer. S’il lui est arrivé quelque chose après, je n’y suis pour rien. Je vous le jure.

À cet instant, un bruit rebondit tout autour de nous. On aurait dit un pierre tombée sur le sol et dont l’écho se perpétuait en un râle angoissant.

– Qu’est-ce que c’était ? couina le comptable en pointant son flingue dans tous les sens.

– Sûrement des rats qui creusent dans les murs. Écoutez, si vous avez besoin d’aide ou de protection, je peux peut-être vous aider. Je suis ...

Je fis deux pas dans sa direction. Erreur fatale. Dans la panique, il recula par réflexe et glissa dans le fossé. Il tomba à la renverse en poussant un cri terrifié. Il tira un autre coup de feu par réflexe. La balle alla directement se loger dans le plafond. Je courus aussi vite que possible pour tenter de le rattraper. Trop tard. J’eus tout juste le temps d’apercevoir sa silhouette plonger dans les ténèbres. Son cri se prolongea pendant quelques secondes, suivi d’un bruit métallique sourd. Puis, le silence. Un silence de mort.

— Monsieur Chambers ?! criai-je dans l’abîme.

Aucune réponse. Le seul bruit que j’entendais étaient les pas de Joanna qui se rapprochaient lentement en rengainant son arme de poing. C’est alors que nos com-links grésillèrent à nouveau.

— *grésillements* ... êtes où ?

— Tob ? T’es entier ? répondit-elle immédiatement.

— *grésillements* ... us ou moins. ...e vous cherche...autres drones ins...tent la zone.

— Vas le chercher et ramène le ici, ordonnai-je. S’il y a encore des drones qui patrouillent, on va devoir se faire oublier pendant quelques heures.

Elle obéit sans hésiter et se précipita vers les escaliers. Me retrouvant seul dans le noir quasi-total, je tendis l’oreille et tentai de discerner quelque chose dans le fond du gouffre. Rien, à part les ténèbres et le silence. Ce fossé me donnait l’impression angoissante d’un passage vers le monde des morts et des oubliés. Une bouche moqueuse ouverte vers une dimension de terreur et de cauchemars.  Bien que je fisse de mon mieux pour garder la tête froide et rester rationnel, mon ouïe détectait quelque chose. On aurait dit des échos de murmures ou de respirations. Chambers était-il encore vivant ?

Cinq minutes plus tard, mes deux agents de terrains me rejoignirent. Tobias était blessé à l’épaule et saignait abondamment. Il était ruisselant de sueur et sa respiration difficile était réverbérées par les murs.

— Ces saloperies de robots l’ont touché, me dit Joanna sur un ton sec. T’aurais pas dû le laisser seul.

— Ça va, c’est superficiel, nous rassura Tobias. J’ai eu de la chance. L’os n’a pas été touché.

— N’empêche que tu pisses le sang, rétorqua l’assassine. Assieds-toi, il doit y avoir des bandages et des compresses dans ton sac.

— Parlez moins fort, ordonnai-je. Qu’est-ce qui s’est passé avec les drones, Tobias ?

— Un sacré coup de bol, répondit-il. Après que je t’ai dit de partir, j’ai couru pour qu’ils fixent leur attention sur moi. Depuis un autre couvert, j’ai réussi à shooter l’hélice d’un des deux drones restants. Il a percuté le troisième dans sa chute et j’ai fait d’une pierre, deux coups. Mais le dernier a eu le temps de me toucher avant de s’écraser. Après, j’ai entendu d’autres engins approcher et je me suis planqué. Ils continuent de fouiller le périmètre. Mais, j’ai réussi à me faufiler jusqu’ici grâce aux instructions de Joanna par com-link. Et sinon, Chambers est mort, il paraît ?

— Oui, confirmai-je. Il est tombé dans le fossé derrière moi.

— Fait chier, jura-t-il dans un grognement de douleur. Tout ça pour ça. C’était notre seule piste concrète.

— C’était un cul-de-sac depuis le début, rétorqua Joanna, occupée à lui faire son pansement du mieux qu’elle le pouvait dans cette pénombre. Chambers ne savait rien. Il a eu le temps de nous le dire avant sa chute. On se retrouve piste à exploiter.

Elle avait raison. Notre unique témoin potentiel s’était avéré n’être d’aucune aide. Par où chercher, à présent ?

Soudain, un nouveau murmure résonna depuis le fond du trou. Je n’avais pas rêvé, cette fois-ci. J’en était sûr car mes deux compagnons avaient aussi tourné la tête et fixé le fossé. Il y avait bel et bien quelque chose, là-dessous. Quelque chose de vivant.

— Tu as une lampe-torche dans ton sac ? demandai-je.

Joanna fouilla le sac, mais ne trouva aucune lampe.

— Ah merde, soupira Tobias. Je l’ai mise à recharger et j’ai oublié de la reprendre.

— J’ai trouvé un tube luminescent, mais c’est tout ce qu’on a, dit Joanna en sortant le cylindre de plastique.

— On fera avec. Donne, répondis-je.

Je saisis le tube et le pliai d’un coup sec. La réaction chimique s’enclencha et la lumière fut. Je le jetai dans le gouffre et le fond fut éclairé d’une lueur blanchâtre. Mes agents s’approchèrent prudemment et nous observâmes, accroupis. Nous vîmes Chambers, ou plutôt son cadavre. Il avait fait une chute d’environ dix mètres avant de s’empaler sur une tige d’acier qui dépassait d’un amas de débris. Du sang s’était écoulé de la plaie sur son torse et de sa bouche. Le malheureux avait rencontré une fin aussi brutale qu’inattendue.

C’est là que je les vis distinctement pour la première fois. Les orbes rouges. Elles brillaient dans le noir. Deux par deux, parfaitement rondes, s’amassant lentement autour du cadavre pas encore refroidi. La lumière fluorescente dévoila peu à peu des silhouettes rattachées à ces lucioles jumelles. Finalement, ces ombres inquiétantes se révélèrent à nos yeux. Des humains. Ils étaient voûtés, rachitiques, maigres. Leur peau grisâtre indiquait une vie entière passée loin du soleil. Leurs tenues ressemblaient à des haillons crasseux constitués de lambeaux de cuir et de tissus rapiécés. Certains portaient des sortes de plaques d’armures faites de ferraille rouillée sur le torse, les épaules ou les jambes. Quant à leur yeux, ce n’était pas des yeux. C’était des lentilles. Les lentilles des masques à gaz de fortune qu’ils portaient tous, sans exception. Des masques de cuir et de caoutchouc raccommodés et affublés d’un respirateur et d’une paire de lentilles rouges brillantes. Ces êtres à l’allure gollumesque se déplaçaient lentement, silencieusement, à l’aide leurs quatre membres. La lueur du tube semblait les faire hésiter. L’un d’entre eux, plus massif et, visiblement, plus téméraire, s’approcha du corps du comptable.

— Myas ! Myas ! Svezzie Myas ! murmura-t-il sur un ton qui ressemblait à de l’excitation.

Un frisson me parcourut l’échine. C’était donc ces mystérieux parias qui avaient bien failli attraper Freddy. Les autres s’approchaient avec plus de ferveur. Rapidement, ils encerclèrent le cadavre et entreprirent d’en extraire la barre d’acier.

— Je le crois pas. Des Charognards, murmura alors Tobias.

Joanna et moi le regardâmes d’un air interrogateur.

— Des quoi ? demandai-je.

— Des Charognards, répéta-t-il, toujours à voix basse. Je croyais qu’ils n’étaient qu’une légende urbaine. Un truc qu’on raconte aux gosses pour leur faire peur. J’aurais jamais cru qu’ils étaient réels. On raconte qu’ils vivent sous terre et qu’ils survivent en récupérant tout ce qu’ils peuvent.

Un bruit métallique ramena notre attention sur le macabre spectacle qui se déroulait sous nos pieds. Les Charognards avait réussi à libérer Chambers. Deux d’entre eux hissèrent le macchabée sur leurs épaules et la petite meute disparut dans les ombres. Le téméraire resta seul un instant et scruta les alentours. L’espace d’un instant, ses yeux se levèrent vers nous. Mes agents et moi eûmes tout juste le temps de reculer hors de sa vue. Puis, nous l’entendîmes s’éloigner à son tour. Les murmures et les bruits de pas s’estompèrent peu à peu et tout redevint silencieux. Abasourdi par ce que je venais de voir, je risquai une autre question dont je n’étais pas sûr de vouloir connaître la réponse.

— Quand tu dis « récupérer tout ce qu’ils peuvent », est-ce que ça inclut ... de la viande ?

Tobias hocha la tête.

— Dégueulasse ! commenta Joanna. Bon, si on s’éloignait un peu de ce trou ?

— Bonne idée, répondis-je en reculant doucement.

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