— Billet 8
La porte du frigo —extérieure, est notre boîte aux lettres amoureuse.
Elle y aimante des petits mots dont je suis le destinataire.
Le premier je l’ai lu avec un sourire, et l’ai laissé-là, sur la porte, sous le magnet de la Norvège. Le soir venu, elle n’a pas compris qu’il soit encore sur la porte.
Quand elle dit, elle fait une boucle.
Ses mots sont un cercle tendre, ils entourent.
Jamais frontale.
Les mots bas, chuchotés presque, mots échappés de son regard un peu contrit.
Elle a dit, peut-être, je t’avais laissé un mot.
Il faut savoir la lire, dans ces instants-là, comme il faut savoir lire l’amour qu’elle tisse dans le grain du papier, qu’elle lie avec ses encres. Elle écrirait avec son sang que se serait tout pareil, que cela ne me choquerait pas.
Il faut entendre que je dois me faire cueilleur, cueillir ses mots, les accueillir en moi, la soulager d’une déclaration et la garder sous mes côtes, la couver, sans qu’elle n’y soit confrontée à nouveau.
Depuis je cueille chaque mot à la première lecture, je décolle la Norvège, l’Italie, le Portugal, tout autre pays ou ville qui nous a traversé, et les range dans leur tiroir — le premier sous le plan de travail à gauche du frigo. Je cueille et conserve. Parfois je laisse s’envoler, ses billets le premier rayon du jour qui réchauffe. Quelques autres fois, une obsession de tout le jour, et je pense alors à la nuit.
Tu as dormi avec la main ouverte.
Il fait si gris, presque cela me coupe le souffle. Je voulais du bleu aujourd’hui, et te sentir contre mon dos.
Parfois elle accompagne son billet d’un quelque chose.
Avec une grande feuille rouge et brune :
Elle est belle non ? C’est la pluie et le vent qui l’ont plaquée contre le volet. J’aime tant vivre ici.
Avec une réclame :
Vide-grenier dimanche ça te tente ? On chassera des trésors. J’imagine un carillon pour le porche, des tintements légers quand on va et vient, une musique qui accueille et protège nos pas, et toi ? De quoi rêves-tu ?
Des mots tout nus encore, plus longs, comme des presque bouts de journaux :
Je t’ai laissé dormir, je me suis collée à ton dos, et c’était si dur de se décoller. Rendez-vous aux impôts, la barbe. Comment en est-on arrivé là, à s’imposer toutes ses paperasses, à faire comme si c’était normal, impératif, nécessaire. Parfois je rêve qu’on vive sur une île loin de tout, sans rien que l’eau, on a la forêt quand même, l’eau ce serait bien aussi, et du sable qui se colle contre nos peaux rougies. Ce matin sur tes yeux mon petit loir, la marchande te veille.
N’oublie pas le pot ce soir. Pas envie, mais il faut, et que tu m’accompagnes. Les gens du boulot, les conversations blanches, politesses, oh je sais. Mais il y aura un chef pour le buffet, des petites choses qui nous pétillent en bouche, on se tiendra la main, paumes contre paumes, ce sera long, et à la fois l’ivresse nous viendra, et quand on rentrera en tanguant, je te demanderais de me baiser contre le frigo. C’est un bon compromis ? (mais ne vas pas croire, j’en aurais vraiment très envie ! )

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