Intervention militaire
Rester ici ?
Il n’y avait rien de pire. Être seule, ignorante de ce qui se passait, privée de tout contrôle sur le danger et son origine… Pourtant, elle devait bien l’admettre : Vesper était infiniment plus capable qu’elle de faire face à une menace. Il lui suffisait de se rappeler avec quelle facilité il avait réduit en miettes les pillards la nuit dernière.
Mais cette fois, les bruits de pas étaient nombreux, très nombreux.
Même lui devait avoir une limite… peut-être même une faiblesse.
Fox se redressa, grimaçant sous la douleur. Son corps était en sale état. Elle releva son pull et observa un énorme hématome sur ses côtes. Son poignet droit, lui, semblait fracturé.
Dans cet état, elle était inutile. Un fardeau. C'était devenu elle, le poids mort.
Elle enragea.
Mais bon, les responsables avaient largement payé...
Elle s'approcha à pas feutrés de la fenêtre pour y jeter un œil discret. Elle écarta légèrement le rideau, juste assez pour voir sans se faire repérer. Ce qu'elle aperçut l’interpella. Une dizaine d'hommes, lourdement armés, progressaient en formation serrée entre les bâtiments en ruine. Ils ne se déplaçaient pas à la manière de pillards désorganisés en quête de ressources. Non, ces types étaient coordonnés.
Un véritable groupe paramilitaire.
Ils portaient des équipements bien trop propres et fonctionnels pour des survivants ordinaires. Des treillis, des armes entretenues, certains avaient même des radios attachées à leurs gilets. L'un d'eux fit un geste de la main et les autres s'arrêtèrent immédiatement. Il parlait, mais Fox ne pouvait pas entendre ce qu'il disait.
Elle chercha des yeux Vesper, mais ne le vit nulle part. Il était là, quelque part dehors, dans l'ombre, guettant comme le prédateur qu'il était. Mais face à un tel groupe, pouvait-il vraiment gagner ?
Son poignet pulsait douloureusement. Elle savait qu'elle devait rester cachée. Qu'elle était dans un état lamentable et que Vesper lui avait ordonné de ne pas bouger.
Mais pouvait-elle vraiment rester là à attendre, impuissante, alors que quelque chose de probablement bien pire que des pillards s'approchaient ?
Son premier réflexe fut de vouloir comprendre d’où venaient ces types. Un groupe aussi organisé ne pouvait pas surgir de nulle part. Surtout avec un équipement pareil. Peut-être venaient-ils de loin, possédaient-ils des véhicules, de l’essence… Mais surtout, que faisaient-ils ici ?
Rien de bon, conclut-elle rapidement.
Qui, en ces temps, avait encore de bonnes intentions envers autrui ?
Son attention glissa sur leurs armes massives, conçues pour la guerre. Un frisson la traversa. Puis, une pensée s’imposa brutalement : Vesper.
Leur conversation récente, cette histoire d’attachement, lui revint en mémoire avec une clarté troublante. Elle ne pouvait pas le perdre. Pas maintenant. L’instinct lui criait d’aller le prévenir, de foncer sans réfléchir. Mais elle devait mesurer ses choix. Se précipiter risquait d’aggraver la situation.
Elle inspira profondément, tentant de comprendre ce que ce groupe cherchait vraiment. Fox s’obligea à analyser la scène avec plus de précision. Elle se concentra sur les gestes, les postures et les directions empruntées par ces hommes.
Ils n'étaient pas là par hasard.
Leur meneur, un grand type à la carrure imposante et à la barbe soigneusement taillée, consultait une carte froissée tout en échangeant avec l'un de ses hommes. Il pointa du doigt une direction… celle où Vesper était parti.
Son estomac se noua.
Un autre détail attire son attention. Deux des hommes transportaient un conteneur métallique, renforcé de cadenas. Qu’est ce qu’il pouvait abriter ? Des ressources ? Une arme ?
Ce qui était certain, c’est qu’ils cherchaient quelque chose de précis. Peut-être même quelqu'un.
Et puis, un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale.
Ce symbole.
Sur l'épaule droite de certains soldats, un insigne rouge et noir, en partie effacée par la crasse. Un logo… qui n’était pas militaire. Fox l'avait déjà vu quelque part.
Dans la vie d'avant.
Un laboratoire. Un A et E entrelacés.
Un souvenir jaillit brusquement : un article de journal qu'elle avait lu dans un magazine, plusieurs mois avant l'effondrement total. Une entreprise qui expérimentait en secret sur des humains. ÆON. Une fuite d’informations rapidement étouffée. Une rumeur sur des enfants cobayes…
Et aujourd'hui, ces types armés jusqu'aux dents rôdaient dans les ruines, cherchant quelque chose dans la direction où Vesper était parti.
Son cœur battait à tout rompre.
Ces types chassaient peut-être ceux de son espèce.
Ou pire… ils le connaissaient déjà.
Fox serra les dents. Elle devait prendre une décision.
Elle ne pouvait plus attendre.
D’un pas rapide, elle se dirigea vers la porte de la petite pièce, ses doigts fébriles cherchant une issue. Dès qu’elle la trouva, elle jeta un coup d’œil prudent à l’extérieur, scrutant les environs.
La voie était-elle libre ?
Elle s’efforça de rester invisible, contournant avec précaution la petite armée surentraînée. Chaque pas devait être mesuré, chaque souffle maîtrisé.
Son seul objectif : atteindre Vesper au plus vite.
Le prévenir. C’était tout ce qui comptait.
L'air frais du matin lui fouetta le visage lorsqu'elle se glissa hors du bâtiment. Chaque pas était une épreuve : la douleur dans ses côtes, son poignet meurtri, le poids de la peur qui s'agrippait à elle. Mais elle n'hésita pas.
Elle longea un vieux muret écroulé, se plaqua contre une carcasse de voiture, attendant qu'un des hommes détourne son attention avant de se faufiler derrière une palissade brisée. Son souffle était court.
Elle avançait à l'aveugle, suivant son instinct. Vesper avait pris la direction des bois, à quelques centaines de mètres de là. Elle devait faire vite.
Mais alors qu'elle franchissait un passage étroit entre deux bâtiments en ruine, un bruit la figea.
Des pas sonores, de quelqu’un qui ne se cachait pas.
Tout près.
Elle s'accroupit, se tapissant derrière un amas de débris métalliques, retenant sa respiration. Un homme apparut dans son champ de vision. Grand, massif, une arme en bandoulière. Il fouillait les environs, méfiant. Il parlait à quelqu'un par radio :
— Toujours aucune trace. Mais il est là, quelque part. On a perdu son signal près des arbres. On continue.
Fox sentit son sang se glacer.
Ils cherchaient bien quelqu'un.
Et si elle continuait ainsi, elle risquait de tomber nez à nez avec eux avant d'avoir pu prévenir Vesper.
Elle voulait réfléchir vite.
Fox ne pouvait rater une telle occasion. Elle se recroquevilla le plus possible et profita de l'échange radio pour en savoir plus. Elle tendit l'oreille, espérant que le prochain échange lui en révélerait plus : peut-être d'où ils venaient ? Qui il cherchait... et surtout dans quel but ?
L’homme marqua une pause, puis reprit :
— Non, toujours pas. Mais si c’est bien lui… on ne peut pas le laisser filer cette fois. On a perdu trop d’hommes à cause de lui. On sait ce qu’il est capable de faire.
Fox entendit le grésillement faible de la radio, puis une autre voix, lointaine répondit :
"Ne prends aucun risque. On l’encercle et on l’épuise. Ce monstre a tenu trop longtemps, mais il tombera comme les autres. On ne se plantera pas."
Fox sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. Ils parlaient de Vesper.
Elle serra les dents. Ils savaient exactement ce qu’il était. Et ils étaient là pour lui.
Elle risqua un regard au-delà des débris. L’homme consultait un petit appareil entre ses mains, une sorte de détecteur, avec une lumière rouge clignotante. Il fit un pas, inspecta autour de lui, percevant une présence.
Fox plaqua sa main sur sa bouche et se recroquevilla davantage dans sa cachette.
Comment était-il possible qu'ils aient un traceur pour les détecter ? Elle ne comprenait rien. Son cœur battait à tout rompre. Il fallait qu’elle sorte de là, mais si ces militaires cherchaient à dissimuler leur passage, ils seraient sans doute prêts à l'exécuter sur-le-champ, sans hésitation. Elle ne pouvait pas prendre ce risque. Les humains ne valaient plus rien en termes de morale dans ce monde…
L’homme se rapprocha. Fox retint son souffle, figée dans l’ombre.
"R.A.S par ici, mais…" Il tapota son appareil. "On est sur la bonne voie."
Un autre soldat, plus loin, rétorqua avec lassitude :
"Ouais, c’est toujours ce qu’on dit avant que ces saloperies nous tombent dessus."
Ils étaient nerveux. Ils savaient que celui qu’ils traquaient pouvaient passer en un instant, de proie à chasseur.
Fox sentit son estomac se contracter. Il fallait qu’elle trouve un moyen de prévenir Vesper avant qu’ils ne resserrent l’étau autour de lui. Mais avec ces hommes aussi près, le moindre faux mouvement lui vaudrait une balle dans la tête.
Bien. Il était temps de voir si les militaires étaient aussi stupides que les monstres. Elle ramassa un petit caillou et le lança loin, à l’opposé de la direction qu’elle comptait prendre. Avec un peu de chance, cela lui offrirait quelques précieuses secondes pour se faufiler, courbée et atteindre une autre cachette… peut-être plus proche de Vesper.
Le caillou rebondit contre une caisse métallique, et, faisant écho à son espoir, deux soldats se retournèrent aussitôt, armes levées.
— Du mouvement, nord-est ! aboya l'un d'eux en pointant son fusil.
Fox ne perdit pas une seconde. Elle se baissa encore plus et se faufila à travers les débris, la sueur coulant dans son dos. Son poignet brisé lui lançait des vagues de douleur, mais elle n'avait pas le luxe de s'arrêter.
Elle n'était qu'à quelques mètres de son prochain abri lorsqu'une main brutale se referma sur son col et la tira en arrière.
— Toi, bouge pas !
Fox étouffa un cri. Son dos heurta violemment le torse d'un militaire. Il la plaqua contre lui, un avant-bras en travers de sa gorge. L'air se coinça dans ses poumons.
"Civil repéré", annonça l'homme dans son interphone.
Merde.
Elle se débattit, mais l'homme était bien trop fort. Elle n'était qu'un fétu de paille entre ses mains.
Et c'est à ce moment-là que tout bascula.
Un grondement sourd s'éleva de l'ombre. Un bruit animal, si profond qu'il faisait vibrer l'air.
Les militaires se figèrent.
— Oh bordel… souffla l'un d'eux, en pointant immédiatement son arme vers la ruelle.
Vesper.
Il était là, dans la clarté intense du soleil de midi.
Ses yeux brillaient avec une lueur inhumaine, d’un blanc translucide, reflétant la lumière en miroirs fantomatiques. Son corps s’était transformé, étiré jusqu’à sembler deux fois plus grand, voûté par une colonne vertébrale saillante, chaque vertèbre proéminente déformant son dos en une courbe menaçante. Ses bras, anormalement longs, pendaient de chaque côté de son corps, prêts à faucher tout ce qui oserait s’approcher. Sa cage thoracique était soulevée avec d’amples mouvements par la respiration d’une bête affamée.
Ses mains n’étaient plus que des armes. De longs doigts noueux s’étaient allongés, terminés par d’immenses griffes noires, effilées comme des lames, luisant d’un éclat mortel. Elles semblaient absorber la lumière, n’appartenant plus tout à fait à ce monde.
Plus de sourires cette fois. Plus de sarcasme. Juste cette posture animale, contenue dans chaque muscle prêt à bondir. Une bête, menaçante et impitoyable, prête à défendre ce qui lui appartenait.
— Ouvrez le feu ! ordonna un des soldats.
Fox ferma les yeux au moment où les premiers coups de fusils éclatèrent. Les rouvrant, elle fit les balles l’atteindre, le perforer, un sang obscur giclant sur l’asphalte autour de lui.
— NON ! hurla t-elle en tendant la main en avant.
L'homme qui la tenait l'avait lâché pour se servir de son arme et avec une ruade, elle en profita pour se jeter en avant entre les militaires et Vesper, prête à tout pour le protéger.
Les tirs cessèrent brutalement.
— Bordel, écartez-la !" gronda l’un des soldats, mais personne n’osa détourner son viseur de la bête.
Fox, le souffle court, bras écartés, se tenait entre eux et Vesper, un mur de chair frêle face à la puissance de feu de ces hommes. Elle savait qu’elle était un obstacle ridicule, qu’ils n’hésiteraient pas à la balayer si nécessaire… mais elle n’avait pas réfléchi. Elle ne pouvait pas le laisser se faire massacrer sous ses yeux.
Elle sentit un frisson la parcourir quand un grondement monta derrière elle. Vesper.
"Fox... pousse-toi."
Sa voix était rauque, déformée par ce qu’il était en train de devenir. Elle le connaissait maintenant assez pour comprendre : il était en train de perdre le contrôle.
Mais avant qu’elle ne puisse bouger, quelque chose siffla dans l’air.
Tzzzzt—CRACK !
Un éclair bleu traversa l’obscurité, frappant Vesper de plein fouet. Son corps entier convulsa sous l’onde du taser et un grognement étranglé s’échappa de sa gorge.
— Il en faut plus, annonça froidement un soldat.
Un autre militaire arma un fusil hypodermique dans lequel il venait de ficher trois doses de sérum. Les seringues sifflèrent à leur tour et touchèrent Vesper en pleine poitrine, juste au-dessus de la tête de Fox.
Vesper serra les dents, un grondement sourd s’élevant de sa poitrine. Ses griffes noires s’enfoncèrent dans le sol, creusant des sillons dans le béton. Il tenta de bouger, de riposter, mais Fox était là, juste devant lui, son corps frêle dressé en rempart. Elle serrait les poings avec une fougue aveugle. Il voulut la contourner, mais chaque fois qu’il déplaçait un bras, elle se repositionnait, forçant ses mouvements à rester mesurés. Elle voulait le protéger… et elle ne comprenait pas qu’elle l’empêchait de se défendre.
"Fox…” gronda t-il plus fort.
Un soldat fit un pas de trop. Vesper le vit immédiatement et pivota d’un coup sec, envoyant son bras dans un large balayage. Pas pour tuer, juste pour faire reculer la menace de Fox. Ses griffes passèrent à quelques centimètres du torse du militaire, mais l’impact de l’air déplacé suffit à le faire trébucher.
— Merde, reculez ! Il bouge encore !
Le commandant de l’escouade réagit immédiatement.
— ENCORE ! vociféra t-il.
Vesper tenta de saisir un autre soldat, mais Fox bougea en même temps que lui et il dut retenir son geste in extremis pour ne pas la heurter. Ce moment d’hésitation lui coûta cher.
La deuxième décharge le frappa de plein fouet. Un éclair de douleur remonta le long de son échine, ses jambes cédèrent sous lui. Il s’effondra à genoux.
Les soldats s’approchèrent, encerclant leur proie. Fox écarta les bras pour les empêcher d’avancer, se plaçant en bouclier devant Vesper qui luttait pour se relever. Il fit un grand geste maladroit avec ses griffes et la poussa plus loin.
Fox trébucha sous la puissance mais se redressa aussitôt.
Une troisième décharge électrique retentit dans l’air.
— NON ! LAISSEZ-LE !
Fox tenta de se jeter sur eux, mais une poigne brutale la saisit et la projeta par terre.
Sous ses yeux impuissants, Vesper résista, tremblant sous l’effet des électrochocs et des injections, les crocs toujours découverts en un rictus furieux. Puis, un impact sourd retentit. Une balle.
Pas en pleine tête. Non, ils ne voulaient pas le tuer. Juste l'affaiblir.
Fox hurla.
Vesper tomba lourdement, respirant difficilement, le corps tendu par la douleur. Ses griffes creusèrent un dernier sillon dans l’asphalte, aussi aisément que si ce n’eut été que de la terre, avant qu’un militaire ne l’achève d’un coup de crosse en plein visage.
Tout s’arrêta.
"Cible neutralisée. Emballez-le."
Fox, sous le choc, sentit les larmes monter. Elle voulut se débattre, mais une voix glaciale trancha l’air :
— Ne la tuez pas. Elle pourrait servir. La doc sera intéressée par la réaction du sujet.
Elle sentit une aiguille s’enfoncer dans son cou.
Le monde bascula.
Fox fut arrachée à l’inconscience par le vrombissement sourd d’un moteur, chaque cahot de la route la ballottant contre les parois métalliques du véhicule. Son corps tanguait sans retenue d’un côté à l’autre et lorsqu’elle tenta de bouger, un cliquetis sec lui rappela brutalement sa situation : ses poignets étaient entravés par de solides menottes, froides contre sa peau. La douleur de son os fracturé se rappela également à elle.
Elle releva la tête, encore engourdie, cherchant à mettre des images sur les sensations qui affluaient. Ce roulis, ces secousses... Une voiture ? Ouais, mais pas n’importe laquelle. Une jeep militaire. Son regard glissa sur l’intérieur spartiate du véhicule : deux sièges à l’avant, un large coffre aménagé avec deux bancs latéraux à l’arrière. Et elle, jetée là comme un paquet encombrant.
Putain, quelle conne. Elle aurait dû rester en retrait, se fondre dans l’ombre, donner l’impression qu’elle n’était pas une menace. Peut-être même qu’elle aurait pu s’éclipser, disparaître avant qu’ils ne mettent la main sur lui. Rejoindre l’abri. Prévenir Maddox… Une vague de frustration lui serra la gorge. Trop tard.
Mais pas encore foutu. Ils roulaient toujours. Si elle pouvait repérer leur itinéraire…
Oui enfin, tu dors depuis combien de temps, bichette ? railla une voix acerbe dans son esprit.
Elle l’ignora. Peu importait.
Elle se tordit le cou pour essayer de voir à travers le pare-brise.
Le paysage défilait à une vitesse folle, à peine discernable dans la lumière du jour devenue blafarde. Ils quittaient la ville. Les immeubles éventrés laissaient place à des étendues sauvages, des routes défoncées et au loin, l'ombre menaçante d'un désert aride.
Fox jura intérieurement. Elle aurait préféré qu'ils restent en terrain connu. Là, impossible de deviner où ils allaient… ni combien de temps elle avait dormi.
Un mouvement attira son attention à l'avant. Deux soldats occupaient les sièges avant, en uniforme sombre, bardés d'armes.
— Putain, tu m’expliques pourquoi on a embarqué une civile, sérieux ? lança le conducteur en donnant un coup de menton vers l'arrière.
— T'es sourd ou quoi ? Ordre du Commandant. On l'embarque avec lui. Faut pas poser de questions. répondit l'autre.
— Et l’autre là… T’as maté ses yeux ? C'est un putain de monstre, j’en avais jamais vu de ce genre. T’as vu tout ce qu’il a encaissé avant de tomber ? Si ça dépendait de moi, on l'aurait achevé sur place. C’est une connerie de le ramener, si tu veux mon avis…
— Ton avis, personne en a rien à foutre, c’est pour ça que toi, t’obéis et que tu fermes ta gueule, coupa l’autre.
Fox sentit son ventre se nouer. Ils parlaient de Vesper.
L’adrénaline fusa dans ses veines, balayant le reste d’engourdissement. Elle se redressa légèrement, attentive. Ils l’avaient embarqué. Il était vivant. Mais pour combien de temps ?
Elle écouta, respirant doucement. L’échange entre les deux soldats trahissait leur ignorance : ils n’avaient que des informations basiques, juste ce qu’il fallait pour obéir sans poser de questions. Bêtes et disciplinés, deux bons chiens de garde. Inutiles. Ils ne lui apprendraient rien de plus.
Que pouvait-elle tenter avec eux ? Fuir maintenant était impossible. Manipuler, peut-être. Jouer un rôle. Se glisser dans la peau de la pauvre captive brisée. Entre ça et rien… Elle espérait secrètement se découvrir un talent d’actrice. Si elle captait assez leur attention, elle irait plus loin. Les yeux révulsés, le corps s’agitant dans tous les sens, la bouche tordue dans une grimace… elle avait déjà vu faire ça au cinéma. Peut-être même qu’elle parviendrait même à baver un peu pour parfaire le spectacle.
L’Oscar de la meilleure crise d’épilepsie ? Ce serait pour elle.
Fox se laissa aller contre la paroi métallique du véhicule et laissa échapper un premier gémissement étouffé. Puis un autre, plus fort. Sa respiration se fit erratique, entrecoupée de hoquets. Elle trembla, d'abord légèrement, puis plus violemment, cognant ses épaules contre la tôle.
— Putain, elle fait quoi, là ? grogna le soldat côté passager en tournant la tête vers elle.
— Aucune idée, mais elle a pas l'air bien.
Fox gémit plus fort, puis, sentant qu'elle les avait accrochées, elle bascula la tête en arrière et fit mine de convulser. Ses membres raides se contractaient, se tordaient dans un angle improbable. Elle roula des yeux jusqu'à ne plus montrer que le blanc, un filet de bave coulant volontairement de ses lèvres entrouvertes.
— Oh bordel, mais elle est en train de crever !
Le conducteur jura et braqua brusquement, la jeep cahotant sur la route abîmée.
— Fais quelque chose ! aboya le premier, paniqué.
— Tu veux que je fasse quoi ?! On a aucune putain d'instruction !
Fox sentit le véhicule ralentir un peu. C'était maintenant ou jamais.
Le soldat passager se retourna à moitié vers elle, s'approchant prudemment.
— Hey, meurs pas, putain. On t'emmène voir quelqu'un, t'auras ce qu'il faut, ok ?!
Il saisit la radio et commença à lancer l’alerte.
Incroyable, elle avait réussi ! Ils avaient mordu à l’hameçon. Mais ce n’était que la première étape. Il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin. Ils devaient stopper cette bagnole. Ils devaient ouvrir cette putain de porte. S'il y avait une chance qu'elle leur pique leur jeep et qu'elle retourne en ville, elle pourrait prévenir l'abri.
D’un mouvement brusque, elle recula jusqu’au fond du véhicule, de sorte à ne pas être atteignable même s'ils tendaient les bras. Ils allaient devoir sortir.
Elle amplifia encore son jeu, faisant trembler son corps de manière incoercible, ses membres tressautant tel un pantin désarticulé. Sa respiration se saccada, des hoquets brutaux soulevant sa poitrine. Plus fort. Plus irrégulier. Son souffle se coupa par à-coups et d’un coup, elle l’arrêta complètement.
Son corps se figea, immobile. Plus un battement de paupières. Plus un tressaillement.
Allez, les gars… arrêtez-vous. Je tiendrai pas longtemps comme ça… songea t-elle.
— Merde, merde, merde !
Le soldat passager se retourna complètement, incapable de franchir les sièges avec tout son bardas. Il frappa l’épaule du conducteur.
— Elle respire plus ! Elle respire plus, putain !
Le conducteur jura et pilota brusquement la jeep sur le bas-côté, soulevant un nuage de poussière quand enfin elle s’arrêta. À peine le véhicule immobilisé, il ouvrit sa portière et sauta dehors.
— Sors-la ! Faut faire un massage cardiaque. On préviendra les autres après…"
Le deuxième soldat ouvrit précipitamment la porte arrière, son fusil en bandoulière, mal tenu dans l'urgence. Il monta à moitié dans la jeep pour essayer d'atteindre Fox.
C'était maintenant.
Il n'y avait ni filet ni grille entre l'arrière et l'avant de la voiture et cette absence de barrière devint son alliée. Dans un souffle, elle se propulsa en avant, franchissant d’un bond les deux sièges. Elle se hissa à la place du conducteur, fermant la porte avec une rapidité fébrile. Le moteur ronronnait encore, faisant mine de l’attendre. Ses mains, liées par les menottes, se saisirent du volant. Elle se sentit soudainement envahie par une étrange sensation de liberté.
Une voiture automatique… pensa-t-elle, une étincelle de triomphe brillant dans ses yeux.
Elle appuya sur l'accélérateur. Le sol se déroba sous elle dans une explosion de poussière, tandis qu'elle braquait avec une audace frénétique. Le rugissement du moteur accompagna sa fuite et elle savoura chaque seconde, sentant la vitesse, la liberté et surtout l’espoir qui pulsèrent en elle.

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