J24 - Le défilé des éléphants

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Alors qu'ils rentrent d'une randonnée pédestre sur le bord de mer, entre le port de La Flotte et le Fort de la Prée, Antoine et Simone pensent qu'ils mériteraient un petit apéro.

Assis sous la terrasse en bois devant le mobil home, ils profitent de ce moment de récupération avant de dîner.

— T'as déjà effectué des voyages à l'étranger ? lui demande Simone.

— Des séjours pour des raisons professionnelles, en tant que journaliste.

— Et sinon ?

— La Réunion durant mon adolescence avec mes parents. On a visité toute l'île en deux ans et il y avait de quoi faire.

— Es-tu allé sur Mada ?

— Non malheureusement, j'aurais bien voulu. Du coup, j'ai découvert Mamoudzou et Dzaoudzi sur l'archipel des Comores, à Mayotte.

— Oui, je crois que tu m'en avais déjà parlé.

— Sinon, je suis allé à Maurice. Elle ressemblait à l'Île de La Réunion avec un peu moins de relief. Des jeunes de classe de terminale, dont les parents étaient des familles de militaires, assuraient l'encadrement. Sa mère et son père y étaient allés aussi, mais de leur côté, en amoureux. Ils avaient profité d’une visite guidée en taxi avec un natif de l'île.

— Chouette! !

— Ils sont même revenus avec une maquette de l'Astrolabe. La réplique de navires en miniature faisait la réputation de l'île.

— Je ne savais pas. Et sinon ?

— Le Maroc et la Tunisie en touriste. Ah si. J'allais oublier. Le Kenya en Safari-Photo. Ça date de quinze ans, déjà !

— Cela devait être super ! lui dit-elle en lui tendant un verre de Pineau. À ta santé mon Antoine.

— À ta santé aussi ma Simone lui répond-il en l'embrassant.

— Ça devait être magique. T'as des anecdotes ?

— Plein.

— Quoi, par exemple !

— Le périple durait dix jours, vol aller-retour compris. De fin mars à début avril, juste avant l'arrivée des grosses pluies. On s'est tapé deux parcs. Avec pas mal de trajets depuis Nairobi.

— Le gros truc !

— À Nakuru, une région de lac salé avec des colonies de flamants roses et de très beaux spécimens de rhinocéros. Et puis après, le Massaï Mara en limite de la Tanzanie, surtout pour voir des félins.

— Tu me racontes un peu ! Moi, je n'ai pas vécu d'expérience similaire.

— Je garde un souvenir indélébile de ce séjour en bivouac sous tente au beau milieu de la savane. Et pas dans des lodges, comme l'on peut voir dans des films ou des documentaires.

Antoine lui raconta alors ses journées, à suivre au quotidien et à voir évoluer des animaux. Aucune comparaison avec les zoos en semi-liberté comme celui de Thoiry. Grâce à leur passion pour la nature sauvage, les photographes animaliers Christine et Michel Denis-Huot, lui permirent de découvrir, ainsi qu'à une douzaine d'autres aventuriers, la vie des grands fauves, lions, guépards, léopards.

Leur groupe à bord de longs Land-rover commençait leurs excursions dès les premières heures du jour vers 06 H 00 et jusqu'à tard le soir pour profiter des meilleurs éclairages. Le rendu sur les photos numériques s'avérait sans commune mesure avec des clichés pris en milieu de journée dans une lumière trop vive. En effet, durant ces périodes zénithales, la plupart des animaux recherchaient la fraîcheur à l'ombre des acacias.

— On a même croisé des équipes de tournage de la BBC qui réalisaient des films avec des caméras très sophistiquées, en prévision des grandes migrations de gnous et de zèbres, poursuit Antoine.

Simone boit ses paroles.

— J'ai vu des sujets similaires sur les chaînes Arte et la cinq. Impressionnant, ajoute-t-elle.

Ces cheminements migratoires débutaient depuis le sud du Serengeti en Tanzanie, à partir du mois de mars et se poursuivaient au Kenya pour s'achever vers le courant de juillet.

Leurs deux guides leur permirent de suivre les attaques foudroyantes des guépards, surnommés chitas par les bergers Massaïs locaux, sur les troupeaux de gazelles ou d'antilopes.

À l'époque, on évoquait surtout les trois frères qui chassaient de concert, ce qui augmentait leurs chances d'aboutir. La lutte s'avérait permanente et vitale pour la survie. De fait, toutes les espèces animales, gibiers et prédateurs, se déplaçaient sans cesse. Au cours de ses migrations quotidiennes, ils découvraient des girafes, des buffles, des gazelles, des antilopes. Mais aussi des rhinocéros, des éléphants, sans compter les hippopotames et les crocodiles dans la rivière Mara.

Parfois, il leur fallait s'accrocher aux montants des tous terrains lors de la traversée de passages escarpés sur des élévations rocheuses ou de gués de petites rivières. Dès que les pluies commençaient, les pistes se transformaient en véritable bourbier. La poussière fine devenait une boue instable au point de ne plus pouvoir avancer. Les embrayages souffraient beaucoup dans ces circonstances.

— Je pouvais parfois rester interdit devant cette beauté sauvage. Dans toutes les directions, le spectacle visuel et sonore se délivrait en grand écran : grognements de phacochères, cris d'oiseaux, hurlements de babouins se déplaçant en commando, rigolades d'hippopotames.

De jour comme de nuit, chaque population se retranchait dans des taillis épineux, des futaies, bordés par des acacias pour se préserver des attaques sournoises des félins. Les zèbres se mettaient en tête-bêche pour observer des deux côtés. Les topis se dressaient sur des termitières pour anticiper le danger vers les quatre points cardinaux.

— J'imagine assez bien ce que tu décris. La survie à ce prix.

— Mais à la différence des êtres humains, les prédateurs tuent pour se nourrir et non pas par plaisir ou par vengeance.

Ils se resservent un verre de Pineau qui passe tout seul avec des olives et anchoïades.

— La nuit sous la tente, on entendait toujours des cris. Même avec l'habitude, cela devenait angoissant. Les chauffeurs et les assistants assuraient notre sécurité en maintenant en permanence un feu.

Les couchers de soleil semblaient magiques et plus encore avec les nuages qui se rassemblaient pour livrer un orage. Les couleurs du ciel tournaient alors au mauve et au blanc et parfois des éclairs zébraient l'horizon, la savane et les éminences rocheuses offrant une ambiance de monde préhistorique. Les terres de Lucy se situaient dans l'Éthiopie voisine.

Sortir de la tente en pleine nuit, pour assouvir un besoin naturel, demandait un certain courage pour rejoindre le feuillet à l'aide d'une minuscule lampe de poche. Prendre une douche dans un habitacle de fortune se réalisait en un temps record, mais procurait un grand réconfort pour se débarrasser des poussières et de la sueur de la journée.

— Avant de me coucher, je ne pouvais m'empêcher de regarder le ciel. Je mesurais la chance d'observer la voute étoilée, dénuée de toute pollution lumineuse. Cela me permettait de jouer aux apprentis astronomes.

Une fois rentré sous la tente, la tête remplie d'images et de sensations, Antoine se blottissait dans son sac de couchage. Alors il écoutait le défilé magique et tapageur des éléphants, ponctué de frottement ou d'écrasement, de barrissements. Les plus jeunes se serraient contre les mères et la veille matriarche fermait la marche du troupeau.

Passant au large du bivouac, les pachydermes saluaient de loin les chasseurs d'images, en véritable maîtres de la savane. Derrière eux suivaient les buffles, les zèbres, les gnous comme une arche de Noé. Il leur fallait sans cesse se mouvoir pour échapper aux menaces.

— Super safari. As-tu mis du temps pour reprendre tes marques.

— Pendant longtemps, la nuit quand je m'endormais, j'entendais encore tous ces bruits de cette nature foisonnante et cruelle. Parfois, je me rêvais en guerrier Massaï, la lance à la main, traçant ma route au sein de ces grands espaces et guidant mon troupeau.

— À des années-lumière de notre hypocrisie mondaine et de nos rapports humains !

— Avec le temps, nous nous sommes préservés des menaces par une société assurantielle. Et nous avons perdu en grande partie notre instinct de survie. En attendant, il existe toujours des parcs africains où de sombres individus paient pour s'offrir un trophée.

=O=

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