Les ducs

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— Connaissez-vous le PAS « C » ? Oui… Non ?

Je sonde le groupe d’imbéciles qu’on m’a chargé d’accompagner sur la Terre-mère. Même pas intéressés ! Si seulement il y en avait au moins un seul qui fasse l’effort de poser une question, mais non, ce sont des DUCS, des demi-urbains castrés du si-boulot qui ne pensent pas, qui se laissent porter par un flot de revenus tiré des loteries galactiques, sans que « lendemain » leur apparaisse autrement que jouissif. Pas d’envies, pas de regrets, tout leur tombe tout cuit dans le bec directement alimenté par leur MIA. On me les a tous rassemblés pour les décrotter un peu, si possible. Leurs faces bovines traduisent un cerveau mou auquel nul effort n’a été demandé depuis un quart de siècle. J’en suis ravi. Je me flinguerai si quelqu’un m’affirmait que je deviendrai comme eux.

— Non ? Le PAS est l’abréviation de Passage Accessible par Supratransmetteur, et le « C » ne désigne pas le troisième niveau, mais le calibre visé, dans ce cas l’ère antésolaire.

J’ai un doute. Comprennent-ils ce que je dis ? Savent-ils seulement parler ? Leur MIA leur traduit-elle mes propos en tétages de biberons aromatisés à la pistache ? Pas penser, faire comme s’ils étaient intelligents, peut-être qu’il reste une once de neurones à exploiter. Faire comme si. Après un silence impressionnant, mais bizarrement sans pression aucune venant d’eux, je reprends :

— Nous irons donc en voyage sur la planète qui a vu naître nos ancêtres, bien avant que l’Homme quitte définitivement son système solaire…

Holà, faut que je me calme ! M’astreindre aux explications simples, être universel, rassurant qu’on m’a dit, faut pas les brusquer, juste les orienter, voire les diriger pour leur sécurité. Ça devrait être du gâteau, tous les accompagnants de ducs n’ont cessé de me répéter que c’étaient les groupes les plus faciles. Pas d’initiatives, excellents pourboires. Par contre : interdit d’en perdre un seul en cours de route !

— Le créneau qui nous sera ouvert est fixé à Sion, un endroit très chargé d’Histoire, vous verrez, ce sera étonnant, nous pourrons y découvrir la vérité sur des évènements historiques, c’est-à-dire qui remontent à l’origine de l’Homme. La date à laquelle nous « atterrirons » est fixée au 30 juin 2300. Je le répète, ce n’est pas moi qui aie programmé le créneau, et, comme vous, je vais découvrir ce lieu en y arrivant. Des questions ?

Je n’en attends aucune et suis très surpris d’entendre

— Dois-je prévoir quelque chose de particulier à emporter ?

Je regarde la ducs en papillonnant des yeux, la bouche oublieuse d’une bonne éducation, puis je salive, referme la bouche et articule après une trop longue hésitation

— Non, je ne vois pas, vous aurez votre enveloppe spatiale, une LITE5.66, le dernier modèle, climatique, filtrant, hyperléger, avec siège confortable ajusté par pression atmosphérique, sac-en-dos automobile dans lequel vous trouverez à manger, à boire et de quoi vous divertir si la visite vous ennuie. Le voyage, tout compris, ne durera que trois heures, dont une heure pour l’aller-retour, le temps d’embarquer tout le monde. Vous êtes une quarantaine, ça prendra un peu de temps. D’autres questions ?

J’attends vingt secondes avant de lancer les mots que tout le monde attend

— Alors, je vous libère et vous dis à demain, dix heures, ici, au même endroit. Votre Mia recevra toutes les instructions utiles. En attendant, je vous souhaite une agréable détente dans le complexe ! À demain.

Je déclenche une impulsion télépathique qui leur permet de reprendre le contrôle de leur siège et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tous se sont envolés vers d’autres horizons, sans même un adieu ou un remerciement. Ils sont comme ça, les ducs, tout leur est naturellement dû. Je suis perplexe. Je me demande qui a décidé pour eux de cette excursion dans le passé. Est-ce que leurs Mias ont formé un collectif ayant désiré s’instruire ? Ma Mia, qui sait que je ne supporte pas être interrompu dans mes conférences, refait acte de présence et me signale que les Mias n’ont pas besoin de ce type de voyage physique pour s’instruire. Je fais la moue. Les Mias racontent bien ce qu’elles veulent, mais comment pourraient-elles s’instruire sur l’Homme sans expériences concrètes à analyser ? Elles n’en sont pas encore à vraiment « ressentir », elles font juste comme si. Et même si elles contrôlent plus ou moins les flux d’ondes perceptives qui remontent du temps, il faut bien être physiquement quelque part pour « sentir » ce que dégage un lieu. Je la sens qui fait la gueule. Mais cela ne va pas durer, les Mias ignorent les basses valeurs de considération humaine.

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