— Billet 3
Nous ne parlons jamais de ses échappées. Cela ne m’est jamais venu à l’esprit, je dirais même qu’il est évident que ni l’un ni l’autre n’en parlions, autant pour elle que pour moi et sans rien s’en dire. Est-il toujours besoin de parler pour s’entendre ? Pas du tout. Nous pouvons tout à la fois nous taire et nous transmettre nos choses, au travers de nos silences, regards, sourires, humeurs, l’on se sait, se devine, et captons le spectre intime de nos mots en creux.
J’aime cela, les mots nichés sous les côtes laissant toute la place à nos respirations. Quand nous marchons dans la forêt, le dimanche, ou les jours de semaine où nous nous retrouvons plus tôt, juste frôler sa main, rien qu’un peu. Nos pas qui froissent les feuilles, des odeurs de mousse et de résine à pleins poumons, visages tendus aux rayons d’entre branchages, un écureuil tout de roux ébouriffé qui court sur la branche, son rire à elle, cerf-volant, qui monte au plus haut des cimes, à narguer le ciel. La nuit qui vient, le chemin que l’on retrouve à tâtons, et les mots qui s’articulent à nouveau à l’abri de nos murs, comme des secrets chuchotés dans la lueur du poêle, qui sont poèmes comme banalités, sans distinction, soupe ou poêlée ? Merde il faut sortir les poubelles vertes, ta mère a laissé un message pour que tu la rappelles, ils font des travaux sur l’A7 j’ai perdu trente minutes dans les embouteillages ce matin, et si on partait à la mer en Avril ?
Nous ne parlons jamais de ses échappées, mais bien avant que je ne m’en rende compte, que je puisse seulement m’approcher de l’idée, elle m’a pourtant laissé des indices que je n’ai relevés que bien plus tard.
C’était juste avant que nous nous installions ensemble. Combien d’élans, de frissons et d’impatiences scratchés net devant une cuisine trop sombre, trop colorée, petite, insignifiante, basse de plafond, graisseuse, négligée ? Je pensais alors qu’elle ne désirait peut-être plus, ou pas vraiment, cette installation commune, que la machine était allée trop vite, qu’elle avait besoin de temps, de temps ou d’espace, d’ailleurs j’en étais à me convaincre qu’après tout rien ne nous obligeait à fondre les nôtres, et puis il y a eu la petite maison à côté de la forêt. Un village de pierres grises, quelques échoppes, un marché. Un village tranquille près d’un cours d’eau, et bien plus loin, nichée à flanc de forêt près de personne, la petite chaumière, ses barrières blanches tordues, édentées, son terrain fouillis en jachère, son porche un peu terreux. Je la regardais, elle, tout sourire. L’entrée directe sur le salon, sa cheminée, on a bifurqué à droite toute, chambre, salle d’eau, je redoutais. Revenu au salon, à gauche toute, ouvert sur la cuisine. Blanche, immense et haute, un peu poussiéreuse, mais deux grandes fenêtres à petits carreaux, une vue sur le ciel, les arbres et les oiseaux, de belles poutres bien charpentées, une odeur en devenir de confitures qui mijotent, de la buée qui s’accroche aux rideaux. L’espace pour un grand frigo, blanc évidement. C’est la première chose qu’elle a installée.

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