Premier mois
90 - j’ai mis du temps à comprendre ce que signifiait ce nombre. 90, soit 4 SA (semaines d’aménorrhée). Je relis une dizaine de fois le titre au-dessus du tableau : « Évolution de l’HCG en cours de grossesse ».
Après plusieurs minutes, la réalité me frappe enfin : Je suis enceinte.
Je me le répète, encore et encore.
Je l’ai tellement attendu, je n’y croyais presque plus. Et pourtant, c’est là, sous mes yeux.
Bien sûr, une montagne de questions me submerge. Cette grossesse ira-t-elle jusqu’au terme ? L’œuf s’est-il correctement implanté ? Et si c’était un faux positif ?
Je n’ai pas le temps d’y réfléchir davantage : je dois me préparer pour mon dîner d’anniversaire avec mes parents.
La soirée s’écoule dans un brouillard, et quand nous rentrons, ce n’est pas encore demain.
Je le regarde. Dois-je lui annoncer ?
J’hésite un instant, puis je me lance : « Tu sais, une vie se joue avant 25 ans. Je m’étais promis d’avoir un métier, une maison, un mari, et un enfant. Il ne reste que quelques minutes avant que ce soit trop tard. »
Il me répond : « Il ne te manque que l’enfant, mais tu as tout le reste ! »
Je lâche alors la bombe : « En réalité, même l’enfant, c’est bon. Je suis enceinte. »
Il ne me croit pas au début. Je ne peux pas lui en vouloir, moi-même j’ai mis des heures à l’accepter.
Et c’est là, en prononçant ces mots à voix haute — « Je suis enceinte » — que je réalise vraiment. Trois mots qui frappent mon cœur comme une explosion.
Pour la première fois, je ressens une joie sincère. Pas cette joie de façade, celle qu’on pense devoir éprouver lors des événements « heureux » comme mon mariage ou l’obtention de mes diplômes.
Non, une joie pure, profonde.
C’est aussi la joie d’avoir enfin réussi la quête principale d’un jeu que je n’avais jamais voulu commencer. Pour une fois, je suis vraiment heureuse de jouer.
Aujourd’hui, j’ai 26 ans. J’ai envie de hurler sur tous les toits que je suis enceinte.
Et pourtant, j’ai peur.
Ai-je vraiment envie de l’annoncer, si cette histoire devait se terminer en échec ?
Aurais-je la force de dire à tous que cette grossesse tant espérée ne mènera peut-être nulle part ?
Je tourne cette question dans tous les sens.
Si je ne le dis à personne, j’ai peur de me réveiller un matin en réalisant que ce n’était qu’un rêve. Mais si je le dis, j’ai peur que cela porte malchance.
Encore une fois, je décide de choisir la voie la plus rationnelle. Je n’en parle qu’aux personnes qui ont un réel intérêt à le savoir.
Je l’annonce donc à mes amies les plus proches, pour obtenir soutien et aide dans la compréhension des résultats d’analyse (quatre cerveaux valent mieux qu’un).
Et au directeur de mon école, afin qu’il soit au courant dans mon cercle professionnel.
Jusqu’ici, à chaque annonce, les réactions se limitaient à des félicitations.
Mais le directeur a eu un discours différent.
Il a commencé par me féliciter, puis a ajouté : « Si jamais cette grossesse ne fonctionne pas, ce n’est pas grave, tu pourras recommencer. »
Pessimiste ? Cruel ? Peut-être.
Mais à ce moment précis, c’était exactement ce que j’avais besoin d’entendre.
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