De retour

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Le sentiment d’enfermement et de potentielle sécurité de l’abri qui emplit l'espace autour de Fox ne lui apporta pourtant aucun réconfort. Au contraire, cela lui fit l’effet d’un sas de décompression, elle se sentit d’un seul coup vidé de tout ce qui l’avait tenu debout jusqu'ici.

Maddox parlait, de sa voix burinée d’ouvrier ou de militaire, elle ne savait pas trop. Mais elle ne l’entendait pas vraiment. Parlait-il à elle ou à Vesper ? Son dos heurta une paroi, les yeux hagards, figés droit devant elle. Ses bras retombèrent de chaque côté de son corps.

Fox sentait son esprit s'embrouiller sous la pression, la fatigue s'insinuait dans ses os. Tout ce qu’elle avait refoulé par instinct de survie au dehors, refaisait surface avec une violence décuplé d’un animal qui n’a pas apprécié d’avoit été tenu en cage. Chaque souffle était douloureux, comme une charge invisible. Ses pensées se mélangeaient, flottant entre les horreurs du passé, les terreurs du présent et l'incertitude de l'avenir.

La vision du type du supermarché se superposa à celle de la machette qui se plantait dans le crâne de la créature…

Tu es certaine que c’était une créature ?

Le mur, froid derrière elle, devenait son unique repère. Elle chercha à se recentrer, mais le contre-coup la maintenait fermement, la laissant figée dans une stupéfaction presque palpable. Elle sentit un objet carré dans sa poche et le sortit, sans se souvenir de ce que c’était.

Une petite boîte métallique, cabossée.

Elle fronça les sourcils. Lentement, elle infiltra ses ongles sous le rebord et décapsula le couvercle. C’était comme un trésor. Le brouhaha de l’abri qui doucement s’intéressait à l’entrée de l’expédition lui était très lointain.

Elle ouvrit la boite et découvrit… des soldats de plomb.

Incongru. Des soldats de plomb ?

Ses yeux, fixés sur un point indéfini devant elle, s'étaient vidés de toute émotion. Elle avait arrêté de réagir aux bruits qui avaient empli le hall, aux mouvements autour d'elle. Son esprit était ailleurs, perdu dans un tourbillon de pensées. Elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de se laisser aller au désarroi, mais l'épuisement était plus fort que sa volonté.

Fox se laissa tomber sur le sol et ramena ses genoux contre elle, ses bras serrés autour de ses jambes. Elle demeura prostrée, refermée sur elle-même. Son esprit était en ébullition, sans savoir vraiment ce qu'elle ressentait. Peut-être était-ce de la colère, peut-être de la frustration… à moins que ce ne soit cette si cruelle culpabilité ?

Craquement…

Le bruit sourd de la porte qui se refermait derrière eux avait marqué la fin de l'angoisse du dehors. A l’intérieur, le tumulte des voix, des pas précipités, des chuchotements et des murmures remplissaient maintenant le hall. Les regards curieux et inquiets se posaient sur eux.

Maddox se hâta de tendre une main pour soutenir Elias, l'amenant rapidement vers un petit coin dégagé où quelques personnes se pressaient autour d'un autre blessé. Les présentations se firent à la hâte, certains marqués par la fatigue, d'autres par l'urgence. Une femme, d'une quarantaine d'années, à l’attitude vive et assurée, se fraya un chemin à travers la foule. Son visage était empreint de concentration, comme si elle vivait à chaque instant cet état de crise permanente. Elle portait une blouse de fortune, faite de morceaux récupérés et une ceinture remplie d'outils médicaux. Elle se précipita vers Elias avec un petit geste de la main.

— Je m'en occupe, dit-elle, d'une voix calme mais ferme. Elle s'agenouilla près de lui, inspectant la blessure. Il faut qu'on nettoie ça au plus vite. Emmenez le dans l’infirmerie, vite ! Dégagez !

Un groupe porta le blessé au loin.

Le bruit atroce de la machette qui brisait le crâne en deux tournait en boucle dans son esprit. Dès qu’elle fermait les yeux, elle revoyait le visage du type qu’elle avait abandonné au supermarché. Puis de nouveau, la machette.

Le tumulte de l'abri continuait autour de Fox mais elle n'en avait que faire. Le monde s'était rétréci à un point où tout ce qui comptait, c'était le poids dans sa poitrine et l'angoisse qui bourdonnait dans sa tête. Les bruits du chaos environnant se mêlaient à un bourdonnement sourd qu'elle n'arrivait même plus à filtrer. La douleur, la fatigue, la culpabilité... Tout ça se mélangeait dans un tourbillon de pensées qu'elle ne pouvait plus arrêter. Elle aurait voulu hurler, mais son corps, déjà à bout, ne répondait plus.

Autour d'elle, l’agitation devenait indistincte ; les voix se perdaient, se couchaient dans des murmures, des éclats de discussions, des ordres donnés. Mais elle était enfermée dans une bulle d'immobilité, un état où ses yeux suivaient les mouvements des autres sans les voir vraiment. Elle sentait l'odeur de la sueur, du métal, de la poussière, mais tout paraissait loin, comme à travers une brume épaisse.

— Il faudrait qu’elle aille se reposer.

— Elle n’a pas l’air bien…

Parlait-on d’elle ?

Soudain, derrière ses paupières closes, elle vit le cadavre se retourner, appuyant de ses bras décharnés sur le sol, la machette encore fichée sur sa tête, lui donnant un air ridicule. Elle vit son visage. Humain, terrifié, incrédule. Il avait l’air fatigué et perdu. Et du sang se mit à couler de sa blessure jusque sur son visage, recouvrant lentement ses yeux…

Une silhouette s'approcha sans un bruit. Une main se posa sur son bras.

Elle sursauta violemment et recula sur les fesses, poussant avec ses pieds sur le sol. Son regard terrifié balaya autour d’elle tandis que ses mains se levaient en bouclier.

Le silence se fit dans le hall.

Elle était figée, le corps tendu comme une corde prête à se rompre.

— Fox. Calme-toi.

Deux bras s’approchèrent d’elle et la saisirent avec douceur, mais fermeté. Ils se refermèrent autour d’elle comme un cocon de protection. Toute la résistance de son corps se brisa d’un coup et elle se lova contre celui qui venait de lui porter secours. Elle se mit à sangloter, sans pouvoir se retenir et enfouit son visage contre une veste qui portait encore les odeurs horribles du dehors.

Elle se sentit soulevée du sol et ne lutta pas.

Elle fut déposée dans un lit, bordée comme une enfant, les yeux déjà clos, incapable de se reconnecter à la réalité.

Vesper s'éloigna doucement, mais avant de quitter la pièce, il murmura :

— Si tu as besoin de parler, je suis là. Parfois, ça aide.

Le son des voix, d'abord lointain et indistinct, se fit plus précis à mesure que l'inconscience de Fox s'estompait. Lentement, les contours du monde autour d'elle reprenaient forme. Elle n'avait pas idée de combien de temps elle avait dormi, mais le bruit du murmure, des pas, la chaleur de la couverture, tout lui parut étrange, comme si elle était prisonnière de son propre corps.

Elle se redressa lentement, le cœur battant à un rythme irrégulier dans sa poitrine. Sa vision floue chercha à se fixer sur l'environnement qui l'entourait. L'abri. Des murs gris, une pièce isolée mais poreuse aux voix lointaines. Une odeur d'humidité, de métal et de poussière. Elle se trouvait dans une petite salle exiguë, une chambre de fortune. Un drap propre, une couverture qui semblait avoir vu des jours meilleurs, mais elle était là, et c'était tout ce qui comptait.

Un frisson la parcourut et elle porta la main à sa tempe, cherchant à apaiser la douleur qui se faisait sentir dans ses os. Ça et la nausée persistante qui la tenaillait.

Elle se leva, chancelante.Elle rejoignit la porte qu’elle ouvrit en s’y agrippant pour ne pas s’effondrer.

Elle jeta un coup d'œil au-dehors et aperçut quelques visages furtifs qui se tournaient vers elle à intervalles. Des membres de la communauté sans doute, dont elle ne connaissait même pas les noms. Leur présence n'était qu'un brouillard de silhouettes, mais un détail la fit soudain tiquer : Vesper était là, dans le coin de la chambre, appuyé contre le mur, les bras croisés, ses yeux perçant fixés sur elle. Elle ne l’avait même pas vu.

Un mutisme pesant alourdit l’atmosphère.

— Fox, dit-il d’une voix calme, mais ferme. Il se décolla du mur et s’approcha à pas mesurés, l’inquiétude se lisant dans sa gestuelle. Comment tu te sens ?

Elle cligna des yeux, tentant de recoller les morceaux. De la fatigue, de la confusion, un vertige... et la peur.

— Qu'est-ce qui s'est passé… après ?...

Sa voix était éraillée, elle n'était pas sûre si elle parlait de l'incident avec la créature ou de ce qui s'était passé une fois qu'elle avait été prise en charge.

— Élias… souffla-t-elle. Est-ce que…?

Vesper opina gravement. D’un regard, il chercha à rassurer la jeune femme.

— Elias est entre de bonnes mains. Il a été pris en charge par le Dr Smith. Pour le moment, ses chances sont bonnes. Il a pris des antibiotiques et il est stabilisé. Maintenant, il faut attendre.

Fox ferma les yeux un instant, soufflant de soulagement. Mais une partie d'elle restait perturbée. Il y avait autre chose qui la rongeait, un sentiment d'inachevé, de perte. Ses jambes se mirent à trembler, elle flanchait. Avant qu’elle ne s’écroule, Vesper referma ses bras sur elle. Il s’était déplacé vite - trop vite. Comment avait pu traverser la pièce en si peu de temps et sans un bruit ?

Il la dévisagea, marqué cette fois par une réelle inquiétude.

— Viens t’asseoir, ordonna-t-il.

Il la guida jusqu’au lit et ne lui laissa pas le choix que d’y prendre place. Il ne l’avait pas lâché. La proximité de leurs corps raviva en elle cette douce chaleur. Elle sentit cette fièvre glisser jusqu'à ses joues tandis qu’il ne la lâchait pas des yeux. Elle sentait son souffle sur son visage.

— Tu m’as fait peur.

Une once de reproche était perceptible dans ses prunelles trop claires. Il ne souriait plus. Elle le remarqua avec perplexité.

L’instant s’éternisa, immobile et suspendu. Il desserra doucement son étreinte.

Elle lui lança un sourire taquin.

— Tu vois, moi je suis une créature qui ne sait pas où est sa place…

La réflexion surprenante lui arracha un rire et le visage de l’homme se détendit.

— Tu te sens prête à bouger ou tu préfères attendre un peu ?

Elle hésita, ses pensées encore embrouillées. "Je... je dois sortir d'ici. Pas rester cloîtrée."

Il voulut objecter, mais il se tut face à la détermination dans ses yeux. Finalement, il acquiesça.

Vesper, silencieux, se leva et se dirigea vers la porte, alors que les bruits de l'abri s'intensifiaient.

— On pourra parler un peu, murmura-t-il d'un ton bas, presque imperceptible au milieu de la cacophonie environnante. Nous avons des choses à nous dire. Pas de pression. Juste... quand tu seras prête.

Elle ferma les yeux un instant, respirant profondément pour se donner du temps. Elle savait qu'il fallait avancer, continuer, mais chaque pas la ramenait toujours à l'ombre de ce qu'elle avait vécu. De ce qu’elle avait fait. Et jusqu’où elle devrait encore aller pour survivre.

Des ténèbres qu'elle n'arrivait pas encore à affronter, mais qu'elle devrait un jour confronter.

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