Vesper
Rassurée, Fox se frotta les yeux et bascula sur le côté, assise au bord du lit.
— Toi, patient ? Sérieux? se moqua-t-elle.
Elle se leva pour le suivre et cette fois tenta :
— Y a des choses à manger dans votre havre ? Enfin... je veux dire, à part tes bottes...
Elle lui décocha une œillade espiègle avant d’ajouter : “D'ailleurs elles étaient à ton goût ?”
Maddox lâcha un reniflement amusé, un coin de sa bouche se retroussant brièvement.
— Pousse pas le bouchon ou j’te les fais goûter, mignonne. répondit-il avec un haussement d’épaules. Mais ouais, y a de quoi bouffer. Faut juste mériter sa part.
Il la guida à travers les couloirs, le béton froid résonnant sous leurs pas. L’odeur de nourriture, aussi maigre soit-elle, flottait vaguement dans l’air.
— Si t’as un vrai boulot aujourd’hui, t’auras droit à un repas.
Il s’arrêta devant une porte métallique et toqua avant d’ouvrir.
— Allez, entre. Vesper t’attend.
L'échange de plaisanterie avec Maddox l'avait étonnamment détendu. Un petit moment d'humanité dans un quotidien glacé. Finalement, derrière son air bourru et son comportement d’ours, ce type possédait finesse et humour.
Fox se figea un instant, puis son attention glissa vers la silhouette de Vesper qui se dessinait juste derrière la porte ouverte. Il était appuyé contre une table, à la fois nonchalant et sur le qui-vive, comme un chat qui attend le moment pour bondir. Son expression était insondable. Elle sentit son ventre se nouer. Il la perturbait. C'était ce frisson étrange qui la traversait chaque fois qu'il était là. Un mélange de curiosité et d'une émotion qu'elle ne parvenait pas à définir, qui se heurtait à sa raison.
Non, elle savait, c’était une sensation de vulnérabilité qu'elle n'aimait pas.
Elle inspira profondément, s'efforçant de cacher la nervosité qui montait en elle. C'était absurde. Elle n'avait pas le temps de se laisser déranger par des émotions aussi futiles. Après tout, il n'était qu'un type parmi d'autres dans ce monde détruit.
Un type qui contrôlait les monstres, lui rappela sa petite voix intérieure.
Mais ça n’était pas que ça.
D'un pas ferme, elle pénétra dans la pièce, ses yeux cherchant un point d'ancrage dans cet espace étroit sobrement meublé, pour ne pas avoir à croiser son regard d’acier.
Vesper releva lentement la tête en l'entendant entrer, ses yeux cherchant les siens sans les trouver. Elle lui jeta un coup d'œil rapide, gênée. Un léger sourire flottait sur ses lèvres, fin, mesuré, comme s'il savait exactement ce qu'il se passait dans sa tête. Il semblait lire en elle, avec cette lucidité qu'elle lui détestait et lui reconnaissait en même temps. Cette intensité était pénétrante mais sans jugement, elle la déstabilisait. Comme s'il savait déjà tout d'elle sans qu'elle ait besoin de dire un mot.
Elle déglutit, cherchant à ne pas flancher, à ne pas montrer cette fragilité qui, sous ses airs de dure à cuire, pouvait se glisser en elle et lui faire perdre tout moyen. Elle s'obligea à ne pas se détourner, mais elle ressentit un frisson qui se propageait dans ses veines. Une chaleur monta sous sa peau.
Vesper, lui, était là, toujours aussi impassible.
— Qu'est-ce que tu veux ? exigea-t-elle d'une voix plus froide qu'elle n’aurait voulu, histoire de masquer ce trouble qui dansait en en elle.
Il ne répondit pas immédiatement. Il la scruta, son sourire immuable sur les lèvres, taisant un secret qu'il gardait pour lui. Puis, il se redressa, comme si l'attente faisait partie du jeu. Et dans le silence de la pièce, il savoura cette délicate tension.
— Bien dormi ?
Sa voix était suave, teintée d’une pointe d’ironie. Il croisa les bras.
— J’ai mérité ton nom maintenant ? demanda-t-il avec un amusement non dissimulé.
Piquée, elle releva enfin le nez vers lui et croisa son regard d’un coup.
— Fox, répondit-elle sans plus de forme.
Il eut l’air satisfait et prit un temps pour apprécier cette victoire.
Elle acquiesça à sa question, cherchant à reprendre une contenance, à se protéger derrière des mots simples.
— Oui… ça faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi. Merci.
Les mots étaient sortis de sa bouche machinalement. Elle baissa les yeux vers la carte étalée devant eux, pour se concentrer sur autre chose que ce qu'elle ressentait.
— Et bien, Fox… T’as prouvé que t’étais pas inutile hier. Maintenant, on va voir si t’es vraiment capable de t’intégrer ici.
Il fit un signe de tête vers une carte étalée sur la table. Des notes griffonnées en marge, des marques indiquant des points stratégiques. Il prit un air sérieux et montra évasivement avec sa main certaines zones sur la carte.
— On a un problème. Un groupe qui rôdait dans le coin a disparu. Trop vite, trop silencieusement. Ça sent pas bon.
Il la fixa, intense, pesant chacun de ses mots.
— Je veux que tu viennes avec moi pour enquêter. On part dans une heure.
Un test, encore ? Mais cette fois, ça semblait plus sérieux.
Son visage se fit plus grave alors qu'elle écoutait ce qu'il disait. Il évoquait un groupe qui était parti il y a peu, un groupe dont les membres étaient probablement en danger, mais Fox peinait à rester lucide. Ses pensées tournaient autour de cette question qui ne la quittait plus : Pourquoi lui faisait-il cet effet-là ?Car alors qu’elle aurait dû se concentrer sur une stratégie, en savoir plus sur leur itinéraire, la première pensée qu’elle eut fut de savoir s’il n’y avait pas quelqu’un dans ce groupe qui avait de la valeur pour lui. Et pas qu’une valeur qui rapportait un repas quotidien.
Sans prévenir, elle redressa la tête et le fixa bien en face.
— Tu sais, de nos jours, les gens qui disparaissent sans donner de nouvelles, c'est qu'ils sont morts. Tu ne crains pas de risquer nos vies pour... rien ?
Elle marqua une pause. Elle savait que ces mots étaient durs, mais ils étaient nécessaires. Il y avait quelque chose de risqué dans cette expédition et elle ne comptait pas risquer sa vie en vain.
Ni pour quelqu’un qu’il serait trop heureux de retrouver… souffla son esprit.
Elle n'était pas du genre à se laisser gagner par la peur mais là, quelque chose la retenait et dans ce monde, la survie était bien plus précieuse que l'espoir.
Elle attendit, tendue. Vesper ne répondit pas. Il se fixa sur elle, cherchant à analyser chaque mot qu'elle venait de prononcer. Il ne s'agissait pas seulement de comprendre la question qu'elle venait de poser. Non, il cherchait à aller plus loin, à sonder les abîmes de son âme, comme s'il tentait de déchiffrer ce qu'elle ne disait pas.
Fox lutta pour ne pas se laisser submerger. Elle sentait qu'il percevait chaque parcelle de son inconfort, chaque petit détail qu'elle pensait pouvoir dissimuler. C'était ça qui la dérangeait, cette impression qu’il était capable de tout comprendre avant même qu'elle n’ait parlé.
Finalement, il brisa l’instant, mais pas pour répondre à sa question de manière directe. Il se contenta de la considérer.
— Peut-être qu’ils sont morts, ouais.
Il haussa légèrement les épaules. “Mais si c’est le cas, on doit savoir pourquoi. Si c’est un groupe ennemi, une nouvelle menace, ou pire… Il vaut mieux être préparé que surpris.”
Il s’approcha légèrement, posant un doigt sur un point précis de la carte. Un mélange subtil de musc chaud et de cèdre, relevé d’une pointe épicée flotta discrètement entre eux. Son intérêt glissa du doigt jusqu’à son bras et respira cette étrange odeur. Ce n’était pas un simple parfum, c’était une empreinte, un appel silencieux. Une fragrance qui s’insinuait dans l’esprit, marquait les sens d’un frisson insidieux. Un sillage discret, mais tenace, qui invitait à se rapprocher sans même y penser. Hypnotique, instinctif, presque animal.
Fox inspira malgré elle, captant cette chaleur presque familière, instinctive, et détourna légèrement le visage pour se donner une contenance.
— Ils étaient censés passer par là, un ancien entrepôt. Plus personne ne les a revus après.
Son ton se fit plus sérieux, presque bas.
— Si c’est un danger qu’on peut éviter ou éliminer, ça nous donne un avantage. Si on reste aveugles, on sera les prochains à disparaître.
Il la jaugea, un brin de défi dans la voix :
— T’as peur, Fox ?
Elle soutint son regard lorsqu'il s'approcha un peu plus près.
Il venait de balayer une de ses hypothèses: il n’y avait personne ici qui comptait réellement pour lui. C’était une question de stratégie, rien de plus. Elle ne réagit pas à sa provocation, gardant son sérieux.
— Bien sûr que j’ai peur. J’ai toujours peur. C’est ce qui me garde en vie.
Sa voix était posée, mais un battement fort résonnait dans sa poitrine. Pourtant, quelque chose lui échappa. Une vérité qu’elle n’avait pas prévue qui lui glissa entre les lèvres avant qu’elle ne puisse la retenir.
— Mais étrangement… depuis que tu es là, ça s’atténue.
Elle se figea, sa confession s’étant mu hors d’elle à son insu. Elle se mordit la lèvre.
Merde. Elle l’avait vraiment dit à voix haute.
Un éclat fugace traversa les yeux de Vesper, une lueur indéchiffrable, entre amusement et quelque chose de plus profond. Son sourire s’élargit légèrement, mais il ne se moqua pas.
— C’est une bonne chose alors, murmura-t-il, toujours ancré sur elle. Mais garde-en un peu… La peur, c’est utile.
Ce sourire, décidément, c'était sa marque de fabrique. Toujours ce même léger rictus, mesuré, subtil, comme une énigme qui attendait d'être résolue. Il provoquait confusion et fascination chez Fox. Il avait ce regard perçant, presque trop lucide, qui semblait sonder son âme sans qu'elle n'ait besoin de prononcer un mot.
Il recula enfin, rompant cette délicieuse gêne qui s’était installée. Il tapota la carte du bout des doigts avant de se redresser avec désinvolture.
— Prépare-toi. On part dans moins d’une heure. Arme-toi, hydrate-toi… et garde l’esprit clair.
Son ton s’était fait plus neutre, plus pragmatique, comme s’il refermait une porte qu’il avait entrouverte l’espace d’un instant. Puis, sans un mot de plus, il se détourna, laissant Fox avec ses pensées… et ce foutu battement frénétique dans la poitrine.
Avant de sortir de la pièce, elle lâcha :
— Il faut que je mange. C'est d'accord ?
Vesper s’arrêta net dans l’embrasure de la porte. Il tourna légèrement la tête, un sourire en coin.
— T’as réparé un talkie. T’as mérité mieux que des miettes.
Il fit un signe de tête vers Maddox, qui attendait non loin.
— Va voir avec lui. Dis-lui que je veux que tu sois en état de marcher, pas de t’écrouler après trois pas.
Il marqua une pause, puis ajouta, avec ce même ton indéchiffrable :
— Je tiens à ce que tu restes en vie, Fox.
Et il disparut dans le couloir, la laissant digérer ces mots autant que le repas qu’elle allait enfin obtenir.
Fox rejoignit donc Maddox pour négocier de quoi manger. C'était certainement lui aussi qui lui fournirait une arme plus efficace que son pied de biche. Elle se laissa donc guider.
Maddox, qui mâchouillait distraitement un cure-dent, leva un sourcil en voyant Fox s'approcher.
— Alors, princesse, t’as eu droit à une audience privée avec notre cher Vesper ? lança-t-il avec un sourire en coin, avant de la jauger rapidement. Si tu viens pour la bouffe, t’inquiète, j’ai ce qu’il faut. T’auras pas un festin, mais ça remplira ton ventre.
Il l’entraîna vers une petite réserve où étaient entreposées des rations. Il lui tendit un morceau de pain dur, un peu de viande séchée et une gourde d’eau.
— T’auras mieux ce soir si t’es encore en vie, ajouta-t-il avec un clin d’œil.
Puis, il croisa les bras et la détailla d’un air plus sérieux.
— Vesper veut que tu sois armée. T’as une préférence ou tu prends ce que je te file ?
La jeune femme lança un coup d’oeil au colosse et esquissa un sourire moqueur :
— Ouais, visiblement, il n’attendait que moi pour aller secourir un groupe… Il t’a pas jugé assez costaud, sans doute ?
Elle savourait ces petites piques échangées avec Maddox, un jeu sans véritable animosité, juste de quoi maintenir une friction légère et familière entre eux. Quand il lui tendit la ration, elle la lui arracha presque des mains, déchirant l’emballage sans attendre. Chaud ou froid, peu importait, elle engloutit le contenu avec une rapidité qui trahissait son manque d’habitude à manger à sa faim.
— Merchi, lâcha-t-elle après avoir avalé une gorgée d’eau pour faire passer.
À sa question sur l’armement, elle haussa simplement les épaules.
— Écoute, j’ai survécu avec un pied de biche. T’as mieux ? Arrange-toi surtout pour que ce soit pas trop encombrant. Si je dois courir ou grimper, je veux pas être gênée. Et si ça peut être silencieux, c’est encore mieux…
Maddox fouillait déjà dans un tas d’armes improvisées, de lames émoussées et de matraques artisanales. Fox observa son dos un instant, puis tenta une approche plus personnelle, sur un ton faussement détaché :
— Et… toi, tu le connais depuis longtemps, Vesper ? Il sort d’où ?
Elle se força à garder les yeux sur les armes devant elle, mais son oreille restait suspendue à la réponse qu’il allait donner.
Maddox éclata de rire à sa première remarque, secouant la tête.
— T’as pas idée. Si je voulais être à la place de ceux qu’on va chercher, j’aurais peut-être insisté, ouais. Mais bizarrement, j’suis bien ici, moi.
Il continua de fouiller parmi les armes disponibles, tout en l’écoutant. Quand elle évoqua Vesper, son sourire s’effaça légèrement. Il prit un couteau de chasse dans sa main, le pesa, puis le reposa avant d’attraper une machette courte et bien affûtée. Il hésita encore un instant avant de parler.
— Vesper, c’est un cas à part. Il était déjà là quand j’suis arrivé y a trois ans. Et il était déjà comme ça. Toujours cette putain de maîtrise, cette façon de toujours tout voir venir avant nous... Il lui lança une expression en biais. C’est flippant, pas vrai ?
Il lui tendit enfin une arme qui correspondait à ses critères : un couteau de combat à lame crantée, bien équilibré et maniable.
— Tiens. C’est léger, ça coupe bien et si t’es rapide, tu peux l’utiliser avant qu’un connard ait le temps de crier.
Il croisa les bras, un sourire en coin.
— Si tu tiens tant à savoir d’où il sort, pourquoi tu lui demandes pas directement ? Ah, ouais... c’est parce que lui, il donne jamais de vraies réponses, c’est ça ?
Maddox haussa les épaules avant de se détourner, comme s’il ne voulait pas trop en dire.
— Tu verras bien par toi-même. Mais fais gaffe, Fox... Ce mec-là, il est soit notre meilleure chance de survie, soit un putain de cauchemar ambulant. Peut-être même les deux.
Elle l’écouta sans en perdre une miette, captant chaque nuance de son ton, chaque mot qui la rapprochait un peu plus de ce qu’elle voulait comprendre. Un sourire effleura ses lèvres quand il admit qu’il ressentait la même chose qu’elle.
— Comme quoi, c’est pas la taille qui compte, lança-t-elle avec une pointe de malice.
Puis, sans plus attendre, elle tendit la main vers le couteau, le soupesa, éprouvant l’équilibre de la lame dans sa paume.
— T’as pas plus… long ? demanda-t-elle, relevant les yeux vers lui.
Elle hésita une seconde, puis ajouta :
— Et au cas où… t’aurais pas des arcs ? J’ai tiré dans mon enfance, avant… avant tout ce bordel. J’étais pas mauvaise.
Elle s’efforçait de garder un ton détaché, mais à la dernière remarque de Maddox, quelque chose changea. Toute trace de plaisanterie disparut de son visage.
— Putain, mais il sort d’où, Maddox ? Qu’est-ce qu’il est ?
Sa voix s’était faite plus basse, méfiante. Comme si elle redoutait déjà la réponse.
Maddox la fixa un instant, puis souffla un rire bref.
— T’as toujours des questions, toi. Ça va te jouer des tours un jour.
Il se détourna pour farfouiller dans une caisse métallique à côté du râtelier d’armes. Après quelques secondes, il en sortit une machette plus longue que le couteau, bien affûtée, avec un manche renforcé.
— Tiens, c’est plus long et ça tranche net. Mais faut pas te louper, sinon c’est toi qui y passes.
Il réfléchit en entendant sa demande pour un arc.
— On a pas grand-chose en stock côté arcs... les flèches, c’est la galère à fabriquer. Mais j’peux voir si on a quelque chose qui traîne. T’as un type d’arc préféré ?
À sa dernière question, il se figea un instant.
— Personne sait exactement. Il dit pas grand-chose sur son passé et franchement, j’suis pas sûr d’avoir envie de savoir. Mais j’vais te dire un truc, Fox. J’ai vu des gens mourir sous mes yeux, égorgés, déchiquetés, brûlés vifs. Des horreurs, j’en ai vu des tas. Mais Vesper, lui...
Il hésita, cherchant ses mots, puis se pencha légèrement vers elle.
— Il a ce truc... Il regarde un monstre et c’est pas lui qui a peur. C’est la créature qui recule.
Maddox se redressa et haussa les épaules, reprenant son air nonchalant.
Alors il l’avait constaté, lui aussi.
— Bon, tu veux toujours jouer les curieuses avec lui, ou t’as un peu plus les jetons maintenant ?
Un frisson parcourut la jeune femme. Elle revit la scène dans la rue, avec le monstre.
— Non, je vois exactement ce que tu veux dire, dit-elle très sérieusement. C'est pas normal.
Elle avait compris qu'elle ne tirerait rien de plus de cette conversation. Elle revint au sujet initial : "Laisse tomber l'arc. T'as pas de flingue, pour les situations d'urgence... ?"
Maddox souffla par le nez, un sourire en coin.
— T’es exigeante, toi.
Il recula et ouvrit un tiroir verrouillé à clé sous le râtelier d’armes. Après avoir fouillé un instant, il en sortit un petit pistolet semi-automatique et un chargeur. Il posa le tout devant elle.
— Un Glock 19. Compact, léger, dix-sept balles. J’te donne qu’un seul chargeur, alors t’évite de tirer pour rien. Et si tu merdes et que ça attire des pillards ou pire... c’est toi qui gères les conséquences.
Il attendit une confirmation qu’elle prenait ça au sérieux.
— T’as déjà tiré avec un truc comme ça avant, ou faut que je te fasse un cours express ?
— Ça ne doit pas être compliqué ? haussa-t-elle désinvolte.
Elle examina le côté de la crosse, désengagea le cran de sûreté, chercha le bouton d'extraction du chargeur, en vérifia le contenu et le rengagea. Elle pointa vers le mur, visant avec un seul œil dans l'alignement du viseur.
Maddox l'observa, bras croisés. Quand elle finit sa démonstration, il eut un léger rictus.
— Ouais… ça ira. Juste, évite de te crever un œil en visant comme ça.
Il laissa un temps, puis ajouta :
— Tire pas à moins d’être sûre de ton coup. Les balles, c’est plus précieux que l’eau ici. Si ça part, faut que ça touche.
Il tapota le comptoir, signe que la leçon était finie.
— Bon, t’as ta bouffe, ton arme… Tu veux un cheval et une armure, aussi, princesse, ou on peut y aller ?
Elle ne put retenir un rire et lui décocha un air amusé.
— Ça ira, je voudrais pas abuser de ton hospitalité.... Elle acquiesça. Je suis prête.
Maddox hocha la tête avec un demi-sourire, puis attrapa son propre sac avant de lui faire signe de le suivre.
— Alors en route, p'tite fouine.
Il ouvrit la porte et sortit, la laissant marcher à ses côtés. Le hall était plus animé que la veille : quelques silhouettes allaient et venaient, échangeant à voix basse. Certains la scrutaient en coin, visiblement intrigués par la nouvelle venue.
En passant devant un groupe, Maddox lâcha avec son éternel ton moqueur :
— Ouais ouais, elle est avec moi. Pas besoin de la flairer comme des clébards.
Fox sentit une inquiétude sous-jacente. Ici comme partout, chaque inconnu représentait un danger potentiel.
La veille, elle n’avait fait qu’entendre les autres habitants du lieu, sans jamais les voir. Cachés dans les couloirs ou les salles annexes, réduits à des murmures étouffés derrière les murs. Mais à la lumière du jour, la réalité lui apparut avec une netteté brutale : ils étaient nombreux. Bien plus qu’elle ne l’avait imaginé.
Elle les observa sans chercher à s’intégrer. Y avait-il autant de femmes que d’hommes ? Elle fit un tour d’horizon rapide, enregistrant les visages sans vraiment les fixer. La majorité des habitants semblaient être des adultes, avec un léger avantage numérique pour les hommes. Quelques adolescentes circulaient, l’air aussi farouche qu’elle. Mais pas d’enfants. Pas un seul.
Peut-être que ce monde n’était plus fait pour eux.
Elle ne fit aucun effort pour sourire ou saluer qui que ce soit. Elle avait perdu cette habitude, celle des faux-semblants du monde d’avant. Ici, l’instinct primait sur la politesse.
Elle dériva vers une des sorties. Elle cherchait son guide des yeux. Le répit était terminé. Il allait falloir retourner dehors.
Un frisson, à peine perceptible, la parcourut. Finalement, Maddox avait peut-être raison.
On était bien, à l’intérieur.
Elle n'avait pas envie de sortir, pas après une nuit comme celle-ci, où son corps avait enfin pu se relâcher. Pourtant, elle n'avait pas le choix. Elle s'était engagée, et puis… cette expédition lui permettrait peut-être d’en découvrir un peu plus sur Vesper.
Maddox la dévisagea avec un sourire en coin, devinant probablement ses pensées.
— C'est toujours quand on remet les pieds dehors qu'on se rend compte à quel point c'était bien dedans.
Il ajusta la sangle de son arme et ouvrit la porte. Lorsque le métal grinça sur ses rouages, un souffle froid s'engouffra et avec lui, une sensation de malaise s'abattit sur elle, la ramenant brutalement à la réalité.
Vesper était là dehors, adossé à un mur, les bras croisés, l'air toujours aussi sûr de lui. Lorsqu'il leva les yeux vers elle, un sourire énigmatique étira ses lèvres.
— Prête à voir si tu tiens vraiment la route, Fox ?
Le monde extérieur, hostile et indompté, sembla l’avaler d'un coup. Un poids invisible accablait ses épaules, une pression familière qui se resserrait autour d'elle rien qu’en observant la ville dévastée.
Mais l'attitude désinvolte et insouciante de Vesper effaça une partie de son appréhension. Il semblait aussi à l’aise là, au milieu de cette brutalité, qu'un prédateur dans son élément. Ça la calma, en quelque sorte.
Elle le fixa un instant, cherchant à dissimuler cette pesanteur qui ralentissait ses pas. Un sourire se dessina sur ses lèvres, un peu plus audacieux qu'elle ne l’avait prévu. Elle se redressa, comme prête à faire face à tout.
— Et toi, tu seras capable de me suivre ? lança-t-elle avec provocation, l'air de défier son calme.
Puis, sans lui laisser le temps de répondre, elle fit un pas en avant, franchissant la porte, sa silhouette se découpant dans la lumière terne du dehors. Hors de question de lui laisser penser qu’elle se laissait dominer par la peur.
Vesper arqua un sourcil amusé, son éternel sourire en coin toujours présent. Maddox, derrière elle, laissa échapper un ricanement discret.
— J'aime ton audace, Fox. Il se décolla du mur et s'avança tranquillement vers elle, ses mouvements fluides et maîtrisés. Mais méfie-toi. Certains défis finissent par se retourner contre ceux qui les lancent.
Une bourrasque souffla de nouveau dans la rue, soulevant quelques feuilles mortes et un papier froissé. L'air sentait la poussière et le danger latent.
— Alors, c'est quoi le plan ? demanda-t-elle en se tournant vers Vesper.
Elle ne savait pas encore si elle pouvait lui faire confiance. Mais une chose était sûre : elle allait en savoir plus.
Vesper s’avança d’un pas. Il semblait savourer la provocation, comme si le danger et le jeu étaient une seule et même chose pour lui. Maddox, en retrait, croisa les bras, observant la scène sans intervenir.
Dehors, la rue était silencieuse, trop silencieuse. Un vent sec agitait la poussière et faisait grincer les panneaux métalliques abandonnés. L’atmosphère pesait, comme si quelque chose d’invisible rodait entre les ruines.
— On essaye de survivre ?
Vesper tourna légèrement la tête vers Fox, attendant sa réaction. Maddox grommela quelque chose à propos de la stupidité de sortir en plein jour, mais il ne tenta pas de les en empêcher.
Le moment était venu de bouger.

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