La maternité

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Nous sommes dans la chambre. La fatigue commence à me rattraper après une journée intense et une nuit presque blanche.
Je le regarde. Il dort. Paisible. Est-ce que cela signifie que j’ai enfin le droit d’y croire ?

Mon conjoint part. Je reste seule, pour la première fois. Très vite, on entre pour me demander de le nourrir. On me montre encore des positions… que je n’arrive pas à reproduire.

Je panique. J’ai beau connaître la théorie — madone, madone inversée, ballon de rugby, allongée — rien ne fonctionne.
L’infirmière sort en disant qu’on réessaiera, mais que si ça ne marche pas, il faudra passer au biberon.

J’acquiesce en silence, mais à l’intérieur, je m’effondre. Encore un échec. Je m’étais promis de réussir l’allaitement.
Et je ne suis même pas capable de nourrir mon propre bébé.

Je le tiens dans mes bras. Je l’observe.
Je sais que je suis nulle pour comprendre les adultes. Mais les enfants, je comprends.
Alors j’essaie, encore et encore. Je bouge, je le replace, je teste… et enfin, ça marche.
La position en ballon de rugby. Celle qu’on ne m’avait pas encore montrée. Celle qui nous convient à tous les deux.

Un énorme soupir de soulagement.
On a réussi. Ensemble.

Avant de vivre l’allaitement, j’avais lu des tas de témoignages. Des récits de femmes parlant d’un lien magique, unique, presque mystique.
Mais maintenant que je le vis, je ne ressens rien de tout ça. Je le regarde téter, et j’attends… mais rien.

Je mets ça sur le compte de la fatigue.
On s’endort, l’un contre l’autre.

La nuit est courte. Plusieurs réveils. Plusieurs tétées.

On est réveillés par le petit déjeuner.
La journée s’annonce calme. Les examens auront lieu demain. Il suffit de le nourrir et de le garder au chaud.

Trente-sept heures qu’il est né.
Et toujours pas de pipi. Mon cerveau s’emballe.
Est-ce de ma faute ? Est-ce à cause de mon lait ? Il pleure, il a faim, je le sens.
Je me persuade que c’est moi le problème.
Les infirmières me disent que ce n’est pas encore inquiétant. Mais est-ce vrai, ou juste pour me rassurer ?

On vérifie sa couche toutes les vingt minutes.
Et enfin, il apparait… un petit trait bleu sur la couche. Un pipi.

Un soupir, presque un sanglot.
Cela peut paraître insignifiant, mais moi, je me souviens des articles : « Les premières urines doivent apparaître entre 12 et 24 heures après la naissance. » Il lui aura fallu 37 heures. Mais il l’a fait. Encore une case cochée.

Mais pas de victoire trop vite. La pesée arrive. Il a encore perdu du poids. Moins de 7 %, certes. Mais c’est encore une pression, encore une donnée, encore un chiffre.
Et on me reparle du biberon. Cette fois, la cause est claire : je ne produis pas assez de lait.

Et toujours… toujours, ce lien qu’on promet dans les livres, dans les récits… il ne vient pas. Mais cette nuit, je sens enfin ma poitrine se gonfler. Je vois qu’il avale mieux.
Je comprends alors que ce lien magique, je ne le vivrai pas. Et ce n’est pas grave.

J’aime allaiter. C’est agréable. Je le vois rassasié. Mais ce n’est pas une expérience transcendante. Juste… naturelle.

Ce qui me rassure, en revanche, c’est que mon corps fonctionne. Je sais que le biberon n’est pas un échec en soi. Mais je veux lui offrir ce que j’estime être le meilleur.
Et scientifiquement, je sais que c’est mon lait.
Alors je m’accroche.

Le jour se lève. Nouvelle pesée.
Je suis tendue. S’il a encore perdu, je n’aurai pas la force de dire non au complément.
Je fixe la balance… Et enfin, un peu de répit. Il a repris quelques grammes. Un tout petit peu. Mais un début.

La pédiatre entre. Il pleure. Gênée, je plaisante :

— « Il préférerait être dans les bras, c’est un petit capricieux. »

Elle me répond, sèche :

— « Un bébé ne peut pas être capricieux. »

Et s’ensuit un long exposé sur le cerveau du nourrisson, la gestion émotionnelle, la notion de caprice.

Chaque mot est une claque. Je voulais juste détendre l’atmosphère. Et je me retrouve rabrouée, humiliée. Je sais qu’il n’est pas capricieux. Il est si petit. Mais encore une fois, je me sens maladroite, jugée, incompétente.

Je n’attends plus qu’une chose : rentrer dans ma chambre. Mais il reste le premier bain. On m’explique oralement comment le tenir, comment le plonger dans l’évier. Je ne comprends pas. Je m’y prends mal. On me le fait remarquer. Encore cette impression d’échec. Encore cette envie de fuir.

Le bain est fini. Il est propre. On retourne dans la chambre. Plus que quelques heures à passer ici. Je compte les minutes.

Dernier réveil dans cette chambre.
On attend encore la pédiatre, le carnet de santé, les ordonnances. La pesée est bonne. L’allaitement fonctionne. Il mange, dort, pleure moins. Les tests sont bons. Il voit, entend, bouge bien. Tout va bien.

Le pédiatre entre.

Dernières consignes.

Bien sûr, différentes de celles de la veille.

Je m’y suis habituée : chaque professionnel a sa version.

Mais cette fois, ses mots me réconfortent :

— « Ne faites que le nécessaire. Si tout va bien, laissez-le tranquille. »

Enfin une phrase qui me fait du bien.

Nous sommes prêts.

On rentre.

Chez nous.

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