AU ROI
Le soleil cognait si fort que même la mer semblait fatiguée. Les vagues se brisaient paresseusement sur le sable chaud, éclaboussant à peine les chevilles des enfants qui couraient en criant.
Au milieu de ce décor, Narky régnait.
Grand, la peau couleur caramel foncé, un sourire large qui montrait ses dents bien alignées, Narky avait ce genre de visage qu’on remarque tout de suite, même dans une foule. Ses cheveux, des boucles courtes toujours bien entretenues, luisaient presque au soleil. Il portait un short de bain blanc avec une bande dorée sur le côté, et ses lunettes de soleil semblaient sortir tout droit d’un clip de rap.
Son corps était celui d’un type qui ne rate jamais une séance d’abdos mais qui ne se prive jamais non plus d’un bon barbecue. Il dégageait quelque chose de tranquille, de sûr de lui — pas le genre de mec qu’on voit triste.
— Narkyyyy ! cria Momo en courant vers lui, essoufflé.
— Frè m’, ou t’ap kouri tankou se polisye ki dèyè ou ! répondit Narky en éclatant de rire.
Momo tomba sur le sable, haletant.
— Tu te crois trop frais là, couché comme un roi.
— Mais je suis un roi, Momo. Regarde autour de toi !
Effectivement, autour de lui, trois filles en bikini jouaient avec les cheveux de Narky comme si elles étaient ses suivantes. L’une s’assit carrément sur son ventre.
— Tu es lourd, man, dit-elle en riant.
— C’est pas moi qui suis lourd, c’est mon compte bancaire, ma chèrie.
Tout le monde éclata de rire. Une autre fille leva son verre et cria :
— Au roi de la plage !
Narky fit semblant d’incliner une couronne imaginaire sur sa tête.
— Merci, merci. Le discours du roi sera plus tard, après le cinquième verre.
Le reste de la bande les rejoignit avec un gros sac de glace et des bouteilles.
— Mec, t’as encore payé la glacière pour tout le monde ? demanda Momo.
— Bah ouais, mec. Si je suis riche et que personne le sait, ça sert à quoi ?
Il vida son verre d’un trait et fit signe au vendeur ambulant d’apporter encore des brochettes. L’odeur de poisson frit et de bananes pesait dans l’air.
— Papa m’a toujours dit : Narky, si tu meurs demain, au moins que tu meures propre et bien habillé.
— Et tu écoutes encore ton père ? lança l’un de ses amis en riant.
— Je l’écoute pour les bonnes phrases, pas pour les sermons.
Il marqua une pause, ses yeux se voilèrent un instant. Il se souvenait de son père qui revenait du travail avec des sacs remplis de jouets, de chaussures, de montres…
Flashback
— Papa, pourquoi t’achètes tout ça ?
— Parce que je peux, fiston. Et parce que la vie est courte.
— Et si un jour on n’a plus d’argent ?
— Ce jour n’existe pas, mon garçon.
Narky cligna des yeux, secoua la tête, sourit à nouveau.
— L’argent, les gars, c’est comme la mer, ça revient toujours.
Il montra la vague qui venait de se casser sur le sable. Les filles applaudirent.
— Philosophe de la plage ! cria l’une d’elles.
Le reste de la journée se passa dans un tourbillon : musique à fond, bouteilles qui se vidaient, danse sur le sable brûlant, rires jusqu’à en avoir mal au ventre.
À un moment, un de ses potes cria :
— Eh Narky, tu comptes nous inviter sur un yacht aussi ?
— Bientôt, frérot ! Si je trouve un capitaine qui accepte de me laisser conduire, c’est mortel !
Ils rirent encore.
Quand la nuit tomba, ils firent un feu avec des morceaux de bois trouvés sur la plage. L’ambiance devint plus intime.
— Sérieux Narky, tu dors quand ? demanda Momo.
— Quand je serai mort, man. Là j’ai encore trop de filles à faire rire et trop de bouteilles à finir.
Tout le monde éclata de rire, une fille le poussa doucement dans le sable, ils roulèrent ensemble en riant.
Tard dans la nuit, quand la plage se vida, Narky rentra chez lui. La route était calme, les lampadaires projetaient une lumière jaune sur son chemin.
Il entra, balança ses sandales dans un coin et alluma la télé, mais baissa tout de suite le son.
Sur la table, il y avait une enveloppe blanche avec son nom en gros : NARKY LAMAR.
— Encore des factures ? murmura-t-il.
Il la prit, la retourna, la reposa.
— Demain…
Puis il se servit un dernier verre, s’effondra sur le canapé, et s’endormit avec la mer encore dans ses oreilles.

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