Chapitre 26 (EN COURS NE PAS LIRE)
Layla
Je contemple mon reflet dans le miroir pour la cinquième fois. Mon teint brille toujours d'un léger éclat doré et mon mascara n'a pas coulé. Ce qui est un miracle, compte tenu du nombre de larmes que j'ai retenues à la mairie ce matin. Le discours sur les droits et les devoirs des époux m'a particulièrement touchée, et lorsque Chahine m'a passé la bague au doigt, j'ai dû puiser dans toutes mes forces pour ne pas m'effondrer.
Jasmine ajuste tendrement une mèche rebelle sans me quitter des yeux.
- Tu es magnifique, me susurre-t-elle.
Je lui offre un sourire fragile, sans grande conviction.
Mes cheveux sont coiffés en un chignon bas et deux ondulations encadrent mon visage. Propre, élégante, maîtrisée. La coupe parfaite pour une mariée.
Pourtant, je ne peux m'empêcher de douter.
À l'origine, j'étais censée garder mon voile pour la cérémonie. En effet, même si nous avions choisi de séparer les filles des garçons, la salle que nous avions réservée possédait un vis-à-vis. Il m'était donc impossible de l'enlever.
Cependant, au dernier moment, Jasmine a eu l'idée d'installer des rideaux. Résultat : plus besoin de foulard et davantage d'intimité. Une perspective qui, sur le coup, m'avait ravie, mais qui maintenant me terrifie. Parce que j'avais oublié que Chahine me verrait dès notre entrée. Et je ne sais pas si je suis prête à lui dévoiler ma vulnérabilité.
- Et s'il était déçu ? lancé-je, d'une voix tremblante.
- Déçu par quoi ? me questionne Jasmine, déroutée.
- Par... par mes cheveux.
Elle se fige, les yeux ronds.
- Par tes cheveux ? répète-t-elle. Mais ils sont incroyables, Layla !
Je baisse la tête, gênée.
- Ils sont bouclés, ce qui peut donner un air un peu... sauvage, non ?
- Sauvage ? s'étouffe-t-elle. Tu plaisantes, j'espère ?
En constatant que je suis sérieuse, son expression s'adoucit.
- Bon, écoute-moi bien...
Elle prend alors mes mains.
- Je sais que tu as vécu des choses difficiles à cause de ces boucles.
Je lui avais effectivement raconté les moqueries que j'avais pu subir à l'époque.
- Je sais aussi à quel point les injonctions aux cheveux lisses, soi-disant plus classes, sont fortes dans notre communauté.
Elle serre légèrement mes doigts entre les siens.
- Mais est-ce que tu as la moindre idée d'où cette réflexion provient ?
J'arque un sourcil, incrédule.
- Non.
Elle ancre alors son regard profond au mien.
- D'un héritage colonial, Layla. D'une déshumanisation de nos peuples, perçus comme plus proches de la nature animale.
J'écarquille soudain les yeux, stupéfaite par son aveu.
- Alors je vais te poser une seule question, Layla... souffle-t-elle. Et je veux une réponse honnête.
J'opine du chef, sur la réserve.
- Est-ce que tu détestes vraiment tes cheveux, ou est-ce que tu détestes le regard que certaines personnes peuvent porter sur eux ?
Un frisson me parcourt l'échine.
Je parcours les méandres de mon passé, ressassant toutes ces fois où j'ai pu admirer des ondulations. Pas les miennes, uniquement celles des autres. Un paradoxe que je n'avais jamais réussi à élucider... jusqu'à maintenant.
Je relève alors mon regard vers celui de Jasmine avec une nouvelle détermination.
- Je ne déteste pas mes cheveux... murmuré-je.
- Ah oui ?
- Je les aime, et je crois que je suis enfin prête à assumer mon identité.
Un sourire de fierté se dessine sur le visage de mon interlocutrice.
Je m'apprête à la remercier, lorsque la sonnerie de mon téléphone me coupe dans mon élan. Face au prénom affiché sur l'écran, je décroche spontanément.
- Layla ! s'exclame ma cousine. Allume la caméra !
- Attends, protesté-je. Jasmine n'a pas fini de...
- Dépêche-toi ! insiste-t-elle cependant. Allez ! Je veux voir la mariée !
Je pousse un soupir, exaspérée, avant de finir par obtempérer.
Je lui dévoile alors ma tenue du jour.
Il s'agit d'un karakou en velours rouge, orné de motifs dorés délicatement brodés. Le détail du sfifa, travaillé à la main, brille sur le col ajusté de la veste, ajoutant une touche raffinée. La jupe plissée, elle, s'ouvre en corolle, épousant parfaitement ma silhouette.
- Waouuuh, s'émerveille-t-elle. Tu es une princesse !
Je pouffe de rire devant sa réaction.
- Merci, Rym.
- J'aurais tellement aimé pouvoir te voir en vrai, Layla...
Un pincement me serre le cœur.
Rym s'est malheureusement vue refuser son visa. En effet, comme elle avait déjà voyagé en France en début d'année, les autorités ont considéré que sa demande était un peu trop rapprochée. Un refus que je peux comprendre, vu le nombre de demandes, mais qui me laisse tout de même un arrière-goût amer.
- Ne t'inquiète pas, la rassuré-je. On se verra bientôt, à ton mariage.
- Oh oui, s'écrie-t-elle. J'ai tellement hâte !
- Comment ça avance, d'ailleurs ?
Elle se pince l'arête du nez, de l'autre côté de l'écran.
- Ça prend du temps. Plus que prévu.
- En même temps, tu veux quelque chose de grandiose !
Contrairement à moi qui me contente d'une fête simple, ma cousine prévoit de sortir le grand jeu. Au programme, arrivée du couple à cheval, accueil par des artistes cracheurs de feu et portage de la mariée en palanquin. Autant vous dire qu'elle ne plaisante pas.
- Bien évidemment, ajoute-t-elle. Moi aussi, je veux être une princesse !
J'entends Jasmine ricaner derrière moi.
J'entremêle mon rire au sien et déclare à Rym :
- Ne t'en fais pas, tu seras une reine !
Nous continuons d'échanger sur des banalités avant de finir par raccrocher.
Alors que je m'apprête à demander à Jasmine de m'indiquer l'heure, la porte s'ouvre brusquement.
- Layla, t'es toujours pas prête ? s'exclame Chahine.
Il entre en trombe dans la pièce, visiblement paniqué.
- On va être en retard et...
Son regard se pose soudain sur le mien et il s'arrête net, complètement ébranlé.
Au vu de son expression, il s'attendait à me voir encore avec mon foulard.
Je reste alors figée, affolée, ne sachant plus du tout où me placer.
Il me décortique de la tête aux pieds, depuis ma chevelure dévoilée jusqu'à mes formes pleinement exposées. Il ne prononce pas un mot, mais l'éclat de ses prunelles parle pour lui. C'est la première fois que j'autorise un garçon à promener son regard sur moi, et contrairement à ce que j'imaginais, ce n'est pas désagréable. Parce que ce n'est pas n'importe quel homme, c'est lui.
Alors moi aussi, je me permets de le scruter. J'observe le blanc immaculé de son jabador contrastant avec sa peau hâlé, ainsi que la broderie argentée hypnotisante qui court le long de ses manches. Ses boucles sombres tombent librement, encadrant son visage avec une simplicité désarmante.
Nous restons là, à nous observer mutuellement, comme suspendus dans un cocon. Le silence qui nous entoure est lourd, chargé d'une tension électrique si forte que je peine à respirer. Chahine ne le brise pas non plus, ses lèvres entrouvertes trahissant seulement son souffle court.
J'en arrive même à oublier la présence de Jasmine à nos côtés, jusqu'à ce que cette dernière nous ramène brutalement sur terre avec sa remarque faussement innocente :
- Bah alors, Chahine, on a perdu sa langue ?
Nos deux visages virent à un rouge tellement pivoine que la nuance se rapproche presque de celle de mon karakou. Chahine se retourne alors vers son amie, visiblement prêt à l'assassiner.
- La ferme, Jasmine ! balance-t-il, embarrassé.
- Oula, faut pas s'énerver comme ça !
Elle lève les mains en l'air en signe de reddition.
- Sinon, tu vas faire peur à la mariée ! ajoute-t-elle malicieusement.
- Espèce d'enflure...
Le brun passe une main sur sa nuque, tout en grommellant des choses inaudibles dans sa barbe inexistante. Jasmine éclate alors de rire et même si mon malaise ne s'est pas totalement estompé, je ne peux m'empêcher d'apprécier la familiarité de ce genre de moment.
Alors lorsque Chahine me tend la main pour m'intimer à y aller, je m'empresse de l'attraper, savourant pour la première fois la chaleur réconfortante de ses doigts.
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