002 - ma vraie vie

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Éric. Pas très roots comme prénom pour un semi-black. C’est mon élève. Je suis sa prof au prénom breton, Solene, sans accents. Mère de mon fils, Erwan, que j’écris avec un grand R et le chiffre 1 pour aller plus vite. R one. Mon premier enfant. Même si il y a eu un R zéro. Et là je pleure. Comme un orage qui passe. Et il passe quand je pense à ma fille, mon soleil, Eloa. Merci à mon connard d’ex-mari de les avoir semé dans mon ventre. Je repose la fiche que j’ai révisé avant de recevoir les parents à l’occasion de la remise des bulletins. Seule la mère se présente. Elle est toute blanche. Même qu’elle s’appelle Blanche. Moi aussi j’ai eu un copain black. Voilà ! Éric, il me rappelle mon premier amour. C’est vrai, en y repensant, il lui ressemble. Elle, pas du tout. Je souris, par politesse, croit-elle. Et bla bla bla, moyenne, bla bla, l’orientation bla bla. Ma pauvre dame, ce n’est que le début du parcours du combattant. Mais bon, maintenant que j’ai rencontré la mère, je me sens plus à l’aise avec lui. Je crois que je l’ai oublié, zappé, mais il me surprend à le regarder en cours quand ils sont tous concentrés sur leur copie d’interrogation. Je détourne le regard. Mais je sens le sien sur moi. Je vérifie et oui, il me regarde. Je lui pointe du doigt sa copie. Au boulot. Ouf ! Il obéit. À moi de le regarder en surveillant les autres aussi. À la sortie du lycée, à peine la frontière franchie je l’entends m’appeler.

  • Madame Sinquin ?

Ça y est. C’est le début de quelque chose. J’essaie d’être originale, pour qu’il s’en souvienne, toute sa vie, de cette réponse :

  • C’est pas mon nom. C’est celui de mon ex-propriétaire. Je l’ai gardé pour m’appeler comme mes enfants. Moi, en dehors du lycée, c’est Nathalie.

Il est troublé. Il a pas tout compris. Il regarde derrière lui pour voir si je ne parle pas à quelqu’un d’autre. Peu importe. Il a oublié ce qu’il voulait me demander. D’un coup d’œil et d’un coup de menton, je lui fais signe de me suivre. Je ne peux pas l’attirer sous la route pour le plaquer contre le béton froid, ça fait trop loin. Alors je monte dans le premier tramway qui passe. Lui aussi. Il y a d’autres élèves du lycée. On ne s’assoit pas ensemble. Je descends au parc japonais. Lui aussi. Il me rejoint sur un banc et on peut enfin parler. Mais quand je vais pour commencer il m’embrasse. Mon dieu comme c’est doux ! Je regarde autour de nous. Personne ne nous a vus. Au bout d’un moment, il part et me laisse là, comme ça. Je ne sais pas quoi faire alors je sors un feutre et je dessine un cœur là où il était assis. Natacha a fait pareil à l’endroit exact où elle m’a plaquée contre le mur en béton froid. Je me relève pour repartir dans l’autre sens retourner à ma vraie vie.

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