LA CONNASSE
Elle passa toute la journée, et toute la soirée, à se demander pourquoi Paul ne lui avait pas demandé sa main en vrai.
S’il l’aimait, pourquoi ce mensonge aussi grand ? Pourquoi mentir quand on peut dire une vérité toute petite ?
Elle n’était pas conne. Elle se dit :
Et si c’était vrai, cette histoire d’héritage ?
Luz regarda par la fenêtre avec un enthousiasme bizarre, presque nerveux. Une bouffée de fumée sortit de sa bouche. Elle écrasa sa cigarette contre la vitre. Le soleil se levait doucement. Il faisait bon sur Paris.
Dans quelques heures, l’avion atterrirait. À bord, la famille Vernat.
Paul, lui, s’activait. Il voulait que tout soit parfait. Faire bonne impression. Il prit son téléphone et tenta d’appeler Luz. Pas de réponse.
— La connasse…, souffla-t-il.
Il laissa un message vocal :
— Coucou mon amour. C’est le grand jour. Pas de nouvelles de toi, t’es sûrement pas encore réveillée. Fais-moi signe, s’il te plaît.
Même après trois heures, Luz restait injoignable.
La mère de Paul était une femme un peu vieille, très exigeante, mais toujours délicate dans ses gestes.
Le père, lui, c’était une autre histoire. Brutal, sévère, audacieux. Et très vieux.
— C’est pas mon abruti de fils que je vois là ? lança le père.
— Père… content que tu sois là, répondit Paul.
— Pas moi, marmonna-t-il.
— Mère ! dit Paul en se tournant vers elle.
— Mon fils ! Tu m’as tellement manqué. On dirait que t’as vieilli… mais t’es toujours aussi beau. Tu m’aides ?
— Bien sûr.
Il prit les bagages, courut jusqu’à la voiture, se précipita pour lui ouvrir la porte… Trop tard. Elle était déjà installée à l’arrière. Honteux, Paul s’installa au volant.
— Le voyage s’est bien passé ? demanda-t-il.
Silence. Gênant.
— Ça fait longtemps que les Tondreau n’y…
— Chut. Tu peux juste… te taire ? coupa sa mère.
— Bien sûr, mère, répondit Paul en serrant les dents.
Le reste du trajet se fit dans un silence de mort, seulement rythmé par les klaxons parisiens.
Fatigués, ils arrivèrent enfin à l’appartement.
— Enfin, on est arrivés. Chérie, réveille-toi… T’as besoin d’un bon lit. Tu descendras pour le dîner, dit la mère.
Puis elle se tourna vers Paul :
— Rassure-moi, Paul… la fille sera là ?
— Bien sûr, mentit-il.
— Parfait alors.
Elle monta à l’étage sans rien ajouter. Le père s’installa dans le salon, un verre à la main. Du scotch. Un vieil ami passa, frappa à la porte. Échecs, rires, souvenirs. Les vieux ne s’ennuient jamais vraiment.
Paul, lui, resta dans la voiture. Il tenta encore d’appeler Luz. Rien. Silence. Toujours.
Il se dit qu’il allait devoir mentir. Encore. Comme toujours. Il avait déjà sa version :
Accident de voiture.
Classique.
Ses parents connaissaient la chanson.
Il s’endormit la tête sur le volant. Ce fut la bonne qui le réveilla.
— Monsieur Paul… dans quinze minutes, on passe à table.
Il hocha la tête, rassembla ses pensées, ses mensonges, ses regrets.
— Tu ne t’es pas changé ? lui lança sa mère en descendant.
— Pas nécessaire. L’honneur est à toi… et à papa.
— Il est où, ton père ?
— Me voici, chérie, répondit le vieux Vernat.
Et soudain… la porte sonna.

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