J29 - Leçon de choses
Dans l'un de ses cahiers d'écolier, Simone retrouva une histoire qu'elle devait écrire pour un travail à la maison et qu'elle lut sur l'estrade face à toute sa classe. Avec un plaisir immense, presque de petite fille, qu'elle restait toujours un peu au fond d'elle-même, elle s'en refit la lecture.
Sans doute que cet ami d'enfance, qu'elle mentionna dans son récit, et dont elle ne gardait aucune nouvelle depuis, poursuivit sa propre vie en s'assagissant. Son visage lui revint d'un seul coup avec une incroyable clarté. Assis à côté d'elle en classe de quatrième, il aimait la blaguer, lui écrire des petits mots, oublier des chewing-gum sous la table, tresser un collier avec des trombones et respirer dans un pot de colle.
Pour les besoins de son écriture, Simone transposa son récit dans un monde différent de celui de l'Yonne. À l'époque, ces lectures la transportèrent sur les bords de mer en Méditerranée. Cette région l'entraînait vers la liberté, les parfums de lavande et les sentiers jalonnés de chênes-lièges et parsemés de thym. Elle berçait son imaginaire d'adolescente et agitait ses premiers émois.
Elle se surprit à si bien écrire. Elle soupçonnait sa mère de l'avoir aidée dans cet apprentissage de leçon de choses. Mais surtout, elle revoyait mentalement la tête de Gustave quand l'intéressé s'était vu embarquer dans une histoire, dont il n'avait pas connaissance, et qu'elle avait lue devant toute la classe.
Il nous arrivait de temps à autre, avec mon copain Gustave, de nous retrouver dans les dunes derrière la plage pour exercer nos talents favoris, et je dois bien l'avouer, quelque peu sadiques. Nous tirions nos idées de lecture du Château de ma mère de Marcel Pagnol que je parcourrais dans un livre relié de la bibliothèque communale.
Il s'agissait pour nous, de déranger, en suscitant des réactions, les habitants très actifs de fourmilières qui pullulaient sous les oyats, panicauts ou chardons bleus, giroflées, lys de mer, euphorbes et liserons. Dès que l'on repérait un cheminement qui semblait prendre sa source près d'une oasis de verdure, on échafaudait une stratégie lors de longues discussions car plusieurs options s'offraient à nous.
L'un des objectifs consistait à détourner les colonnes d'ouvrières qui se croisaient sans cesse, échangeant des informations par leurs antennes, tout en suivant des autoroutes invisibles pour approvisionner la cité souterraine, la reine et le couvain. Elles finissaient au bout d'un certain temps par rétablir leurs liaisons.
De façon un peu plus sadique, nous exécutions quelques-unes d'entre-elles pour voir leurs réactions et tester leur capacité d'entraide en observant si celles-ci s'occupaient de leurs cadavres.
Plus diaboliques, on aimait déclencher un incendie en versant un peu d'alcool à brûler sur un mouchoir en papier. Une fois introduit dans l'une des entrées de la fourmilière, la mise à feu avec un Zippo emprunté à mon père, permettait de frire les occupants. Les réactions s'avéraient très rapides, certaines ouvrières se sacrifiant pour créer un écran au nid et permettre ainsi de sécuriser les accès.
Mais le plus sympa consistait à tester notre adresse avec des lance-pierres sur tous les insectes que l'on pouvait croiser : scarabées, gendarmes, puces d'eau, mouches, bourdons. Rien n'échappait à notre envie de tirer sur tout ce qui bouge, à l'exception cependant des oiseaux et des lapins. On utilisait de gros haricots blancs ou des fèves comme projectiles dont nous garnissions les poches de nos salopettes avant de quitter la maison.
Bien sûr, ces détournements de denrées sèches présentaient des risques. Nos mères vigilantes nous délivraient de belles taloches à notre retour de virée quand elles vidaient et retournaient les jambes de nos vêtements. Une fois les larmes essuyées et les fesses moins douloureuses, je repartais dès le lendemain en vélo sur les chemins, pour retrouver Gustave dans les dunes, et parcourir les sentes de douaniers.
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