1.
Digne dans sa robe noire à manches longues, Sarah se tenait devant la fenêtre du salon, le regard perdu dans le ciel d’automne. La lumière pâle perçait à peine les lourds nuages de fin d’après-midi et chaque rayon semblait rappeler la fragilité de ce monde qui lui échappait. Une larme roula sur sa joue.
— Est-ce que ça va, ma chérie ? murmura sa mère, posant une main douce sur son épaule.
— Le ciel… il est triste et magnifique à la fois, souffla Sarah, la voix chargée de mélancolie. Henry adorait l’automne… c’était sa saison préférée…
Elle resta silencieuse, les yeux rivés sur le brouillard qui semblait envahir son esprit.
— Il me manque tellement…
Sa mère déposa un baiser léger sur sa joue et elles échangèrent un regard empreint de compassion, puis un sourire silencieux qui en disait long sur leur lien.
— Désolée de te presser… mais les gens attendent sous le porche. Il serait temps de leur dire au revoir.
Sarah acquiesça, le cœur lourd. Chaque adieu semblait peser une éternité. Les amis, voisins, collègues et connaissances s’étaient déplacés pour rendre un dernier hommage à son époux, Henry, emporté brutalement par un cancer du pancréas. Elle salua chacun avec la dignité qu’elle pouvait rassembler, les lèvres serrées, le souffle court.
Lorsque le calme revint, Sarah et sa mère regagnèrent le salon. Le parfum de la tisane chaude qui flottait dans l’air offrait un répit aux émotions à vif.
— Tu es sûre de ne pas vouloir que je reste un peu plus ? demanda sa mère, inquiète.
— Non… j’aimerais être seule un moment, se contenta de répondre Sarah. J’ai besoin de retrouver mes pensées, de faire le point.
— Et la suite, as-tu réfléchi à ce que tu veux faire ?
— Je ne sais pas encore… j’aimerais rester proche de toi, mais chaque souvenir me ramène à lui, à cette maison…
Assise dans la bergère, Sarah balaya du regard la pièce familière. La tapisserie fleurie et le parquet sombre, associé aux meubles massifs, formaient un cocon chaleureux. Quelques lampes éclairaient les cadres photos posés sur la cheminée, ainsi que le portrait de leur mariage qui trônait au-dessus, immuable et solennel.
Leur conversation s’éteignit peu à peu. Sarah attrapa un plaid en tartan bleu posé sur le fauteuil, l’enroula autour de ses épaules et accompagna sa mère jusqu’à sa voiture. Elles ne parlèrent pas, mais leurs yeux communiquaient l’essentiel : un dialogue silencieux entre une mère et sa fille en deuil.
— Ma chérie… tu sais que tu peux tout me dire, n’est-ce pas ?
Sarah esquissa une moue, hésitante, résignée. Sa mère lisait en elle comme dans un livre ouvert.
— Pardon… je ne sais pas vraiment ce que je ressens. Je suis partagée sur la bonne attitude à avoir…
— C’est normal, mon ange.
— J’ai l’impression d’avoir déjà accompli une partie de mon deuil, mais je me sens coupable…
— Coupable de quoi ?
Sarah laissa échapper un long soupir empreint de ressentiments.
— Quand nous avons appris son cancer, il y a huit mois, j’étais effondrée. Je croyais que ma vie s’arrêtait là… mais Henry, malgré tout, a continué à me surprendre par sa prévenance…
Une larme glissa sur sa joue et elle la chassa d’un revers.
— Henry était unique… original, même. Sa sensibilité, sa manière d’être, de voir le monde… il n’était pas comme les autres.
— Tu as raison, et nous n’avons jamais douté de ses sentiments pour toi, ajouta sa mère avec douceur.
— Ce n’est pas ses sentiments que je remets en question, murmura Sarah, le regard perdu dans le vague. C’est moi… j’ai l’impression de l’avoir abandonné… de ne pas avoir été là pour lui…
— Parce que tu as anticipé son départ ?
Sarah hocha lentement la tête, l’air mélancolique.
— Quand il est tombé dans le coma, il y a trois mois, j’ai compris que je ne le reverrais jamais… c’est là que j’ai commencé mon deuil…
Elle inspira profondément, tentant de chasser ses pensées sombres. Sa mère déposa un baiser sur sa joue, un geste simple mais salvateur.
— Il faudra du temps pour mettre tes idées en ordre, dit-elle doucement. Mais rien ne presse. Promets-moi juste de faire de ton mieux, d’accord ?
— Je vais essayer… répondit Sarah avec un léger sourire triste.
Après un dernier échange de regards, sa mère l’embrassa, puis monta dans sa voiture. Sarah la regarda s’éloigner, assise sur la balancelle du porche. Le vent léger la faisait osciller doucement et son esprit dérivait entre souvenirs et culpabilité.
Un raclement de gorge la fit sursauter. Elle leva le regard et aperçut un homme debout en bas des escaliers. Son costume sombre était impeccablement ajusté et ses cheveux grisonnants, légèrement bouclés, virevoltaient dans la brise. Ses yeux bleus cristallins reflétaient une profonde tristesse.
— Pardonnez-moi… je ne voulais pas vous interrompre, s’excusa-t-il en inclinant la tête.
Sarah se redressa, un timide sourire bienveillant sur les lèvres.
— Ne vous excusez pas. Je ne m’attendais plus à recevoir de visite.
L’homme esquissa un sourire gêné.
— C’était une cérémonie magnifique…
— Merci… J’ai fait de mon mieux, murmura Sarah.
Ils échangèrent une poignée de main cordiale.
— Je m’appelle Léandre Berthier, annonça-t-il avec hésitation.
— Enchantée. Étiez-vous un ami de mon mari ?
Le visage de Léandre se figea et il baissa les yeux, mal à l’aise.
— C’est… un peu plus compliqué que ça, souffla-t-il en triturant son chapeau nerveusement.
Intriguée, Sarah l’invita à s’asseoir sur la balancelle.
— Je suis désolé de vous annoncer cela maintenant… mais j’ai peur de ne jamais trouver le courage de le faire sinon…
— Est-ce si grave ? demanda-t-elle, le cœur battant.
Léandre inspira profondément, puis leva les yeux vers elle, ses prunelles chargées d’émotion.
— Henry… Henry était l’amour de ma vie…

Annotations
Versions