Dehors
Fox lança un coup d’oeil en arrière à Maddox qui restait dans le bâtiment, à l'abri. Elle le salua comme si c'était la dernière fois qu'elle le voyait. Elle fonctionnait ainsi. dehors, chaque seconde pouvait être la dernière. Pourtant, cette fois, quand ses yeux se posèrent sur Vesper, elle sentait que quelque chose était différent.
— Sérieusement, c'est quoi le plan, Vesper ?
Vesper esquissa un sourire amusé, un éclat joueur dans ses yeux clairs. Il tira un morceau de papier de sa poche et le déplia d’un geste nonchalant. Une vieille carte usée, raturée de marques et d’annotations griffonnées à la hâte. Il laissa son doigt glisser sur un point précis.
— Là. Un entrepôt abandonné à quelques kilomètres d’ici. C’est là que nos disparus étaient censés récupérer des ressources. Et c’est là qu’ils ont cessé de donner signe de vie.
Un souffle d’air siffla avec insistance entre les immeubles, soulevant des tourbillons de poussière. L’atmosphère était glacée malgré le soleil éblouissant.
Vesper reposa les yeux sur Fox, scrutateur. Il cherchait à deviner ce qu’elle pensait, si elle hésitait.
— T’as déjà exploré ce coin-là ? demanda-t-il finalement.
Elle se pencha vers la carte, son index suivit des tracés après quelques secondes, elle tapota un endroit.
— Il y a une piscine pas loin, et là l'ancien gymnase du lycée, je connais. Jamais osé m'aventurer dans cet entrepôt par contre. Je pense qu'il doit y avoir des passages discrets là.... et là.
Elle désigna plusieurs chemins possibles puis releva les yeux. "Par contre, les abords du lycée, c'est un coupe-gorge... y avait trop de gens par là-bas, un concentré de plein de trucs... vivants ou pas..." Elle frémit.
Elle eut une idée : "On devrait passer par les toits."
Vesper observa la carte un instant, ses yeux brillant d’un éclat intéressé. Il hocha lentement la tête, pesant le pour et le contre de sa proposition.
« Les toits, hein ? » Il eut un sourire en coin. « C’est pas idiot. Moins de risques de se faire coincer au sol… mais ça veut dire qu’il va falloir grimper, sauter, et surtout ne pas se rater. »
Il replia la carte et la glissa dans sa veste.
« T’as l’air sûre de toi. T’as déjà fait ça avant ? » Il la scruta un instant, cherchant à deviner si elle avait réellement l’habitude ou si elle s’accrochait juste à un instinct de survie.
Des rafales soulevaient toujours la poussière dans la rue silencieuse et un bruit lointain résonna, quelque part. Peut-être un volet claquant dans une rafale… ou autre chose.
— Toi, tu as l'air de te balader dans ton propre royaume au sol... tu te décides à m'expliquer pourquoi maintenant ? le provoqua t-elle avec un léger sourire. Sinon, tu me fais confiance et on passe par les airs... à moins que tu n'aies peur ?
Vesper haussa un sourcil, l’air amusé, mais il était évident qu’il cherchait à sonder ses intentions. Puis son expression désinvolte refit surface et il répondit sur un ton théâtral.
« Peur ? Moi ? » Il éclata de rire, un rire silencieux, presque inhumain dans l’ambiance calme de la rue dévastée. « Non, je ne crois pas que ce soit de la peur. Mais tu sais, la plupart des gens pensent que tout est sous contrôle quand ils sont sur le sol. Mais là-haut, sur les toits, c’est une toute autre histoire. »
Il la fixa un moment, comme s’il s’attendait à une réplique de sa part. Puis, un sourire énigmatique glissa sur ses lèvres.
« Tu veux que je t'explique, hein ? D’accord… peut-être plus tard. Pour l’instant, faisons comme tu veux. Les airs, c’est ton terrain. »
Il avança d’un pas, s’éloignant un peu pour surveiller les alentours, puis se reporta sur elle.
« Mais je te préviens, si on passe par les toits, il y a des risques. T’as pas encore vu tout ce qui peut y traîner. » Il la toisa, avec l’air de la tester.
Elle se figea un instant. Il la faisait douter. Sans doute à juste titre... elle était en train de jouer au jeu du cap ou pas cap, pourquoi ? Pour l'impressionner ? Au risque de sa propre vie, et de la sienne ? Putain, elle jouait à quoi là ? C'était stupide. Pourtant, elle avait du mal à se résoudre à passer par le sol et s'en remettre exclusivement aux prétendus super-pouvoirs qu'il lui avait laissé deviner. Elle n'arrivait plus à compter sur les autres.
Elle souffla longuement en contrôlant les rues au loin.
— On tente par les toits, si on avise du danger, on redescendra et puis c'est tout. On va pas faire les cons, c'est tout.
Elle ne plaisantait plus. Le mode survie était activé. « Allez en route. »
Vesper observa Fox un instant, scrutant son visage sans se cacher d’avoir l’air de l’évaluer. Il pesait chaque mot, chaque mouvement de son corps. Puis, sans un mot de plus, il hocha lentement la tête, appréciant visiblement sa décision.
« Très bien, » dit-il, sa voix basse et mesurée, « pas de conneries. Je suis d’accord. »
Il se tourna alors et se dirigea vers un bâtiment en particulier, un immeuble en apparence à moitié effondré, mais dont les parties supérieures étaient encore accessibles. Ses mouvements étaient précis, presque chorégraphiés, comme s’il savait exactement où poser les pieds pour éviter les pièges ou les dangers invisibles.
Fox sentit une poussée d’adrénaline alors qu'elle le suivait. Un excès de confiance. Les avenues abandonnées avaient perdu leur dimension menaçante, vestiges fugaces dans son esprit, et pourtant, elle savait que ce n’était que parce qu’elle marchait dans ses traces. Mais sur les toits... là-haut, elle n’aurait plus à se soucier de tout ce qui bougeait en bas. Elle reprendrait le contrôle. Elle respira profondément, balayant un instant la peur qui l’avait envahie.
Lorsqu'ils atteignirent l’entrée du bâtiment, Vesper s'arrêta un moment pour vérifier les alentours. « Rien ne bouge. » Il pivota vers elle. « Prête ? »
Il lui adressa un petit sourire, une lueur de défi dans les yeux.
Elle opina et le devança sur l'escalier de service. Le métal grinça sur les premiers pas, mais elle adopta une démarche plus légère qui amortit le bruit au maximum et elle se hissa rapidement. Un étage, deux... puis trois. A chaque passage devant des fenêtres, elle inspectait l'intérieur avec prudence et ne s'attardait pas devant le carreau, n'importe quoi pouvait en surgir. Elle n'avait pas besoin de surveiller Vesper, elle sentait sa présence près d'elle.
Les escaliers menaient vers un toit plus solide que ce qu'elle aurait imaginé. Fox avança rapidement, sur le qui-vive mais sous contrôle. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que Vesper était toujours là, silencieux et vigilant. Une présence sûre, qui contrastait avec l’environnement hostile autour d’eux.
Ils parvinrent au sommet du bâtiment. Le vent était plus fort ici, sifflant entre les structures, mais l’air frais apportait un soulagement après la réverbération de la chaleur accumulée sur dans les briques. Fox s'arrêta un instant, évaluant la situation, puis s'approcha du bord pour observer les toits alentours.
Les rues avaient l’air loin, mais chaque geste pouvait attirer l’attention. Elle savait que la moindre erreur pouvait coûter cher. Son regard se posa brièvement sur Vesper, un frisson d'incertitude niché au creux du ventre même si elle ne le laissa rien paraître.
— On prend quel chemin ? demanda-t-elle à voix basse, toujours en scrutant les alentours. Elle ne savait pas si c’était la hauteur ou la peur qui la rendait aussi nerveuse, mais le danger était omniprésent, même là-haut.
Des bourrasques soufflaient sur le toit, bruyantes et froides. Devant eux, un enchevêtrement de bâtiments formaient un labyrinthe. Au loin, une silhouette se détacha brièvement dans la brume matinale, disparaissant aussi vite qu'elle était apparue. Un groupe circulait sur un autre toit, mais ils n’avaient pas remarqué Fox et Vesper. Une chance, mais cela ne durerait pas ; leur position n’était pas des plus discrètes.
À leur droite, un vieux panneau métallique, usé par le temps, vacillait légèrement. Il avait du être un point de repère pour d'autres avant eux, mais il offrait également un chemin. Plus bas, un autre toit était partiellement effondré, ce qui réduisait l'espace de manœuvre. Le silence pesant se rompit soudainement lorsqu'un bruit métallique se fit entendre venant d'une cheminée voisine. Un petit groupe de créatures difformes s'agrippaient verticalement à des murs en crépis et guettaient en contrebas avec avidité. Elles avaient repéré une proie et leur attention se dirigea lentement vers le toit. Elles n'avaient pas encore vu le duo de survivants, mais il ne fallait pas être un expert pour savoir que ça n'allait pas durer.
Vesper, au bord du toit, se tourna brièvement vers Fox, ses yeux fixant les créatures sans montrer une once de nervosité. Pourtant, une lueur furtive dans ses prunelles laissait présager qu'il analysait déjà la situation.
Fox réalisa avec déception qu'ils étaient presque plus à découvert ici qu'en bas. Pas de murs ni de rebord derrière lesquels se cacher et des créatures un peu partout, trop proches, trop à l'affût. Elle soupira et fit non de la tête. C'était une mauvaise idée, il valait mieux le reconnaitre maintenant que de s'engager dans un traquenard. Elle tira sur la manche de vesper et ils redescendirent d'un étage rejoignant la première fenêtre, celle du dernier étage.
— On va traverser l'immeuble par l'intérieur, lui murmura t-elle. Elle montra un carreau manquait qui leur laissait un passage confortable. Elle posa un doigt sur ses lèvres avant de s'engouffrer dans la pièce vide et silencieuse.
Alors qu'ils se faufilèrent à l'intérieur, la pièce qui les accueillit était plongée dans une lumière blafarde, filtrée par la poussière qui flottait dans l'air. Les traces de vie récente étaient évidentes, mais aussi de fuite, de panique : des meubles renversés, des papiers chiffonnés, et des morceaux de verre éclatés sur le sol. L'endroit était désert, pourtant le désordre donnait l’impression que quelqu'un attendait juste au coin de la pièce. Fox sentit un frisson parcourir sa peau.
Les fenêtres brisées permettaient à la lumière d'inonder l'endroit, mais aucun mouvement n'était visible à l'extérieur. Pourtant, l'agitation à l'extérieur ne faisait qu'ajouter à l'inquiétude grandissante. Des silhouettes se déplaçaient avec une agilité inhumaine contre les parois des murs, des grognements les accompagnaient, parfois au loin, un feulement suivi d’un cri… Elle jeta un coup d'œil furtif à Vesper, son expression marquée par le stress.
La pièce était vaste, un ancien bureau ou un espace de stockage peut-être. Dans un coin, une vieille étagère de métal se dressait, vacillante sous son propre poids, ses montants tordus par la rouille. Elle croulait sous des déchets indistincts : des cartons, des bocaux vides couverts de poussière, quelques reliques d’un passé oublié. À ses pieds, des documents froissés et jaunis s’éparpillaient, abandonnés à la hâte. Certains étaient couverts de taches brunes indistinctes, d’autres déchirés, leurs coins repliés par des mains nerveuses qui les auraient manipulés avant de les laisser tomber.
Un faible courant d’air glissa sous une porte à moitié déboîtée, soulevant l’un de ces feuillets comme s’il avait doué d’une volonté propre.
Le bruit d'un cri plus proche venant du dehors fit vibrer l'air et Fox sentit la menace se rapprocher. Elle gardait Vesper dans son champ de vision, mais la pression de la situation la forçait à rester concentrée.
Dans l'obscurité relative, une ombre se détacha dans un recoin de l'autre côté de la pièce. Une silhouette humaine, mais un mouvement précipité fit douter Fox de son identité. Avant qu'elle n'ait eu le temps de se préparer, un bruit sourd se fit entendre du côté de l'escalier, l'ombre s'éloigna sans un bruit.
Ils n’étaient plus seuls.

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