J9 - Les pieds lourds et le cœur léger
Lors de leurs échanges en visio, Antoine lut ses textes, extraits d’un journal intime et qui relataient ses souvenirs de son séjour dans la ville de Rambouillet. Aussi Simone lui demanda s’il accepterait de l’emmener découvrir cette cité et la forêt environnante.
Elle avait lu que l’on pouvait pratiquer le vélo tout chemin sur des itinéraires dédiés aux deux-roues. La forêt domaniale offrait trente-cinq kilomètres en route viabilisée, entre Montfort-l’Amaury, Saint-Léger-en-Yvelines, Poigny-la-Forêt, les Essarts-le-Roi et bien sûr Rambouillet.
Elle avait même découvert une base de loisirs aux Étangs de Hollande. Il fallait remonter à Louis XIV pour trouver la réalisation artificielle de ces plans d’eaux dans le but d’alimenter, le Château de Versailles, ses fontaines et son Grand canal.
On pouvait louer des vélos sur place et le printemps offrait des températures agréables. Simone disposait d’une à deux journées de libres par semaine. Antoine lui proposa de passer la prendre à Vivières de bonne heure. De son côté, elle réserva une chambre à la Maison d’hôte de Saint-Léger qui acceptait les animaux de compagnie.
Elle et Antoine s’étaient beaucoup rapprochés au point de dormir très souvent ensemble. Il faut dire que passer un certain âge, on perdait moins de temps en convenance et la vie était bien trop courte. Et même si les ronflements respectifs pouvaient nuire à l’harmonie du couple, chacun mesurait combien il était agréable de se serrer l’un contre l’autre.
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Après un copieux petit déjeuner pris assez tôt avec notre hôtesse, ils avaient rejoint Poigny-la-Forêt, à proximité du cimetière. Moustache resta dans la location et tint compagnie à la maîtresse de maison. Partant de là, ils longèrent à pied les Étangs du Roi pour bifurquer sur la gauche en empruntant la Route de la Mouche.
Ce matin, le temps se montrait doux et agréable malgré une brume conquérante. Celle-ci donnait une ambiance mystérieuse de Forêt de Brocéliande, avec ses nombreux trous d’eaux, mares et étangs, parfois cachés sous les ombrages et les mouvements naturels du terrain.
Le sentier de la Mouche les guida sur une sente de qualité assez douce aux pieds d'un marcheur. Avec une alternance de zones sableuses, parfois terreuses et très souvent tapissées de déchets végétaux dont la présence recouvrait en toute saison les pistes et les sous-bois.
De merveilleuses senteurs matinales se dégageaient des sols et des feuillages et titillaient leurs narines. Plusieurs insectes bruyants les accompagnaient ou les croisaient dans de puissants vrombissements.
Parfois des taons très voraces leur tournaient autour. Antoine qui transpirait beaucoup se méfiait de ces suceurs de sang. Très allergique aux piqûres, il se préservait de toute attaque en couvrant ses jambes et ses bras de vêtements à manches longues ainsi que d’un bob sur la tête. Cela lui donnait des airs de Crocodile Dundee.
Simone se montrait plus sensible à la légèreté frénétique des papillons aux beaux ocelles et à celle vibrante des libellules bleues aux reflets irisés et métalliques. Beaucoup de pollinisateurs œuvraient dans le moindre espace fleuri. Cette ambiance vivifiante remplissait le cœur et les poumons de nos deux marcheurs.
Le temps brumeux laissa enfin place à un soleil tardif sortant de son suaire cotonneux. Parfois, des bruissements de feuilles mortes trahissaient la présence de merles ou de grives qui puisaient dans les buissons des insectes ou des vers.
Il arriva que le cliquetis des bâtons de marche sur le macadam, traduisant une belle énergie de nos compagnons, dérangeât des pigeons ramiers. Ceux-ci se restauraient dans des clairières ou sur des ronds-points, comme installés dans un relai d’aéroport. Très craintifs, ils s’envolaient aussitôt dans des claquements d’ailes et reprenaient leur voyage.
Le sac d’Antoine ballottait dans son dos comme un pendule et le frottement sur le nylon de son coupe-vent produisait un rythme semblable aux balais d’un batteur de musique de jazz. Une bouteille d'eau, des biscuits et des fruits secs, un t-shirt manche longue de rechange, un rouleau de papier pour satisfaire à une pause technique composaient en grande partie son équipement. Simone entassait dans son baluchon quelques effets personnels mais aussi des casse-croutes qu’elle avait confectionnés la veille de leur départ.
Antoine suivait leur itinéraire sous une carte IGN au 1/25000 — les fameuses séries bleues — avec les axes pédestres et le découpage numéroté des parcelles domaniales de l’ONF. Une boussole, un opinel, une ficelle et des mouchoirs dormaient dans ses poches latérales de pantalon. Une paire de jumelles complétait la panoplie, prête à repérer un animal éloigné.
Sans oublier les smartphones utiles à la sécurité bien que le réseau soit assez versatile. Mais surtout pour capturer des instants privilégiés et éphémères qu'offraient cette nature très riche en faune et flore.
Cette forêt de Rambouillet, dite aussi d’Yveline, faite de taillis et de futaies, tenait son origine du Moyen-Âge où de nombreuses mesures d’aménagement et de drainage furent prises au service d’un domaine royal.
Après plusieurs kilomètres à un bon rythme, ils bifurquèrent à l'ouest de Poigny-la-Forêt, en direction de la départementale 107. Le relief devint plus accidenté, découvrant ici et là, des lits de sable et de roches. Ils descendirent dans un thalweg aux pentes prononcées les menant non seulement vers la voie routière mais aussi un joli cours d'eau du nom de La Guesle.
Ils traversèrent en sécurité et marquèrent un temps d’arrêt pour se prendre en photo près d’un petit oratoire, baptisé Saint-Fort, en pierres et joints à la chaux, orné de quelques fleurs de dévotion.
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Sur le parking, Antoine proposa à Simone de marquer une petite pause.
— Ça va ! lui demanda-t-il avec un grand sourire.
— Oui, super. On tient un bon rythme, tu ne trouves pas ?
— Quatre ou cinq kilomètre par heure.
— Veux-tu un abricot séché ? lui proposa-t-elle.
— Attends, je me bois une gorgée. On fait juste un petit break et on repart.
— Ok, ok ! et pour le manger.
— T’inquiète. J’ai prévu la coupure repas, juste au-dessus vers les rochers qui surplombent la rivière.
— Ok. Monsieur ménage ses effets.
— D’ici vingt à trente minute, on y sera. Tu verras. L'endroit est chouette.
— En tout cas jusque-là, la balade est super. Et c'n’est pas monotone. Juste un peu de relief. Et j’adore ces petits cours d’eau. En plus, on a été gâtés.
— Tu parles des chevreuils dans le chemin ?
— Ah oui, trop beaux ! Ils ne sont pas farouches, tout de même.
— Oui c’est tout le charme de cette grande forêt.
Antoine en profita pour lui glisser une caresse sur la joue, ce qu’elle apprécia. De nouveau harnachés, ils repartirent sur le GR1, appelé Tour d’Île de France ou encore de Paris qu’il venait de croiser sur une portion commune avec d’autres circuits locaux de couleurs différentes. Ce segment allait de Rambouillet à Gazeran ce qui ne constituait pas la finalité de la sortie car il faudrait revenir vers Poigny.
Cette portion d’itinéraire balisée par deux marques horizontales en rouge et en blanc s’avérait assez plate à quelques exceptions près. Cela le rendait accessible à tous et surtout aux sorties en famille. Le GR1 était l’un des plus anciens sentiers de Grande Randonnée de France. Sa longueur totale couvrait cinq cent quarante-six kilomètres. Il commençait à la Porte Maillot et emmenait le randonneur à travers les forêts et les parcs naturels régionaux franciliens : le Vexin français, l'Oise, le Gâtinais français et la Haute Vallée de Chevreuse.
La reprise de nos deux tourtereaux, après leur pause énergie et eau, leur mit un petit coup de barre. Mais Antoine le savait, d’où son idée d’ingérer du sucre rapide avant de repartir.
La pente et le sol, composés de sable et de cailloux ainsi que déchets végétaux ne facilitaient pas l’ascension. Très vite, les jambes devinrent lourdes et le souffle brûla un peu les poumons transformés en cheminée.
Arrivés sur une nouvelle portion de plat, ils prirent sur leur droite et longèrent une longue paroi rocheuse. Par le passé, cet endroit permettait l'initiation à l'escalade comme sur certaines ascensions aménagées en forêt de Fontainebleau. Compte tenu de la porosité de la roche, de l'instabilité et de chutes de pierre, toute la zone restait ceinturée par une palissade grillagée, histoire de dissuader les audacieux.
Le terrain s'aplanit, avec une belle végétation basse de bruyères fleuries et surtout une magnifique partie boisée de beaux troncs blancs de bouleaux dont les feuilles frémissaient sous l’effet de courants d’air joueurs. Dans le contrebas, on entendait l'écoulement de la rivière et le glissement de quelques véhicules qui surfaient sur la chaussée de la départementale.
Le couple rejoignit, plus vite que prévu, le site en observatoire, baptisée Les Rochers d'Angennes, qui dominait en contrebas les Étangs éponymes. Antoine repéra un emplacement pour s'assoir. Des lichens verts et jaunes mangeaient la roche lisse. Le paysage superbe qui s’offrit à eux permettait de porter le regard vers l'horizon sur une bonne dizaine de kilomètres.
Ils profitèrent des délicieux sandwichs de Simone puis d’un petit café en thermos. Une fois rassasiés, ils se serrèrent l’un contre l’autre dans une écoute et une observation leur procurant une évasion méditative. Ils percevaient le cadeau immense de cet instant qui pouvait difficilement se décrire sans omettre une impression ou une émotion.
— Ferme les yeux et écoute comme on se sent bien !
— Merci mon Antoine pour ce moment.
La reprise provoqua une certaine déception dans la mesure où ils auraient volontiers prolongé cet instant précieux. Ils reprirent le sentier de randonnée le long d’une portion en ligne droite longue de cinq cents mètres. Les zones sableuses se succédaient donnant parfois l'impression de marcher dans de la neige. La luminosité laiteuse se réfléchissait comme une empreinte blanche et infinie entre deux massifs denses et vert foncés. Puis le terrain prit à nouveau une déclivité en cheminant sur la Route des Rabières.
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Arrivés au carrefour avec la Route de l'étang d'Angennes, on prit le temps de se rafraîchir à nouveau. Des piverts ébranlaient de leur martelage les troncs dans les houppiers des arbres. Parfois un bruit de crécelle signalait la présence de faisans, très nombreux dans la région en raison des chasses présidentielles et des élevages de la Faisanderie.
La piste s'orientait à présent sud-est, vers Gazeran, situé à la sortie ouest de Rambouillet.
Plus que jamais, les routes et les terres prenaient ici le nom de la noblesse historique. La famille d'Angennes apparut dès le quatorzième siècle, en la personne de l'Écuyer du roi. Celui-ci acquit un simple manoir et le transforma en véritable forteresse en raison d'une ordonnance de Charles V intimant l'ordre de fortifier les châteaux. Les descendants prirent, au fil du temps, les titres de marquis de Rambouillet et de Maintenon avec les domaines afférents.
Cette charge historique se dissipa pour laissait la place à la beauté des allées, des mares et des plans d'eaux où venaient se poser des hérons. Ils croisèrent des cavaliers qui appréciaient de pouvoir débourrer de splendides montures et s'évader dans une randonnée équestre incomparable. La forêt de Rambouillet proposait un nombre important de pistes cavalières avec de belles portions de lignes droites, propices aux pointes de vitesse.
Nous reprîmes avec vigueur et enthousiasme notre randonnée et arrivâmes par la vallée de Drouin-sur-Gazeran, très joli village, avec ses habitations de caractères, un large plan d'eau alimenté par La Guéville et une petite forteresse du XIIème.
Il fallait à présent prendre le chemin du retour en longeant le mur d’enceinte du parc du Château de Rambouillet et la départementale D936 pour rejoindre Poigny-la-Forêt.
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Un peu fourbus, les muscles durs, ils retrouvèrent en fin d’après-midi la chambre d’hôtes et Moustache qui leur fit une grande fête. L’hôtesse leur prépara une spécialité maison à base de gibier, un pâté en croute. Suivirent des terrines de mérinos arrosées d’une bière locale, la Rambolitaine. Un plateau de fromages de vache et de chèvre, des biscuits de la vallée de Chevreuse avec un sirop et pour conclure le fameux Rambolitain.
Inventé en 1946, ce gâteau ancré dans la culture pâtissière met en œuvre une pâte de macaron recouverte d’une crème légère au praliné, le tout saupoudré d’amandes et de noisettes torréfiées. Le sénateur-maire Gérard Larcher célébra les 50 ans de ce dessert en 1996 avec la distinction de spécialité gastronomique locale.
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Curieusement, nos compères ne se plaignirent en aucune façon de ce repas copieux qui clôturait une si belle balade. La bonne humeur et la complicité régnaient entre eux et ils en profitèrent pour danser sur une ou deux valses musette. Mais leurs jambes accusaient le coup. Aussi ne tardèrent-ils pas à sombrer dans les bras de Morphée. Leurs rêves les porteraient, la nuit durant, dans les pas d’un grand cerf, dans le vol nocturne et silencieux d’un hibou des marais ou d’une chouette hulotte.
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À visiter : La forêt des Aigles
https://www.espacerambouillet.fr/la-foret-des-aigles

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