Les pillards

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Trigger sur ce chapitre - violence sexuelle, violence aggravée

Les yeux bordés de larmes, la jeune femme contempla Maddox un long moment puis ses paupières se fermèrent, sa main qui tenait le pistolet s'abaissa mollement et elle s'effaça telle une ombre vers l'extérieur, laissant l'abri et tout ce qui s'y trouvait derrière elle.

L'air glacé du dehors l’enveloppa immédiatement, tranchant avec la chaleur rassurante du refuge. Chaque inspiration lui brûlait les poumons, un rappel brutal du monde qu'elle venait de choisir.

Derrière elle, le lourd mécanisme se referma dans un grondement sourd, scellant son départ.

Elle avança, un pas après l'autre, abandonnant les lumières artificielles, la sécurité relative, les visages… Maddox, Vesper, tous les autres qu’elle aurait pu apprendre à connaître.

Une brise soulevait la poussière autour d'elle, rendant le décor irréel.

Plus personne pour lui dire quoi faire, plus personne pour lui tendre la main ou lui barrer la route.

Elle était de nouveau seule.

Comme toujours.

Mais cette fois, c'était elle qui l'avait choisi.

Chassant ses larmes d'un revers de manche, elle porta son regard au loin, le visage fermé, se coupant de ses émotions.

Survivre.

Elle devait se concentrer là-dessus et sur rien d'autre.

Elle observa les possibilités qui s'ouvraient à elle. Puisqu'il n'était pas encore midi, elle avait encore du temps avant la nuit.

Retourner dans l'immeuble où ils avaient trouvé Elias ? Pas assez sûr. Que distinguait-elle dans les rues ; des maisons pavillonnaires ? Des immeubles, des boutiques ?

Fox scruta les alentours. Le ciel gris pesait bas sur la ville en ruines et une brume fine s'attardait entre les ruines des bâtiments.

À sa droite, une enfilade de maisons pavillonnaires à moitié effondrées, leurs façades délavées par le temps et le chaos. Elles offriraient peut-être des provisions ou un abri temporaire, mais aussi le risque d'être déjà occupées.

Devant elle , une rue plus large menait vers une rangée de petites boutiques délabrées. Des magasins d'alimentation, une pharmacie certainement déjà visitée et pillée. Avec un peu de chance, il restait des ressources exploitables. Mais les lieux commerciaux attiraient souvent les survivants désespérés et dans leur sillage, une faune bien pire encore.

Sur la gauche , un groupe d'immeubles délabrés dressait leurs silhouettes noircies par des flammes depuis longtemps éteintes. Certains étaient encore debout, offrant un point de vue en hauteur… et présentaient un bon endroit pour s'isoler et observer.

Une bourrasque glaciale souleva ses cheveux et gonfla son manteau.

Les brusques variations de température depuis le cataclysme devenaient difficilement supportables. Elle referma ses bras autour de son corps pour maintenir sa température interne. Rapidement, elle se mit en mouvement en direction des petites maisons d'habitation, de ce qui dut être dans le passé, un quartier chic et accueillant, plein de familles, d'enfants... Un instant, elle eut la vision de ce passé perdu. Là,un garçon aventureux pédalait avec vigueur sur le trottoir, essayant de prendre en tremplin chaque margelle. De ce côté, un chien, frisé, dans des teintes blondes, jappait au passage du facteur qui saluait chaque résident avec un sourire. Forcément, par là, un moustachu avec un polo vert, arrosait son gazon tout en surveillant ses voisins. En face, la nouvelle du quartier promenait un landau en espérant faire rapidement la connaissance de ses voisins et ne pas vivre seule, son post-partum.

Elle secoua la tête pour balayer ces fantômes. Elle s'arrêta devant la première maison qui semblait ne pas avoir été fracturée ; pas de fenêtres brisées, la porte encore fermée, autant d'indices laissant supposer qu'il y aurait encore des ressources à l'intérieur et surtout : personne.

Fox retint son souffle et posa une main sur la poignée. Le métal glacé sous ses doigts lui envoya un frisson dans tout le corps. Lentement, elle exerça une pression.

Verrouillée.

Pas surprenant. Les maisons intactes étaient rares et si celle-ci n'avait pas encore été visitée, c'était soit un coup de chance… soit un piège.

Elle recula d’un pas en arrière, inspectant rapidement les alentours. Le perron était recouvert d'une fine couche de poussière, uniforme, sauf pour une série de légères traces de pas qui s'arrêtaient devant la porte avant de repartir. Quelqu'un était venu ici, mais était-il entré ?

Ses yeux glissèrent vers les fenêtres. Les rideaux étaient tirés, mais il lui semblait apercevoir une ombre fugace derrière l'une d'elles. Imagination ou réalité ?

Elle prit le parti de contourner la maison, traversant un petit jardinet clos, en broussaille, pour dénicher une autre entrée, que ce soit par un garage, une porte arrière ou un sous-sol, comme ça se fait parfois.

Fox se faufila entre les herbes hautes et les buissons secs, s'efforçant d'être aussi discrète que silencieuse. Un zéphyr sifflait doucement entre les branches dénudées, masquant en partie le bruit de ses pas sur le sol jonché de feuilles mortes.

Derrière la maison, elle repéra une porte arrière légèrement encastrée dans le mur, typique des accès secondaires menant à une cuisine ou un cellier. Elle posa une main dessus. Verrouillée également.

À sa droite, un petit garage attenant. La porte métallique était fermée, mais elle remarqua un vieux digicode sur le côté. La peinture écaillée du boîtier laissait supposer qu'il n'avait pas servi depuis un moment.

Enfin, près de la base de la maison, à moitié dissimulée par la végétation, une trappe de sous-sol dépassait du sol. Un loquet de sécurité pendait de côté, tordu, visiblement forcé.

Fox sortit la machette offerte par Maddox de son sac à dos et souleva lentement la trappe menant au sous-sol. Elle contrôla sa respiration et descendit les premières marches avec prudence, habituant progressivement ses yeux à l'obscurité.

L'air était plus humide en bas. Une odeur de renfermé lui emplit les narines, mélange de poussière, de bois moisi et d'autre chose… quelque chose de plus métallique. Elle s'immobilisa sur les marches, tendant l'oreille. Pas un bruit. Juste le vide claustral d'un endroit abandonné.

Sa main se resserra sur la poignée de la machette alors qu'elle descendait un peu plus, ses semelles raclant légèrement le béton. Ses yeux s'adaptaient lentement à la pénombre. Des étagères en métal bordaient les murs, remplis de vieilles caisses et de bocaux vides. Un établi couvert d'outils rouillés occupait un coin de la pièce. Plus loin, elle distinguait une porte ouverte donnant sans doute sur l'intérieur de la maison.

Puis, son regard tomba sur le sol.

Une trace brunâtre s'étirait depuis le centre de la pièce jusqu'à la porte. Pas une flaque, pas fraîche… mais c'était du sang. Quelqu'un ou quelque chose avait saigné ici.

Un courant d’air effleura sa nuque. La trappe restée ouverte derrière grinça, secouée par une bourrasque.

Elle déglutit et saisit de sa main libre le battant qu'elle referma avec soin derrière elle. Pas verrouillée, juste repoussée sans un bruit pour éviter de devenir une invitation à quoi que ce soit de l'extérieur. Elle reviendrait la verrouiller plus tard, après l'inspection de la maison.

Elle finit de descendre les marches et contourna la trace de sang. Savoir qu'elle était séchée était rassurant. Elle s'approcha de la porte qui menait à la maison et la poussa lentement.

La porte s'ouvrit dans un frottement étouffé. L'intérieur de la maison était plongé dans une demi-pénombre, les rideaux tirés laissaient passer quelques rais de lumière poussiéreuse. L'air y était plus sec que dans le sous-sol, mais une odeur persistante de moisissure et de viande avariée flottait dans l'atmosphère.

Fox avança prudemment, sa machette levée. La cuisine se trouvait immédiatement à sa droite, son carrelage fissuré jonché de miettes et de vieux emballages. Une table en bois et ses chaises renversées occupaient le centre de la pièce. Le frigo était grand ouvert, vide depuis longtemps.

Un couloir s'ouvrait en face d'elle, menant sans doute au reste de la maison. Sur le sol, une autre trace brunâtre s'étirait en traînée irrégulière, disparaissant dans l'ombre plus loin.

Quelqu'un avait saigné et avait été déplacé.

Fox sentit son cœur s’accélérer.

Un bruit sec se fit entendre dans l'une des pièces du fond .

Impossible de récupérer quoi que ce soit tant qu'elle n’était pas certaine d'être en sécurité. Elle suivit donc le couloir en inspectant au fur et à mesure chaque recoin, chaque pièce, se déplaçant aussi furtivement que possible. Tout en étant méticuleuse sur son inspection, elle suivait la trace brune sur le sol.

La maison était figée dans un instant d'abandon, prouvant que ses anciens occupants étaient partis du jour au lendemain, laissant derrière eux un passé figé dans la poussière.

La première porte sur la gauche donnait sur un salon aux murs couverts de cadres photos. Un canapé bousculé trônait au milieu de la pièce et un vieux téléviseur affichait un écran noir ui jamais ne se rallumerait. Rien ne bougeait.

Fox revient dans le couloir et poursuivit sa progression. La trace brune devenait plus marquée, plus dense ; elle imagina que le sang avait coulé plus dru, peut être en raison d’une hémorragie.

La deuxième porte était entrouverte. Elle la poussa du bout de sa lame. Une chambre d'enfant. De vieux jouets épars, un berceau vide. Son cœur se serre d'horreur en découvrant le berceau qui s'associe à la peste de la mort. Mais fort heureusement, le lit d'enfant était vide, elle n'aurait pas à souffrir d'une découverte macabre qui lui aurait à coup sûr tiré un vomissement.

L'odeur y était plus forte, plus écoeurante. Fox ne put rentrer, mais elle attendit pour être certaine que rien ne bougeait dans l'ombre.

Le couloir se terminait sur une dernière porte close .

La traînée brune s'arrêtait juste devant .

Derrière, un autre bruit sec. Un raclement léger .

Quelqu'un… ou quelque chose était là.

Elle tendit l'oreille pour essayer d'analyser ce qu'elle entendait ; était-ce mécanique, comme une branche qui frotterait au carreau ? Ou irrégulier, comme une créature vivante et maladroite pourrait faire ?

Le raclement se répéta, irrégulièrement, hésitant. Un son qui n'avait rien de mécanique. Parfois un arrêt, une respiration lointaine, puis un déplacement… Quelque chose fouillait derrière la porte.

Fox raffermit sa prise sur la machette. Ses doigts étaient moites contre le manche. L'odeur était plus forte ici, étouffante, chargée de cette putréfaction familiale qu'elle avait appris à reconnaître.

Son instinct lui hurlait de partir. Mais elle savait aussi que laisser un danger inconnu dans son dos était pire que l'affronter de face.

Elle expira lentement.

Avancer prudemment et ouvrir, prêter à frapper ?
Reculer et sécuriser un autre accès ?
Ou contourner et trouver une autre approche ?

Elle observa la porte ; elle s'ouvrait vers l’extérieur. Un détail crucial. Elle balaya le couloir d’un geste, à la recherche d'un meuble assez costaud pour empêcher l'ouverture. Un bureau ? Une commode ? Même une simple chaise bien calée sous la poignée pourrait ralentir ce qui était à l'intérieur, le temps qu'elle trouve un plan.

Mais bloquer la porte signifiait aussi ne pas savoir ce qui s'y trouvait . Et si c'était un simple cadavre inerte, abandonné là depuis des mois ? Ou pire… si c'était quelqu'un encore en vie ?

L'odeur de la mort lui disait de ne pas ouvrir.
Mais l'incertitude lui murmurait qu'ignorer un danger était une erreur…

Son esprit d'analyse essayait de choisir la meilleure option. Elle avait entendu une respiration ou un mouvement, bref quelque chose qui bougeait. C'était pas un simple cadavre. Avait-elle vraiment envie de fracasser de nouveau un crâne ? Certainement pas si elle pouvait l'éviter. Cette simple pensée trancha pour elle.

Fox choisit le meuble le plus proche pour le tracter. Elle sentit ses muscles trembler sous l'effort alors qu'elle traînait la vieille commode en bois massif devant la porte. L'objet fit grincer le parquet, mais elle s'efforça de le bouger lentement pour minimiser le bruit. Une fois en place, elle empila une chaise branlante, un tabouret et même un large vase en céramique trouvé sur une étagère qui avait dû valoir une petite fortune.

Elle entassa dessus tout ce qu'elle trouva jusqu'en haut de la porte.

Elle recula légèrement, évaluant son travail. Si quelque chose voulait sortir d'ici, il allait devoir s'acharner. En tout cas, si quelque chose voulait passer, ça ferait un raffut de tous les diables et elle serait avertie.

Et dans ce cas, elle aurait largement le temps d'aviser.

Un craquement résonna derrière la porte lui fit retenir son souffle. Pas de doute, il y avait bien quelque chose ou quelqu'un là-dedans.

Fox serra la machette dans sa main un instant, compta dans sa tête jusqu’à dix, les mâchoires contractées. Elle recula encore d'un pas, l'oreille aux aguets.

Bon. Elle était loin d'avoir fini. Elle entreprit de retourner au sous-sol pour barricader la trappe. Après quoi elle se chargerait de vérifier tous les accès des portes et fenêtres. Enfin, il serait temps d'inspecter les placards et d'espérer y trouver quelque chose d'intéressant....

Fox redescendit prudemment l'escalier menant au sous-sol, fouillant l'obscurité, s'attendant y voir surgir une nouvelle menace. Une fois en bas, elle observa la trappe qu'elle avait simplement refermée derrière elle plus tôt. Si elle voulait vraiment être en sécurité, elle devait la condamner.

Elle scruta la pièce. Elle trouva une étagère métallique branlante contre un mur, encore chargée de vieux pots de peinture et de boîtes en carton humides. Avec effort, elle la fit basculer jusqu'à la trappe et la traîna juste au-dessous. C'était loin d'être une protection infaillible, mais ça compliquerait l'entrée à n'importe quel intrus.

Elle expira doucement et fit craquer sa nuque. Prochaine étape : s'assurer que cette maison était réellement un refuge.

Fox remonta à l'étage et entreprit un tour méthodique des lieux, testant chaque poignée de porte, chaque verrou de fenêtre. Certaines vitres étaient fendillées, mais rien ne semblait forcé. Une des portes-fenêtres menant au jardin ne se verrouillait plus correctement. Elle la bloqua avec un vieux balai trouvé dans une pancarte, coinçant le manche en travers des poignées.

Une fois satisfaite de la sécurisation des accès, elle relâcha un peu sa garde et s'autorisa enfin à explorer les placards et tiroirs de la maison. Elle espérait y trouver de la nourriture, des médicaments, ou n'importe quel objet utile.

Elle commença par la cuisine, ouvrant les portes une à une avec une lueur d'espoir à chaque boîte ou carton encore debout. La plupart étaient vides, témoins silencieux du passage d'autres survivants avant elle ou tout simplement, d’un départ organisé des prioritaires qui ne voulaient manquer de rien dans leur fuite.

Dans un tiroir, elle tombe sur un ouvre-boîte rouillé, toujours fonctionnel. Sur une étagère plus haute, elle trouva une boîte de haricots en conserve, cabossée mais encore scellée. C'était peu, mais c'était déjà ça.

En fouillant plus bas, sous l'évier, elle mit la main sur une bouteille d'eau à moitié pleine et quelques vieux torchons qu'elle pourrait toujours utiliser pour des bandages ou du nettoyage.

Elle poursuivit son inspection méthodique à travers la maison. Dans un placard de l'entrée, elle dénicha une vieille lampe torche. Lorsqu'elle l'alluma, la lumière vacillante indiquait que les piles étaient presque mortes, mais peut-être y en avait-il d'autres quelque part…

À l'étage, dans ce qui semblait être une chambre d'adulte, elle découvrit un buffet encore intacte. En fouillant les tiroirs, elle mit la main sur un pull en laine épaisse, élimé mais chaud et une paire de gants en cuir. Utile pour les nuits froides.

Puis, sous le lit, elle remarqua une boîte métallique fermée par un cadenas. Un sourire victorieux vient fendre sa bouche. Un trésor. Ça faisait le même effet qu'étant gosse.Si quelqu'un avait choisi de la dissimuler ici, c’était qu'elle avait de la valeur.

Mais sans clé, impossible de l'ouvrir immédiatement…

— Allez viens là, mon vieux copain, je savais que tu me serais encore utile…

La jeune femme, à genoux sur le sol, sortit le pied de biche du sac. Elle le glissa sous l'arceau de métal et en appui sur la boîte, elle fit levier pour faire céder l’attache...

Un craquement retentit dans la pièce alors que le cadenas cédait sous la pression. La boîte métallique s'ouvrit dans un léger grincement, révélant son contenu.

À l'intérieur, un revolver à barillet soigneusement emballé dans un chiffon sale. Un 38 spécial, à première vue. Un modèle robuste, fiable, mais un peu vieux. Fox le prit en main, évaluant son poids, testant le mécanisme. Il était en bon état.

À côté, une boîte de munitions partiellement entamée. Elle compta rapidement : huit balles. Mieux que rien.

Sous l'arme et les munitions, un morceau de papier attira son attention : une photo jaunie, glissée entre deux morceaux de tissu. Elle représentait un couple souriant, serrant contre eux un enfant en bas âge. Derrière, une inscription à moitié effacée :
"Pour toujours, peu importe ce qui arrive."

Fox la fixa un instant avant de la glisser dans son sac, sans trop savoir pourquoi.

Elle referma les doigts autour du revolver. Son Glock était presque à court de munitions, alors c'était une bonne trouvaille. Mais elle ne pouvait pas s'attarder. Elle rangea rapidement le tout, se relevant pour reprendre son exploration.

Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre pour évaluer le temps qui s'était écoulé mais même si le soleil dardait de ses rayons les rues, elle ne se sentit pas le courage de ressortir avant la nuit. Cette chambre serait un très bon retranchement. Elle tira sur le lit pour le caler contre la porte et empêcher son ouverture. Elle jeta le matelas par terre et se laissa tomber dessus. Elle échappa un soupir et sa main vint machinalement récupérer la photo trouvée. Elle la contempla un instant, se laissant emporter par une vague de nostalgie, de regrets et d'amertume. Elle ne vivrait jamais ça. Un couple. Un enfant.... elle fronça les sourcils et sans qu'elle ne sache pourquoi, ses pensées la ramenèrent à Vesper.

Un frisson parcourut son échine. La fatigue la rattrapait, mais son esprit refusait de se taire. Vesper. Cette vision d'horreur, cette expression inhumaine, ces stries sombres sous sa peau…

Elle s’était laissée berner par un regard enjôleur, endormir en dépit de toute raison. Quelle idiote, il avait suffi d’un sourire pour qu’elle oublie tout son bon sens… Certes, il lui avait tendu la main alors que tout s'écroulait, mais était-ce suffisant ? Elle avait bien vu ce dont il était capable dans la rue, sur les autres monstres. Ça cachait forcément un truc.

Elle serra la mâchoire. Pourquoi pensait-elle à lui maintenant ? Il n'y avait pas de réponse, juste un écho lancinant dans son crâne, il fallait qu’elle dorme. Tous ces gens dans cet abri allait forcément mourir. Ils vivaient avec un monstre. C’était comme s’ils étaient déjà morts. Ou du moins, devait-elle les considérer ainsi. Il ne fallait pas s’attacher dans ce monde.

Son attention revient sur la photo.

"Pour toujours, peu importe ce qui arrive."

Un ricanement amer lui échappa. Rien ne dure. Pas les abris, pas les promesses, pas les gens. Elle devait oublier cette rencontre. Elle avait pu se reposer, ce qui était déjà très bien, mais elle ne devait pas en espérer d’avantage.

Mais alors pourquoi ce sentiment de fuite inachevée ne la lachait-il pas ?

Fox passa une main sur son visage et repoussa ses cheveux en arrière.

Elle devait dormir. Juste un peu. Son corps en avait besoin.

Elle se roula en boule et tira une couverture par-dessus sa tête. Ce soir, la solitude pesait plus lourd qu'à l'habitude. Elle pleura sans bruit avant de sombrer dans le sommeil.

La nuit fut un enchaînement de visions troubles. Des visages sans traits, des ombres aux griffes longues, des murmures indistincts qui se transformaient en hurlements à mesure qu'ils s'approchaient. Vesper apparut, mais ce n'était plus lui. Ses yeux étaient des abîmes de ténèbres, sa peau parcourue de veines noires et quand il ouvrit la bouche, aucun mot n'en sortit, seulement un râle. Fox tenta de courir, mais ses jambes étaient lourdes, prises dans un sol mouvant.

Fuir. Elle devait fuir. Toujours fuir.

Un éclat de lumière. Un bruit métallique.

La machette dans sa main.

La silhouette en face d'elle vacilla, oscillant entre Vesper et un inconnu, entre le passé et le présent.

"Tu vas encore frapper, Fox ?"

Ce n’était pas sa voix. Mais elle était là, dans son crâne, lui broyant les tempes.

Sa main tremblait. Le poids de l'arme était insupportable.

Et soudain, une autre voix, plus lointaine, plus réelle… le choc du corps qui tombait sur l’asphalte devant elle… chaque bruit étouffé… chaque…

… bruit !

Fox ouvrit les yeux en sursaut, le cœur battant.

Elle n'était plus dans son cauchemar. Quelqu'un, ou quelque chose, venait de faire grincer le parquet juste derrière la porte de la chambre.

Encore engluée de sommeil et de ces horribles visions, elle rassembla ses idées en même temps que ses affaires. Sans savoir pourquoi, elle enfourna la photo dans sa poche. Puis elle se saisit du flingue et se cala dos au mur, face à la porte, les deux pieds en appui sur le montant du lit pour maintenir la pression dessus et empêcher qu'elle ne s'ouvre. Si elle s'ouvrait... elle tirerait. Rien à foutre.

Un autre craquement.

Plus proche, cette fois.

Fox sentait sa propre respiration rapide, saccadée, mais elle ne cilla pas. Le métal du Glock était glacé entre ses doigts, une ancre qui la rattachait à la réalité.

Plus un bruit. Plus un souffle, nulle part.

Mais son instinct lui hurlait que ce n'était pas fini.

Les secondes s’écoulèrent, avec une lenteur abyssale.. Puis, lentement, un nouveau son apparut.

Frottement.

Quelqu'un passait ses doigts sur le bois de la porte. Un glissement, doux, intime, qui remontait du bas vers le haut.

Fox raffermit sa prise sur son arme. Son cœur battait si fort qu'il résonnait dans sa cage thoracique.

Elle serra les dents.

C’était une caresse. Qui pouvait avoir une telle idée ?

Puis, il y eut un toquement, du bout des doigts, léger, léger qui se déplaça sur la porte, en cercles qui se resserraient en direction de la poignée.

Elle raffermit son appui avec ses épaisses semelles sur le bord du lit. Elle ne bougerait que si elle sentait que la chose essayer de forcer le passage. Vas y... tu veux gratter cette porte ? Gratte, je m'en fous. Moi je suis prête.

Le grattement s'interrompit.

Un vide épais retomba dans la pièce, mettant le doute à Fox qu’elle n’avait pas rêvé après ces bruits dérangeants. Elle resta figée, le Glock toujours pointé.

Ca s’éternisait.

Elle douta.

Sourcils froncés, elle baissa doucement le viseur.

Puis, un autre bruit.

Un souffle, contre le battant, juste dans l’interstice.

Comme si on avait voulu qu’elle l’entende. Profond. Forcé.

La peur coula en elle, lui brûlant les veines tel un acide liquide. Elle retint une volée de jurons, qui auraient pu la soulager… mais aussi confirmer sa présence si ce n’était déjà une évidence.

La poignée bougea.

Fox ne respirait plus. Son pied pressa un peu plus fort contre le lit, prêt à repousser toute tentative d'ouverture.

Silence.

Long. Interminable.

Puis, la poignée bougea plus fort suivi d’un choc contre le battant.

Fox sursaute et une larme coula sur sa joue.

“Bouge pas, Fox, bouge pas, putain…”

Elle distingua le bruit d'un pas. Un seul. Puis un autre.

Lentement, la présence reculait, s'éloignant dans la maison.

Fox ne bougea pas d'un millimètre.

Un dernier écho lui parvint. Lee couinement d’une porte, dans le lointain.

Et puis plus rien.

Elle était seule.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Ses épaules s’affaissèrent et sa tête vint reposer en arrière, contre le mur. Ses bras tendus vinrent atterrir en douceur sur ses jambes. Le soulagement fut tangible dans chaque partie de son corps. Le cortisol se dissipait dans son cerveau.

Mais rapidement derrière cet apaisement, une pensée le gomma : elle n'avait entendu aucun raffut depuis le rez-de-chaussée. D'où sortait donc cette créature ? Etaiit-elle passée par la trapppe du sous sol ? Elle avait bien inspecté la maison donc... son esprit cherchait une logique sans la trouver.

Un frisson remonta lentement son échine.

Si elle avait bien inspecté la maison la veille… alors d'où venait cette chose ?

Elle rassembla ses souvenirs.

Elle se revit bloquer la trappe avec l’étagère du garage. Toutes les fenêtres étaient intactes, aucune n'avait été brisée pendant la nuit. Auurait-elle pu dormir si profondément qu’elle aurait raté un bruit ?

Un instant, elle regretta de ne pas avoir ouvert cette porte barricadée hier. Au moins, elle aurait su à quoi s'en tenir. Mais maintenant… elle était piégée.

Ses doigts se crispèrent sur la croix de son arme. Toujours adossée contre le lit, les pieds calés pour bloquer l'entrée, elle essaya d’organiser sa pensée. La nuit était redevenue calme. Pourtant Fox, sans réponse logique Avait-elle vraiment entendu cette chose ? Etait elle vraiment partie ou était-elle en train d'attendre, de l'autre côté ?

Il fallait décider. Rester barricadée, attendre que le danger passe… ou ouvrir et confronter ce qui rôdait dans la maison.

Non, si cette chose était sortie par la porte barricadée, elle l'aurait entendu. Impossible qu'elle ait dormi si profondément. Elle avait beau réfléchir, elle ne comprenait pas. Et de toute manière, il faisait encore nuit. Tant qu’elle n'y serait pas contrainte et forcée, elle éviterait toute confrontation directe. Avec un peu de chance la chose se laisserait...

Elle resta immobile, à l'affût du moindre bruit. Chaque craquement du bois de la maison lui donnait l'impression qu'une main glacée se refermait sur sa gorge.

Combien de temps allait-elle devoir attendre ?

Son regard glissa vers la fenêtre. Il faisait encore nuit noire. Sortir maintenant serait une folie. Elle n'avait pas d'issue viable et puis cette chose rôdait peut-être encore en bas.

Elle força son souffle à ralentir. La patience, c'était ça qui faisait la différence entre vivre et crever.

Alors elle attendrait.

La nuit l’enveloppa, parfois brisée subrepticement par un infime bruissement. Les minutes s'étiraient, interminables. Elle n’avait aucun moyen de savoir à quelle vitesse le temps s'écoulait. A force d'attendre sans bouger dans cette obscurité opaque, elle ne se sentit pas partir. Elle piqua du nez et se rendormit

Un bruit sourd la tira brutalement de son sommeil.

Fox se redressa d'un coup, la respiration haletante, le Glock fermement serré entre ses doigts.

Elle avait dormi combien de temps ? Une heure ? Deux ? Impossible à dire. Mais dehors, derrière la fenêtre, l'obscurité était toujours aussi épaisse.

Le bruit venait d'en bas.

Un objet qu'on renverse ? Une porte qu'on heurte ?

Elle tendit l'oreille, chaque muscle de son corps prêt à bondir. Et puis de nouveau, plus rien.

Elle aurait pu croire qu'elle avait rêvé… si son instinct ne lui criait pas que quelque chose se passait.

La créature était encore là.

Son cerveau embrumé de fatigue réfléchit en accéléré ; et si ce n'était pas un monstre ? Et si c'était autre chose ? Depuis quand les monstres ouvraient-ils les poignées de porte ?

… peut être depuis qu'ils s'injectent des substances violettes en intraveineuses ? souffla son esprit sadique.

Elle frémit, chassa cette idée

Quelle idée ? Celle qui te dit qu'il est en train de te traquer ? Qu'il ne va certainement pas te laisser lui échapper ? Tu as vu son antre, son secret… T’as aucune chance…

— PUTAIN ! jura t-elle à voix haute, trop fort, pour faire taire cette petite voix qui ne voulait pas se taire dans sa tête.

Elle tapota nerveusement du doigt sur le barillet. Doucement, elle se leva et alla jeter un coup d'œil à la fenêtre. Elle déglutit quand elle crut apercevoir plusieurs silhouettes — plusieurs, mais combien ? Trois ? Dix ? Ou plus ?

Son coeur reprit la cadence d’un cheval au galop. Elle se sentait soudain piégée dns cette petite chambre. Et si c'était des pillards ? Parfois, les humains étaient bien pires que les monstres....

Elle tendit l'oreille vers l'intérieur de la maison pour essayer de déterminer s'il y avait plusieurs personnes et ce qu'ils faisaient : est-ce qu'ils "erraient" ou est-ce qu'ils "cherchaient" ?

Fox s'obligea à ralentir sa respiration, à calmer les battements de son cœur. Panique et précipitation allaient la faire tuer — et ça, c'était inacceptable.

Elle ferma les yeux une seconde pour mieux se concentrer.

À l'extérieur, les silhouettes bougeaient lentement, parfois hésitantes. Des rôdeurs ? Peut-être. Mais elle ne pouvait pas être sûre. Certains se figeaient un instant, pour écouter. Ça, c'était inquiétant.

Et à l'intérieur ?

Elle percevait un froissement furtif. Un mouvement. Puis une légère pression contre le sol, comme un poids déplacé avec précaution.

Ça cherchait .

Un frisson lui parcourut l'échine.

Ça n'errait pas au hasard.

Fox serra le poing autour de son arme.

Quelqu'un ou quelque chose la traquait.

Sans crier gare, la porte subit un violent assaut. Quelqu’un venait-il de se jeter dessus avec toute sa force ? Fox échappa un cri de surprise et recula, effarée. Sa respiration s'accélèra aussitôt. Elle réfléchit aussi vite qu'elle le put, cherchant un accès immédiat, ou à défaut, un endroit où se cacher.

La fenêtre ? Du 1er étage, ça restait risqué, même avec le cerisier en dessous. Et puis elle avait vu des silhouettes en bas... Elle tourna la tête, contempla le placard avec dépit. C'était sommaire, mais mieux que rien. Un nouveau coup violent dans la porte la fit sursauter et accélèrera sa pensée, suivi d'un tambourinement violent au poing.

Une voix masculine, grave et sonore, retentit de l'autre côté.

— Non, pas ça… blêmit Fox en reculant.

La terreur s'infiltra en elle. Elle se précipita de l'autre côté de la chambre après avoir ouvert la fenêtre et se faufila dans la penderie avec discrétion. Elle referma avec délicatesse derrière elle en se recroquevillant dans l'obscurité, des vêtements devant elle, juste au moment où la porte volait en éclats..

Les éclats de bois retombèrent sur le sol dans un bruit sourd et Fox sentit son propre souffle se coincer dans sa gorge. Elle pressa ses genoux contre sa poitrine, s'enfonçant dans le fond de la penderie, retenant sa respiration autant que possible.

Les pas s'avancèrent lentement dans la chambre. Lourds. Maîtrisés. Ce n'était pas un monstre qui errait. C'était un homme.

Elle percevait le crissement des débris sous ses semelles, le froissement d'un tissu quand il arracha d’un coup sec la couverture. Il savait qu'elle était là.

— Petit, petit, petit…

La voix roula dans la pièce, grave, un murmure menaçant, se délectant de sa traque.

Elle sentit la sueur perler sur sa nuque.

Les pas qui arpentaient la pièce étaient brutaux, dénués de la moindre hésitation.

Fox serra les dents, enfouissant un peu plus son visage dans ses genoux.

— On sait que t'es là, allez sors de ta cachette, on veut juste s’amuser un peu… ronronna la voix masculine, faisant l’effet d’un éboulement de rochers sur le crâne de Fox. Il ne devait pas la trouver.

Son souffle se suspendit lorsqu'un autre éclat de voix, plus grave, résonna :

— Tu nous fait courir, petite chatte… mais attends de voir quand on va t’attraper…

Un rire gras pontua la phrase. Fox plaqua sa main sur sa bouche pour contenir un hoquet de terreur. Elle était acculée. Son autre main était aggripé sur la crosse du Glock.

— Elle est forcément ici, on a fouillé tout le reste, répondit la première voix.

Des pillards.

C’était peut-être ceux qui avaient torturé Elias et l’avaient laissé pour mort.

Elle les entendit fouiller la pièce, renverser les meubles, jeter les objets au sol. Le sang pulsait dans ses temps. Elle ne devait pas bouger.

Brusquement, le placard de la penderie s’ouvrit à la volée, révélant un visage de brute entre les robes suspendues. Fox hurla.

"Trouvée !"

Une poigne d'acier l'attrapa par le col et la tira sans ménagement hors de sa cachette. Elle se débattit aussitôt, griffant, mordant, hurlant, mais ils étaient plusieurs. Un coup violent dans l'estomac la coupa net dans son élan, lui arrachant un râle de douleur. Elle s'effondra à genoux, suffoquant.

— On t'a vue sortir de cet immeuble, poupée. On s'est dit que t'avais peut-être envie de compagnie…

Les rires mauvais s'entrechoquèrent autour d'elle. Un des pillards l'attrapa par les cheveux, tirant sa tête en arrière pour plonger son regard dans le sien. Il avait un sourire carnassier, des dents jaunies par la crasse. Il sentait le vieil alcool frelaté et la transpiration aigre. Ses yeux étaient fous.

— On va bien s'amuser avec toi.

Fox frissonna de dégoût. Elle savait ce que ce genre d'hommes faisait aux femmes qu'ils capturaient. Son cœur battait à tout rompre alors qu'elle essayait de reprendre son souffle. Elle devait trouver une échappatoire.

Mais avant qu'elle ne puisse esquisser le moindre mouvement, il plaqua ses lèvres contre sa bouche, forçant un passage pour infiltrer sa langue poisseuse. Elle le repoussa de ses deux mains en gémissant d’horreur. Elle était fichue cette fois.

La main qui emprisonnait ses boucles rousses acheva de la traîner hors de la penderie, la jetant négligemment au milieu de la chambre. Elle bascula en avant, tenta de se raccrocher à quelque chose, mais une autre main serra son bras et la força à se relever.

— On va te faire danser, ma jolie, autant que tu nous as fait courir !

Il l’emprisonna dans une étreinte digne d’un étau et la fit virevolter autour de lui telle une poupée désarticulée. Elle réalisa qu’elle allait devenir leur jouet pendant les heures qui allaient venir, jusqu’à ce qu’elle supplie que la mort la délivre. L’homme la lâcha en plein élan et elle perdit l’équilibre, tournant sur elle-même. Elle aperçut un troisième homme apparaître dans l’encadrement de la porte et une autre silhouette dans le fond de la chambre, près de la fenêtre.

Un coup brutal derrière sa cuisse la fit chanceler et elle s'écroula de nouveau. Son souffle était erratique. L’effroi était une substance glaciale qui glissait en elle.

Elle releva lentement la tête. Autour d'elle, quatre silhouettes se confirmèrent. Trois hommes et une femme qui l’encerclaient avec des sourires conquérants. Vêtus d'éléments rapiécés type militaire ou commando, ils avaient l’air encore plus menaçants quand ils souriaient. Des pillards. Le genre de charognards qui prospèrent sur la misère des autres.

Désespérément, Fox se jeta entre deux d’entre eux, fonçant à quatre pattes pour échapper au piège qui se refermait sur elle.

L'un des hommes la cueillit trop facilement, comme une fleur innocente au milieu d’un champ de pâquerettes. De nouveau, c’était sa toison rousse qui l’avait trahie. Il tira vers le haut et elle émit une plainte de douleur en se relevant. L’homme qui la maintenait par les cheveux était grand, trapu, avec une barbe en bataille et une balafre sur la joue gauche. Le chef, probablement.

— Bon je vais t’expliquer les règles du jeu, petite chatte… articula-t-il, un sourire mauvais aux lèvres. Numéro un : ne crois pas que tu vas pouvoir jouer la maligne et nous filer entre les doigts.

Le deuxième homme, plus maigre, aux traits tirés par la faim et au visage brisé par la cruauté, se rapprocha et vint infiltrer son souffle dans le creux de son oreille :

— Minou, minou, minou… tu vas être notre joujou… en numéro deux, tu peux choisir lequel d’entre nous sera le premier… chantonna t-il, un couteau en main.

Il fit glisser le bout de la lame contre sa joue d'un air amusé. Fox ne bougea pas. Son cœur battait à tout rompre, mais elle savait qu'il ne fallait pas montrer la peur.

La femme, une grande rousse aux traits durs, croisa les bras en appuyant une batte cloutée sur son épaule. Elle haussa un sourcil, jaugeant Fox avec un mépris froid.

— Elle a du cran, celle-là.

Le dernier homme, plus jeune, peut-être pas plus vieux qu'elle, ricana en roulant un caillou sous sa semelle.

— Tant mieux. C'est moins drôle quand elles pleurent tout de suite.

Un frisson de pure horreur parcourut Fox. Elle devait parler. Trouver un moyen de gagner du temps. Tout en luttant contre son souffle désordonné, elle fixa la balafré et laissa échapper d'une voix plus ferme que ce qu’elle espérait :

— Vous avez besoin de moi vivante, non ?

Le chef éclata de rire.

— Oh, c'est mignon, ça. Elle croit qu'elle peut négocier.

Il se tourna vers les autres avec un sourire en coin.

— Les gars, vous en dites quoi ? On la préfère vivante ?

Un ricanement s'éleva dans la pièce. Le gars au couteau lui saisit la mâchoire violemment et lui tordit le cou pour qu’elle lui fasse face. Il lui lécha la joue et son haleine fétide emplit les narines de Fox.

— Perso, je m’en carre, vivante ou morte, c’est du pareil au même pour moi…

Fox serra les dents. Ils voulaient la briser.

Mais tant qu'ils parlaient, tant qu'ils jouaient avec elle… Elle avait une chance…

... surtout qu'ils n'avaient étonnamment pas remarqué le Glock sur lequel sa main était toujours agrippée, là sous la manche trop grande de son pull. C'était quitte ou double, mais elle n'avait pas grand chose à perdre. Si elle ratait son coup, elle allait méchamment les énerver, mais serait-ce vraiment pire que ce à quoi il la destinait déjà ?

— Vous êtes qu'une bande de vautours dégueulasses... vous êtes pires que les monstres qui traînent dehors, leur cracha t-elle au visage.

Et espérant être la plus rapide, jouant sur l'effet de surprise, elle releva brusquement la main droite et visa droit sur le visage de l'homme le plus proche.

— Et ça, tu l'avais trouvé ? lâcha t-elle avant de presser la détente.

Impossible de le rater à cette distance. De l’autre côté du canon, il lui jeta une expression éberluée.

Juste une seconde avant que le coup ne parte.

Une détonation assourdissante résonna dans la chambre exiguë. L'homme au couteau eut à peine le temps de voir le canon du Glock qu'une traînée de sang et de cervelle éclaboussait le mur derrière lui ainsi que la femme à la batte.

Son corps s'effondra mollement, inerte, la tête éclatée.

Le choc.

Une fraction de seconde de sidération. Un instant suspendu où personne ne bougea.

Fox ne perdit pas une seconde. Elle bondit sur le lit en chopant son sac au passage, roula sur le matelas en dérapant et se précipita vers la porte ouverte. Elle était rapide. Mais eux aussi.

— PUTAIN, CHOPEZ-LA ! lança la rousse.

Un bruit aigu siffla derrière elle. Elle se cogna contre le mur et rebondit dessus, ignorant la douleur. Une main tenta d'agripper son pull mais elle s'en débarrassa en l'arrachant de son épaule.

Elle s'élança dans le couloir de l’étage. À gauche ou à droite ?

Elle hésita une demi-seconde de trop.

Un poids énorme la percuta dans le dos. Le balafré. Il lui avait foncé dessus comme un fauve enragé, la projetant brutalement contre la cloison d’en face. Sa tête cogna contre le plâtre. Une douleur fulgurante explosa derrière son crâne. Elle perdit l’équilibre et tomba sur le côté droit, dévalant l’escalier dans un roulé-boulé étourdissant. Elle se pelotonna sur elle-même pour amortir le choc, protégeant sa tête par instinct.

Elle atterrit au rez-de-chaussée complètement sonnée.

Son flingue.

Où était-il ?!

Sa main glissa, cherchant l'arme. Mais une botte crasseuse s'abattit violemment sur son poignet. Un craquement. Une douleur atroce irradia son bras.

Le Glock vola plus loin, glissant sur le sol.

— Jolie tentative, garce.

Le balafré la saisit par le col et la souleva contre le mur. Son haleine méphitique lui brûla les narines.

— Tu viens de te foutre dans une belle merde.

La rousse cracha par terre et brandit sa batte.

— Tu veux qu'on la mate tout de suite, ou t'as envie de jouer d'abord ?

Fox lutta pour ne pas sombrer sous la douleur et le vertige.

Elle devait trouver un moyen… N'IMPORTE QUOI.

Un désespoir intense la submergea soudain devant l'horreur de la situation. Elle avait raté sa seule opportunité. Des larmes de douleur et de terreur pure roulaient sur ses joues alors qu'elle se tortillait inutilement contre la poigne d'acier du balafré. Ses pieds battaient l’air, incapables de sentir le sol. Son regard surveillait avec inquiétude la batte cloutée de la rousse.

— Je vous en prie... faites pas ça.... supplia-t-elle, en le regrettant aussitôt. Elle savait que c'était inutile. Ca pouvait même aggraver les choses, nourrir leur sadisme. Mais elle ne savait plus quoi faire, c'était trop tard. Elle en était arrivée à ce point où la peur était telle qu’il n’y avait plus rien d’autre à faire qu’implorer la pitié, qu’à prier.

Le balafré la jeta par terre comme un déchet. Elle ferma les yeux, encaissant le choc. La seconde suivante, le corps massif l’écrasait de tout son poids. une main calleuse fouilla sous son pull, passant sur son ventre avec brutalité, forçant le rempart de sa ceinture pour s’infiltrer contre sa chair. Elle dut de débattre, par réflexe et l’autre main se ferma en poing et cogna fort contre son flanc gauche.

Subitement, des pensées volatiles vinrent papillonner dans l’esprit de Fox, la déconnectant de la réalité, la ramenant quelques années en arrière, dans le "monde d'avant", quand elle avait encore un travail, une vie, des amis, des parents... Des visages passèrent à l’instar de volutes de fumée, des sourires et même une chanson de Ed Sheeran qu'elle adorait… C'était donc ça la magie du cerveau, qui te lâchait un shoot d'hormones chimiques quand la réalité devenait trop dure à encaisser ? Ou alors c'était le fameux film de sa vie, quelques secondes avant de mourir ?

Son esprit s'échappa, glissant hors de l'horreur du présent, une feuille morte emportée par le vent d’automne.

Il y eut d'abord, une odeur. Celle du café de sa mère, infusant lentement dans la cafetière italienne, un matin d'été, le trille de quelques oiseaux environnant l’ambiance paisible. Elle était adolescente, encore allongée dans son lit, bercée par le doux murmure de la radio dans la cuisine. Ed Sheeran. Thinking out loud. Son père chantonnait faux, exagérant l'accent anglais en riant.

Puis, un flash.

Le brise du printemps dans les rues de la ville. Elle marchait à côté d'Elodie, sa meilleure amie, un gobelet de chocolat chaud à la main. Elles riaient. Fort. D'un truc stupide, une private joke qui n'avait de sens que pour elles.

Un autre.

Son bureau. Le bruit des claviers, les téléphones qui sonnent, un collègue qui lâche une blague sexiste et elle qui lève les yeux au ciel en souriant.

Et puis…

Un canapé. Une lumière tamisée. Un corps chaud contre le sien. Une main qui effleure la sienne. Les battements de son cœur qui s'accélèrent. C'était qui, déjà ? Son ex ? Ou juste crush d’un soir ?

Tout ça.
Tout ce qu'elle avait perdu.

Et maintenant, il ne lui restait que ça.

Le goût métallique de la peur et du sang dans sa bouche. La brûlure de ses larmes. La batte cloutée que la rousse tournait lentement au-dessus de son visage, savourant l'instant.

Un rire moqueur.

— Elle chiale, putain. J'adore.

La poigne du balafré se resserra sur son cou. Elle manqua d’air.

Son cœur battait si fort.

Le shoot d'endorphines s'évapora brutalement. Le cauchemar reprit ses droits.

Une gifle partit si fort que Fox en vit des étoiles. Sa tête fouetta violemment sur le côté, une douleur fulgurante explosive dans sa mâchoire. Elle sentit un filet de sang couler de sa lèvre.

— Tant que tu gueules pas, c'est pas drôle, ordonna le balafré toujours sur elle, l’écrasant totalement.

La rousse ricana, balançant sa batte sur son épaule, ravie.

Il lui attrapa le visage et l'embrassa à pleine bouche. Elle étouffa et toussa, crachant du sang. Il lui asséna un autre coup de poing dans les côtes.

— C'est quoi ton problème, hein ? Tu crois que t'es mieux que nous ?

Il frappa encore, la coupant en deux. Les deux énormes mains se refermèrent sur sa gorge et serrèrent, son sourire carnassier à côté de son visage tuméfié. Fox suffoqua, cherchant son air, agrippant ses poignets sans pouvoir desserrer sa prise.

— Arrête, elle va perdre connaissance… et on n'a pas encore commencé.

Un autre pillard s'approcha, le grand maigre à l'air sournois, il tira sur la lanière de son sac pour le lui arracher. Il le vida sans ménagement par terre, laissant tomber le peu de vivres, la photo et le pied-de-biche.

— Mate-moi ça… Une vraie petite survivante…

Il se pencha, attrapa son menton entre ses doigts crasseux et tourna son visage d'un côté puis de l'autre. "

— Joli minois. Tu devrais nous remercier, on pourrait t’offrir un avenir. Tu sais, une nana toute seule dehors, ça finit jamais bien. Au moins, avec nous, t’aurais des protecteurs… faudrait juste que tu sois un peu plus gentille… Tiens, j’aurais même un joli collier pour toi.

Fox se débattit, tenta de lui cracher au visage, mais une nouvelle claque lui coupa le souffle.

— Mauvaise réponse, chérie, fit celui qui la chevauchait en la plaquant au sol.

Le grand maigre donna une tape sur l’épaule du balafré.

— Allez Arvid, magne toi, j’ai entendu un bruit dehors… et ne me l'abîme pas trop. J’vais voir ce que c’est et je reviens.

— Et moi, je la finirai, roucoula la femme, jouant du bout des doigts avec l'un des clous de sa batte.

Le grand maigre sourit, dévoilant des dents pourries.

Fox sentit le cortisol exploser dans ses veines, la clouant sur place.

Elle se mit à pleurer tandis que les genoux de l’homme appuyèrent sur les siens cherchant à se frayer un chemin entre ses jambes. Elle ne résista pas longtemps sous le poids et elle le sentit se plaquer contre elle, remontant ses cuisses autour de lui. Il glissa une lame entre eux et le froid de l’acier sur son ventre la fit tressaillir. Elle se cabra en gémissant de peur.

Le couteau vint sectionner la ceinture et le bouton de son pantalon.

— Ah bah, tu vois, elle commence à aimer ça… se moqua la femme qui arpentait de ses bottes autour de la tête de Fox.

Les doigts poilus vinrent agripper le haut de son pantalon et tirèrent vers le bas d’un côté, tandis que l’autre main s’enfouissait sans vergogne sous son pull. Dans un ultime sursaut, Fox se tortilla, frappant l’homme de ses mains libres. La pillarde vint attraper ses poignets et les plaqua au sol, avant de poser ses genoux dessus pour l’emprisonner. Son os brisé lui arracha un cri de souffrance. Sa tête au-dessus de la sienne, la femme secoua le visage de gauche à droite, en posant un doigt sur les lèvres en sang de Fox :

— Allons, allons, moins tu te débats, plus vite ce sera fini… sois sage. Après ce sera à moi que t’auras à faire, et je crois que tu regretteras le passage de mes frangins…

— Mais… pourquoi…. pourquoi vous faites ça ? murmura Fox en tremblant, cherchant à capter dans les yeux de cette femme une once d’humanité ou à défaut de solidatité féminine. Elle n’y perçut que du sadisme.

— Parce qu’on peut, répondit-elle avec une évidence glaciale.

Fox rejeta la tête en arrière et se mit à hurler de désespoir alors que les mains de l’homme continuaient à lui arracher ses vêtements. Son corps tremblait de rage et de peur. Il tira sur le pantalon avec agacement pour lui enlever, la secouant dans tous les sens, se redressant légèrement en grognant d’excitation.

Mais brusquement, le balafré la relâcha et ses fesses retombèrent lourdement sur le sol. Un bruit sonore retentit dans le couloir. Fox rouvrit doucement les yeux, sans comprendre.

Le balafré était tourné en arrière.

— C'était quoi, ça ?

La pillarde se leva aussi, libérant les poignets de Fox. Elle scruta au loin dans l’ombre du couloir. Encore hagarde, Fox ne comprit pas tout de suite. Les coudes sur le plancher sale, elle se redressa à demi et tourna la tête au-dessus d'elle. La pillarde, hargneuse, envoya un coup de pied violent dans les côtes de Fox qui boula sur le côté, le souffle coupé.

— Toi, tu bouges pas ! lui ordonna t-elle, avant de s’approcher de l’origine du bruit.

Suffoquant, Fox se roula en boule sur le côté, les mains sur le ventre pour atténuer sa souffrance. Elle n’arrivait plus à réfléchir. Les pillards lui tournaient le dos, visiblement attirés par autre chose. Ignorant la douleur dans son bras et ses côtes, elle rampa pour s'éloigner dans l'autre sens.

Survivre.

Utiliser ses dernières forces pour vivre... Elle était au bord de l'évanouissement, ne captant quasiment plus la réalité autour d'elle.

Une détonation résonna dans la maison, sèche, brutale. Un cri étranglé, puis un bruit sourd. Quelqu'un venait de s'effondrer.

Les pillards sursautèrent.

— Putain, c'est quoi ce bordel ?! lance la rousse en braquant son visage vers le couloir, la batte levée.

Fox, à demi consciente, sentit ses membres se ranimer lentement malgré la douleur. Elle rampa un peu plus loin, agrippant du bout des doigts le pied-de-biche tombé sur le parquet. Sa vision était trouble, son souffle court. Son corps n'obéissait plus qu'à l'instinct le plus primaire : survivre. Ses doigts n’eurent pas le temps de se refermer dessus qu’un nouveau cri et le bruit d’un corps projeté contre un mur dans un fracas la força à se retourner.

Dans l'encadrement de la porte, une ombre apparut.

Elle ne vit que deux yeux luisants dans l’obscurité.

Deux yeux gris d’argent.

Toi.

Fox ouvrit les yeux en grand, son cerveau embrumé le reconnut immédiatement.

Là, debout, sa silhouette démesurément grande dans une posture étrange, voûtée, ses cheveux noirs dissimulant une partie de son visage. À ses pieds, le corps du grand maigre convulsa faiblement avant de s'immobiliser définitivement.

L’angoisse imprégna toute la pièce.

— Oh merde... souffla le balafré en déglutissant.

La rousse serra plus fort sa batte.

— T’es qui, toi ? cracha-t-elle, son regard assassin pesant sur la silhouette menaçante.

Fox vit la mâchoire de Vesper se crisper légèrement. Ses prunelles d'acier glissèrent un instant vers elle, son corps au sol, son état pitoyable… puis revint aux pillards.

"Lâchez-la."

Un sourire nerveux fendit le visage du balafré.

— Ah ouais… Je vois le genre… marmonna-t-il avant de se précipiter sur Fox. Il agrippa ses cheveux et la releva pour la plaquer contre lui, s’en servant de bouclier en posant le tranchant de son couteau sur sa gorge.

— Ok, ok, cowboy… tu veux jouer au héros ?

Il appuya un peu plus son couteau contre la gorge de Fox.

— Mais on va le faire à ma façon… j’vais te rendre ton jouet… mais même si t’as l’air rapide, tu veux vraiment tenter ta chance avec elle entre nous deux ?

Fox haleta, sentant la lame froide sur sa peau qui commençait à trancher la chair fine.

Elle chercha les yeux de Vesper.

Et ce qu’elle y vit lui fit comprendre une chose.

Le balafré était déjà mort.

Il ne le savait juste pas encore.

Fox sentit l’air vibrer avant même d’entendre quoi que ce soit.

Une ombre mouvante passa dans l’encadrement de la porte. Quelque chose de rapide, de grand, de terrifiant.

Puis un bruit. Un grondement primal. Un son qui fit se figer le balafré derrière elle.

Il n’eut même pas le temps de réagir.

Un hurlement de pure terreur déchira l’air alors que la chose fondait sur la rousse, l’arrachant du sol à la façon d’une poupée de chiffon. Des os craquèrent. La batte cloutée tomba avec un bruit sourd avant que sa propriétaire ne pousse un dernier râle étranglé, broyée sous une puissance inhumaine.

Fox sentit le balafré reculer d’un pas, l'entraînant avec elle, son souffle saccadé dans son dos. — Qu’est-ce que c’est que ce putain de…

Il n’eut pas le temps de finir.

Un fracas. Un cri.

Puis l’emprise du balafré disparut d’un coup.

Fox tomba en avant, le souffle coupé, sa gorge brûlante là où la lame avait menacé de trancher sa chair. Elle roula sur le côté et se redressa tant bien que mal sur un coude, cherchant à voir—

Et elle vit.

Une silhouette massive, accroupie sur ce qu’il restait du corps du balafré. Une chose tordue, aux griffes luisantes, au museau retroussé sur des crocs ruisselants de sang.

Son cœur manqua un battement.

Deux yeux translucides croisèrent les siens.

Vesper.

Ou ce qu’il était devenu.

Ses forces la quittèrent en un instant.

Fox s’effondra.

Le noir l’engloutit.

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