2012 – 14 ans
Je suis différente des autres ados de mon âge et je ne sais pas pourquoi…
Cet été, c’est le dernier avant mon entrée au lycée, et j’espère vraiment que je n’entrerai jamais au lycée. J’ai de bonnes notes, je suis sage, on pourrait me qualifier d’intello, ça ne m’étonnerait pas. Ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que je ne veux pas entrer au lycée, je ne veux pas grandir, je veux juste partir.
Je sais que c’est bête parce que j’ai tout ce que je veux : une famille et des amis. Des activités qui me plaisent : je fais de l’équitation et de la musique. En plus, je peux m’acheter ce que je veux, car j’ai commencé à travailler comme baby-sitter ou en donnant des cours de soutien. Mais pourtant, je ne suis pas heureuse.
Le gros problème, c’est que je ne m’aime pas. Physiquement pour commencer, mais je crois hélas que c’est le cas de nombreux adolescents de mon âge. Et intellectuellement, je sens que je ne suis pas « normale ». Je n’arrive pas à me faire des amis, je ne sais pas vraiment comment parler avec les gens autour de moi. Pour les autres, ça a l’air facile.
Je suis plutôt du style solitaire. Autant en cours qu’à la maison, j’aime bien être dans ma bulle, mais une partie de moi aimerait tellement avoir de vraies relations avec le monde qui m’entoure.
Je me cache depuis toujours derrière mes amies pour ne pas passer mes journées seule, mais c’est difficile. Et puis, je n’ai pas envie de les déranger.
Ce qui est étonnant, c’est qu’au fond de moi, ça ne me dérange pas du tout de ne pas avoir plus d’amies que ça. Ceux que j’ai me suffisent. Mais je sens tout de même que ce n’est pas normal. Les autres adolescents de mon âge ont de nombreux amis. Ils parlent à tout le monde, s’invitent les uns chez les autres. Alors que je peux complètement me contenter des trois personnes qui me sont le plus proches.
À la maison aussi, c’est compliqué. Même si nous sommes une famille nombreuse de cinq enfants, j’ai l’impression d’être tout le temps seule. Mon grand frère de 17 ans demande beaucoup d’attention parce qu’il est difficile et qu’il n’y arrive pas au lycée, mes sœurs de 11 ans parce qu’elles sont jumelles et entrent au collège, et mon petit frère de 5 ans parce qu’il est adopté et encore petit.
Je ne suis pas vraiment proche de mes frères et sœurs. Je ne dis pas que nous ne partageons rien, simplement que nos centres d’intérêts communs ne sont pas très nombreux. Alors effectivement, nous avons ensemble créé des mondes de Playmobils incroyables, fabriqué des voitures en Lego à des escargots, joué à la console des heures durant. Disons que j’ai davantage l’impression que nous sommes des partenaires de jeux plutôt qu’une famille.
Pour mes parents, je suis « l’enfant parfaite » : celle qui a de bonnes notes, que les profs aiment, et qui ne fait pas de vagues. J’ai l’impression qu’ils en oublient que malgré tout ça, je suis juste une enfant qui a besoin de l’attention de ses parents.
En tout cas, c’est sûr, cet été sera mon dernier, et je n’irai pas au lycée ! De toute façon, je ne serai jamais maman, il faudrait que je trouve un garçon pour ça. Et puis, je ne serai jamais maîtresse, tout le monde trouve que j’ai trop de capacités intellectuelles pour être « une simple enseignante ».
J’ai fait ma rentrée au lycée, finalement. À dire vrai, j’ai voulu essayer d’en finir. J’en ai marre d’être malheureuse sans comprendre pourquoi, mais, et si ça avait raté ? Il aurait fallu que j’explique mon geste à mes parents, et ça, c’est hors de question.
Mais pire encore, et si j’avais réussi ? Qu’est-ce que mes parents auraient dit à Mathias ? Il est si petit, et je l’aime tellement. Je ne peux pas lui faire ça. Si je ne suis pas là, qui s’occupera de lui ? Qui lui lira des histoires le soir ? Qui restera à ses côtés le temps qu’il s’endorme pour lui éviter de faire des cauchemars ? Il a besoin de moi, je n’ai pas le droit de l’abandonner.
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