J15 : Voyages en plein désert
Ce soir, il se retrouvait seul dans sa maison, avec son compagnon Moustache, mais sans éprouver de pesanteur particulière. Il savait que sa compagne se trouvait pas si loin, juste au-delà de la forêt de Retz et de ses collines. À chaque jour qui passait, ils ajoutaient de petites pierres précieuses à leur amour.
En même temps, ils se ménageaient des respirations. Voici quelques mois encore, chacun menait une vie solitaire avec ses propres habitudes, ses connaissances, ses activités de loisir. Leur histoire se tricotait comme un pullover, pour traverser leurs saisons d'automne, maille après maille.
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Assis au coin du feu, dans la maison chaude et calme, Antoine tournait les pages d'un bel album de photos dédié aux grands déserts de ce monde. Il entretenait son imaginaire dans une espèce de voyage intemporel, hors de ses murs, à bord de son fauteuil douillet. Moustache poussait une plainte de temps à autre pour obtenir une caresse ou demander à sortir dans la cour.
L'Homme idéalisait l'importance de ses cités rurales et urbaines mais ces immenses étendues désertiques couvraient un nombre considérable d'endroits sur Terre. Elles offraient au regard du voyageur un véritable et grandiose émerveillement. La nature savait vanter sa grande diversité de paysages et ces édifices de silice ressemblaient à de gigantesques sabliers ayant perdu la notiondu temps.
Souvent très arides, ces espaces recélaient une activité intense, soulevant ici et là, sans cesse, des pierres ou des arènes, au gré de tempêtes ou sous l'action des températures excessives oscillant entre brûlantes le jour et glaciales la nuit.
Antoine découvrit des lieux étonnants, Gobi, entre la Chine et la Mongolie, Atacama entouré du Chili et du Pérou et bordé par le sud Pacifique et la Cordillère des Andes. Puis encore les Mojaves en Californie, Takla-Makan en Asie, plus grand désert de sable au monde. Tous ces noms et bien d'autres s'invitaient au fil des pages et les nombreux clichés le transportèrent dans un long voyage tel Aladin sur son tapis volant.
Alors se présenta le plus grand d'entre eux, vaste étendue du Maroc à l'Égypte, considéré par certains géographes, comme constituant une Diagonale sèche des bords du fleuve Sénégal jusqu'aux confins de la Mongolie.
À l'évocation de son nom, le Sahara, Antoine se rappela une dictée effectuée durant son enfance à l'école primaire sans doute, au titre étrange Un orage au Hoggar. Le passage à écrire, extrait de l'Atlantide de Pierre Benoit, relatait un phénomène météorologique assez rare. Il nécessitait de mettre dans l'urgence des hommes et des dromadaires à l'abri pour échapper au cataclysme exceptionnel qui s'annonçait et ne pas retrouver les équipements et les harnachements en lambeaux.
Outre d'écrire sans fautes, il se souvint alors de l'ambiance, de l'odeur et des bruits de tables ou de chaises. Il revit la maîtresse circulant entre les allées et jetant ici ou là un regard à l'application de chacun de ses élèves. Celle-ci articulait et insistait sur chaque mot, indiquait la ponctuation et reprenait avec patience les phrases une à une.
Antoine revoyait les lignes pâles du cahier, la plume Sergent Major qui laissait son sillon bleu au bout de sa main gauche et son autre qui tenait le buvard pour éviter les taches. Puis comme par magie, emporté dans le vortex de son imaginaire sans cesse en ébullition, de nouvelles pensées le transportèrent dans les pas d'un jeune berger espagnol au nom évocateur de Santiago.
Ce dernier, renonçant à son destin d'être prêtre après ses études au séminaire, prit une grande décision, à la faveur d'un rêve sur l'existence d'un fabuleux trésor. Il devrait entreprendre un périple qui le mènerait d'Andalousie jusqu'à Gizeh et ses pyramides, en passant par Tanger et le fameux désert du Sahara. Au hasard de ses errements dans ce que l'on pourrait appeler un voyage initiatique, le jeune garçon découvrirait qu'il lui faudrait inventer sa légende personnelle, sorte de réalisation ou d'accomplissement de soi.
Ayant perdu le peu d'argent qu'il détenait, il devint vendeur dans une obscure boutique, et de par son habileté, il rendit fleurissant le commerce de cristaux. Puis il rencontra dans une oasis, au cœur du désert, l'Alchimiste qui l'initia et le guida à travers des épreuves qu'il devrait surmonter pour poursuivre sa quête.
En renouant dans sa tête avec des passages du livre de Paolo Coelho, Antoine retrouva ces phrases touchantes à la portée philosophique.
Si vous écoutez votre cœur, vous savez avec précision ce que vous avez à faire sur terre.
Enfant, nous l'avons tous su.
Mais parce que nous avons peur d’être désappointé, peur de ne pas réussir à réaliser notre rêve, nous n’écoutons plus notre cœur. Cela dit, il est normal de nous éloigner à un moment ou à un autre de notre Légende personnelle.
Ce n’est pas grave car, à plusieurs reprises, la vie nous donne la possibilité de recoller à cette trajectoire idéale.
Alors sans crier gare, Antoine se retrouva dans la peau d'un pilote, Antoine de Saint-Exupéry, coincé dans le désert en train de tenter de réparer son avion. Là, il se remémora, en tournant de façon virtuelle les pages de cet autre livre connu dans le monde entier, de très belles aquarelles montrant le Petit prince. Tour à tour, ce dernier lui posait mille et une questions, s'interrogeant sur les égarements et les curiosités de la nature humaine.
Abandonnant un instant son ouvrage photographique, Antoine renoua avec le présent et libéra Moustache dans la cour. La nuit et son ciel d'encre gratifiaient son regard de la Voie lactée et de ses constellations. Loin de toutes pollutions lumineuses, la voute céleste offrait un voyage vers un autre infini.
De retour dans la maison, il se servit un café et entreprit quelques recherches dans les linéaires de sa bibliothèque très fournie pour retrouver l'écrivaine, Isabelle Eberhardt.
Cette aventurière et journaliste, convertie à l'islam, se plongea tout au long de sa vie dans les paysages et les mœurs des différents peuples de l'Afrique du Nord. Le résumé biographique du quatrième de couverture expliquait qu'elle se confronta au colonialisme, à l'occupation française et aux traditions ancestrales. Mais surtout, elle rédigea plusieurs carnets de route pour décrire ses voyages au cœur du désert saharien.
Délaissant cet ouvrage et comme assoiffé de découvertes, Antoine rebondissait, ricochait dans les méandres de ses réflexions. Sa soif de connaissances semblait inextinguible. Il consulta fébrile et presque enfiévré Internet sur une tablette.
Au hasard de ses recherches sur la toile, il découvrit qu'en 1922 une caravane d’autochenilles de la marque Citroën prit la route au départ de l’Algérie. Il s'agissait d'une épopée longue de plus de trois mille kilomètres, à destination de Tombouctou, au Niger. Ce raid comportait quinze étapes et vingt et un jours. Il permit d'ouvrir une voie d'accès vers des pays très isolés au cœur même de l'Afrique.
Une époque pleine d'aventures humaines, de risques et de découvertes. Nombre d'automobilistes et d'aviateurs des escadrilles d'Algérie et de Tunisie tentèrent de franchir le Grand Erg et le Tanezrouft. Certains y laissèrent la vie mais leurs périlleuses tentatives ouvrit la voie au Raid Citroën.
Dans un ouvrage très détaillé, Ariane Audouin-Dubreuil réunit bien des années plus tard des documents inédits, tirés des riches archives léguées par son père, qui resta l'un des pionniers de l'exploration du Sahara.
Le désert nord-africain offrait mille opportunités et la France y joua un rôle important de par ses essais nucléaires. Le site de Reggane en Algérie, décidé par le gouvernement le 23 juillet 1957 vit les premiers travaux d'aménagement débuter le 1er octobre.
De mémoire, il ne connaissait que le site de lancement des fusées Ariane à Kourou en Guyane. Il ignorait tout de la vallée de la Saoura, à la lisière du Grand Erg occidental. Et plus encore de savoir qu'elle servit de champ de tir pour des missiles balistiques et les premiers engins spatiaux français, à travers la base d’Hammaguir à environ cent vingt kilomètres au sud-ouest de Béchar.
Sans doute avait-on demandé à Uderzo et Goscinny l'autorisation d'emprunter le nom de leur héros de bandes dessinées ? Le premier satellite français, baptisé Astérix, se retrouva sur orbite, porté par un vecteur qui décolla depuis cette base spatiale.
Antoine se sentait agité par tous ces évènements du passé dont une large part se déroulèrent bien avant sa naissance. Ces clichés pris dans les plus grands déserts du monde l'embarquaient dans un merveilleux voyage. Encore ému et bouleversé par ce transport, il se rapprocha du feu de la cheminée pour se réchauffer les mains.
De belles flammes rouges, orange ou bleues dansaient dans l'âtre et jetaient des ombres changeantes sur le mobilier et les murs du salon. Alors qu'il s'apaisait, un reflet attira son attention. Il s'agissait d'un ouvrage à la couverture glacée traitant de la mythologie grecque et romaine. Cette dernière relatait les Douze travaux d'Hercule. Intrigué par les illustrations et le résumé, il s'assit dans le fauteuil et commença un autre voyage.
Deux heures sonnaient à sa pendule quand il s'endormit et du fond de ses rêves, il tenta de compter ou de dessiner des moutons.
=O=

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