Le Roi Déchu

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Narky se réveilla tard, les yeux gonflés, la tête lourde. La lettre était toujours sur la table, mais cette fois elle avait un poids différent.

— Ok… aujourd’hui, je gère.

Il s’habilla en vitesse, mit une chemise propre, et prit rendez-vous avec l’avocat.

Le bureau sentait le cuir et la paperasse. Maître Durand, un homme sec avec des lunettes trop petites, lui fit signe de s’asseoir.

— Monsieur Lamar, votre père avait accumulé plusieurs crédits sur une période de dix ans.
— Crédits ?! Mon père ? Non monsieur, mon père payait tout cash. Il disait toujours…
— …que la vie était courte ? répondit l’avocat en consultant un dossier. Oui, il le disait souvent aussi à la banque. Sauf qu’il empruntait.

Narky resta bouche bée.

— Donc… vous êtes en train de me dire que la maison… la voiture…
— Tout est hypothéqué.

Narky éclata de rire.

— Waw ! Papa m’a laissé un héritage… mais c’est un héritage négatif !

L’avocat ne sourit pas.

— Vous avez trois mois pour régulariser la dette, sinon nous devons procéder à la saisie.

Narky se leva d’un bond.

— Trois mois ? Mais moi je pensais que vous alliez me donner une médaille, moi, pour avoir supporté un père pareil !

L’avocat le regarda sans bouger.

— Je suis sérieux, Monsieur Lamar.

Narky sortit du bureau en ricanant, mais son rire se transforma en soupir dès qu’il fut dehors.

Le soir, il retrouva ses amis à la plage, mais il ne paya pas les premières bouteilles.

— Eh Narky, woy ! Depuis quand c’est nous qui devons payer la première tournée ? dit Momo en riant.
— Je vous laisse briller un peu, les gars. Même le roi doit reposer sa couronne.

Il fit semblant de sourire, mais son téléphone vibrait sans cesse. Numéros inconnus.

Les jours suivants, il essaya tout :

  • Revendre des montres qu’il avait achetées avec son père
  • Faire des “affaires” douteuses avec des types du quartier

Chaque soir, il retrouvait ses amis pour ne pas perdre la face.

— Mec, t’as l’air fatigué, dit Momo un soir.
— Je fais du sport… pour mon corps… pour mes abdos… et pour éviter les dettes qui me courent après !

Tout le monde éclata de rire, croyant que c’était une blague.

Une semaine plus tard, un huissier vint frapper à sa porte.

— Monsieur Narky Lamar ? Ceci est une sommation.

Narky prit le papier en souriant.

— Merci, chef. Vous voulez un verre d’eau ?

— Non merci. L’huissier partit, confus.

Narky referma la porte et s’adossa contre elle.

— Ok… ça commence à chauffer.

Il s’assit sur le sol, la tête dans les mains. Pour la première fois depuis des semaines, il resta silencieux. Pas de musique, pas de rire, juste le bruit de son cœur qui battait fort.

Le soir même, il alla sur la plage mais resta à l’écart. Ses amis finirent par venir le voir.

— Frè m’, tu nous fais flipper. C’est quoi ton problème ?
— J’ai juste… des trucs à régler. Mais t’inquiète, le roi n’abandonne jamais son trône.

Il força un sourire, mais dans ses yeux, on voyait que la couronne était en train de glisser.

Le matin où tout bascula, Narky se réveilla au son d’un camion.
Pas un camion de livraison.
Un camion de déménagement… mais pas le sien.

— C’est quoi ce cirque ? cria-t-il en descendant.

Un huissier était là, accompagné de deux hommes.

— Monsieur Lamar, vous êtes en retard de deux paiements. Conformément à la décision du tribunal, nous devons vider les lieux aujourd’hui.

Narky resta planté là, torse nu, en short.

— Aujourd’hui ? Mais j’ai même pas fini mon café !

— Vous pouvez le finir dehors, dit l’huissier sans lever les yeux.

Les hommes commencèrent à sortir les meubles. Son canapé, sa table basse, ses fringues.

— Hé, doucement avec ça, c’est du cuir ! cria Narky.

Mais personne ne l’écoutait.

En une heure, la maison fut vidée. Narky resta assis sur le trottoir, entouré de ses affaires entassées dans des cartons.

Il prit son téléphone et appela Momo.

— Woy, frère, tu peux venir me chercher ?
— T’es où ?
— Devant ma maison. Enfin… ce qu’il en reste.

Momo arriva avec deux autres amis. Ils descendirent de la voiture, choqués.

— Mec… c’est quoi ce délire ?
— C’est pas un délire. Mon père était fauché. Et moi aussi maintenant.

Silence.

— Attends… tout ce temps tu nous laissais payer les bouteilles, tu faisais comme si tout allait bien…
— Je voulais pas que vous me voyez comme un looser.

Ses amis se regardèrent. Momo secoua la tête.

— Mec, on n’a pas que ça à faire. On a nos propres problèmes.

Ils remontèrent dans la voiture et partirent, le laissant seul avec ses cartons.

Narky resta là jusqu’à la tombée de la nuit.
Plus de maison.
Plus d’amis.
Plus de blagues.

La plage, d’habitude pleine de rires, était vide ce soir-là. Il marcha le long du rivage, les pieds dans l’eau, le regard perdu.

— Alors c’est ça, la vie sans luxe…

Il éclata de rire, mais le son se brisa dans sa gorge.

Pour la première fois depuis des années, il sentit le poids de tout ce qu’il avait fui
Le deuil, la colère, le vide

Il s’assit sur le sable, la tête dans les mains

— Papa… t’étais pas un roi. Et moi non plus

Le bruit des vagues fut sa seule réponse.

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