Chapitre 17 : hérésie de la nature et purge par la science

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Des dizaines de corps meurtris maculaient le sol. Les murs étaient repeints à la cervelle. Quelques survivants rampaient au sol, attendant que leurs hémorragies ne les emportent. Jamais la H.V.A n’avait offert une telle surcharge de travail à ce vieil Ankou. Mais il restait encore des Charognards vivants. Après leur première vague d’assaut, le massacre de leurs congénères les avaient quelque peu refroidit. Ce court répit nous permit de recharger et d’attaquer à nouveau. Pas de quartier. Un bon Charognard est un Charognard mort. Repassant au coup par coup, nous visâmes les individus restés en retrait, décimant leurs rangs avant leur prochaine attaque. Joanna rengaina son arme et fit jaillir ses lames. Elle rompit la formation, courra à toute allure vers les implorants autour de la cuve et entama une danse mortelle et sanglante. D’une série de mouvements qu’on eut dit chorégraphiés et répétés à l’avance, elle répandit la mort, perforant des poumons, transperçant des cœurs et des gorges. D’un mouvement circulaire et gracieux de ses poignards, elle éventra un pauvre bougre dont les intestins se répandirent au sol. Ne prenant même pas la peine de l’achever, elle fit une nouvelle pirouette et planta les deux tempes d’un autre malheureux d’un double coup parfaitement équilibré. Une prédatrice des ombres. Une araignée aussi agile que mortelle. Quand je pense qu’elle avait voulu me réserver le même sort lors de notre première rencontre. Elle essuya le sang sur sa visière du revers de sa manche. Je vis alors qu’elle souriait, exaltant dans ce qu’elle faisait de mieux. Le sang et l’adrénaline, tels étaient ses drogues.


Nos balles s’épuisaient. Heureusement, nos ennemis aussi. À vue de nez, je dirais que nous avions exterminé environ les trois quarts de leurs effectifs. Certains cherchaient à s’enfuir. Malheureusement pour eux, nous étions postés juste devant la seule issue – le passage surélevé par lequel nous étions entré. Les coups de feu de l’arme de Tobias firent place à de petits clics. Plus de munitions.


— Chier ! grogna-t-il.

Il lâcha son fusil d’assaut et alluma son lance-gel, paré à dissoudre quiconque s’approcherait.

— Ne le gaspille pas, ordonnai-je. Le Neskol’Tov va sûrement sortir d’un moment à l’autre. Concentre toi sur lui. On te couvre. Joanna, ne reste pas à découvert !


Celle-ci recula d’un pas souple, reprenant sa position initiale, entre Tobias et moi. C’est alors que, depuis le fond de la cuve, un râle inhumain se fit entendre. Enfin, il sortait de sa planque. J’allumai le lance-flamme. Joanna prépara ses bouteilles tandis qu Tobias pointait le haut du bassin. Un premier tentacule agrippa le rebord. Suivi de trois autres. La masse lépreuse s’extirpait lentement sous les hourras de ses fidèles survivants. Tous regardèrent alors dans notre direction, comme pour défier. « Vous allez faire quoi, maintenant ? » semblaient-ils penser. Tobias pressa la détente de son canon propulseur, arrosant généreusement la partie visible du Neskol’Tov. Il mugit. Ses pseudopodes se tortillèrent et fouettèrent l’air. Il souffrait, ça se voyait. Bonne nouvelle. Alarmés par les grognements de douleur, quelques fanatiques restant tentèrent de nous arrêter. Je fis alors cracher le feu à mon arme, balayant l’arc devant moi dans un mouvement de droite à gauche. Le feu dévora mes cibles. Hurlant et courant comme autant de torches vivantes, Ils tombèrent à terre et leurs cris se turent définitivement. Le monstre en avait profité pour s’extraire totalement de son nid et chuta lourdement au sol dans un bruit visqueux. Sa masse remua. Ses yeux et ses membres préhensiles dentés apparurent l’un après l’autre. L’ancien soldat ne perdit pas de temps. Il fit deux pas en avant, serra les dents et aspergea à nouveaux la créature sans retenue. La mousse écumeuse rougeâtre recouvrit la partie touchée. L’acide rongeait la chair et creusait des plaies purulentes sur toute la surface. Joanna alluma une mèche et lança son projectile. Le gel se répandit quand la bouteille se brisa et le dessus de l’abomination s’embrasa. Il se contorsionnait, gémissait. Ses pseudopodes claquaient le sol dans toutes les directions. Nous dûmes esquiver plusieurs coups. D’un coup net, l’assassine trancha l’un des bras. Gesticulant comme un ver, il cherchait à s’accrocher à tout ce qu’il pourrait saisir. Je le fis rôtir.

Une nouvelle vision d’horreur vint subitement ponctuer ce cauchemar éveillé. La couche superficielle de chair calcinée et rongée se craquela, puis s’ouvrit, laissant s’écouler un torrent de mucus bileux et d’asticots noirs. Le Neskol’Tov mua, ôtant sa couche externe comme une vieille chemise usée. Ses multiples yeux roulèrent, disparurent dans sa masse avant de renaître l’un après l’autre, constellant sa nouvelle couche extérieure toute neuve. Il rampait dans notre direction, à présent. Usant de ses membres pour se traîner vers ses proies, il réduit de moitié la distance entre nous en quelques secondes. Un tentacule tenta de me mordre la jambe. Pas cette fois ! J’esquivai l’appendice avant de l’écraser sous mon pied. Je dégaina mon Crossfire et tira quatre coups qui sectionnèrent la pointe du pseudopode. Tobias dégoupilla l’une de ses grenades incendiaires et la lança dans sa direction. L’ignominie gluante la saisit au vol. Heureusement qu’il était idiot. L’explosion retentit et de nouvelles flammes léchèrent la viande nécrosée. Joanna lança un deuxième cocktail afin d’alimenter les flammes. Suite à quoi, nous nous séparâmes. J’allais à gauche, Tobias à droite, Joanna remonta dans le passage mural, s’offrant un meilleur angle de lancer. La créature visa mon agent et déchira l’air d’un mouvement latéral de son membre visqueux. Tobias reçut le coup en plein plexus. Il ne tomba pas, mais eut le souffle coupé pendant plusieurs secondes. Une rafale de mon lance-flamme détourna l’attention du monstre. J’offris ainsi à mon allié le temps de se repositionner. Nous ne lui laissâmes aucun repos. Tour à tour, nous le brûlions, entamant sa masse couche après couche. Plus les minutes passaient, plus ses mouvements et ses attaques étaient hasardeuses. Il donnait des coups de fouet au hasard, mordant et agrippant n’importe quoi. C’est alors que je remarquai qu’il ramassait plusieurs des morceaux de cadavres éparpillés afin de s’en nourrir. Ses forces l’abandonnaient. Il avait besoin de renouveler sa matière. Là, il ramassa un corps presque entier et le porta vers sa gueule centrale. Tobias le remarqua aussitôt et, lorsque la bête ouvrit sa bouche béante, il glissa au sol, arriva pile à sa hauteur et vida ses réserves d’acides directement dans son gosier. Plusieurs décalitres sous haute pression remplirent l’intérieur de l’abomination. Cette fois, il ne put se contenter de muer. Ses organes – si tant est qu’il en eut – se dissolvaient de l’intérieur. Il fut pris de spasmes, tentait de recracher la redoutable pâte collante. Il rotait et vomissait des gerbes de sang. Tout en s’agitant dans tous les sens, des morceaux se détachèrent de la masse, comme pris d’une lèpre nécrosante accélérée. Plusieurs yeux pourrirent avant d’éclater comme des furoncles libérant un pus jaunâtre. J’avais l’impression d’être coincé entre deux instants. Le Neskol’Tov devenait de plus en plus... liquide, moins dense et aux mouvements de plus en plus fébriles. Je fus ramener dans le présent par un bruit de verre brisé, suivi d’une série de cris et d’une lumière bleu-vert. Les quelques Charognards survivants tentaient de fuir. Joanna les avait accueilli avec deux nouvelles explosions incendiaires. Je terminai son travail en carbonisant sur place les derniers encore debout. Les Charognards n’étaient plus.


— Il faut en finir, criai-je. Balancez-lui tout ce que vous avez !

Tobias lança sa grenade aveuglante en hurlant « Flash ! ». Nous fermâmes les yeux. La lumière brûla les rétines monstrueuses. La douleur et la peur firent à nouveau ouvrir la gueule au monstre. Son intérieur était dissous, fondu, informe, rempli de tissus corrodés et de fluides. L’ex-militaire en profita pour jeter sa dernière incendiaire dans la cavité. Le Neskol’Tov brûlait de l’intérieur. Je finis de vider mes réserves de carburant sur lui. Les derniers cocktails Molotov l’atteignirent tous. L’acide et les flammes purgèrent New-London de la pire atrocité qu’elle ait jamais cachée en son sein. Nos filtres respiratoires étaient saturés. L’odeur de viande brûlée et de mort me fit presque tourner la tête. Par frénésie ou par simple conscience professionnelle, nous vidâmes les quelques munitions qui nous restaient au moment où le feu commençait à faiblir. Au bout d’interminables minutes, les flammes moururent. Ne restait alors qu’une grosse boule informe de tissus calcinés de la taille d’un gros chien au centre d’une mare de fluides corporels. Plus rien ne bougeait. Le seul son encore perceptif était le craquement sporadique venant de l’intérieur de ce qui fut le Neskol’Tov. Malgré la chaleur et le manque d’oxygène, mes compagnons et moi ressentions un certain soulagement, mêlé à de la fierté. Nous avions vaincu. Les démons de mes cauchemars allaient pouvoir s’évaporer comme la fumée puante émanant de la carcasse carbonisée.


— Vous croyez qu’on l’a eu pour de bon ? demanda Joanna en nous rejoignant.

— Je suis peut-être devenu parano, mais je veux en être absolument sûr, répondis-je.

Mes agents et moi-même ramassâmes des blocs de bétons de plusieurs kilos gisant sur le sol, aux pieds des murs. Nous nous en servîmes pour briser la carcasse en morceaux de plus en plus petits. Bientôt, il ne resta qu’un tas de poussière noire au milieu d’une salle recouverte du sol au plafond de sang et de cadavres. Jamais auparavant nous n’aurions pu imaginer commettre un tel massacre génocidaire en moins d’une seule nuit. Cela étant, aucun d’entre nous ne ressenti la moindre once de culpabilité. Les Charognards et le Neskol’Tov représentait un danger pour toute la communauté. Nous avions bien fait de les exterminer. Désormais, seule leur légende survivra, pendant un temps. Pour terminer, je pris de nombreuses photos de la scène, ainsi que quelques échantillons de poussière noire, pour Maret et à classer dans nos archives. Ce dossier était sans commune mesure avec les précédents. Aussi, ma conscience me dicta de collecter un maximum de preuves.

— C’est fini, Érika. Mission accomplie, dis-je après avoir fini.

— ...out le monde va bien ?

— Affirmatif. Pas de casse. On va remonter.

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