7.
Le froid mordait la laine avec de plus en plus d’agressivité et Léandre invita Sarah à rentrer au chaud.
— J’ai préparé un potage d’automne, annonça-t-il prudemment.
— Celui de Henry ? demanda Sarah, la voix hésitante.
Léandre fronça les sourcils, mais acquiesça.
— Vous êtes chanceux, il n’a jamais voulu me donner la recette…
— C’est normal, je lui ai fait promettre de ne la divulguer sous aucun prétexte.
Sarah fronça les sourcils à son tour.
— Vous voulez dire que c’est la vôtre ?
— Affirmatif ! J’étais chef cuisinier, ma chère, répondit Léandre avec fierté.
Il l’invita à s’installer autour de la petite table ronde et Sarah, malgré ses réserves, se laissa faire. La journée avait été longue et émotionnellement éprouvante, son estomac semblait approuver.
Léandre déposa devant elle un large bol de potage fumant, parfumé de potiron, d’herbes et d’épices. Sur un petit plateau, quelques fromages accompagnaient une bouteille de Cabernet Sauvignon rouge qu’il déboucha promptement.
— Ce fumet est enivrant, ajouta Sarah dans une tentative d’apaisement.
— Attendez d’y goûter, répliqua Léandre.
Il lui tendit une tranche de pain frais et l’invita à l’y tremper. Mais à peine le liquide eut-il touché ses lèvres qu’elle se figea et des larmes lui montèrent aux yeux.
— Est-ce que tout va bien ? demanda Léandre en posant une main inquiète sur son bras.
Sarah secoua la tête et reprit son souffle.
— C’est délicieux… c’est juste que ça me rappelle tellement Henry, répondit-elle, une pointe de rire dans sa voix entrecoupée de sanglots. C’était la seule recette qu’il parvenait à réussir sans mettre le feu à la cuisine. Lorsqu’il se lançait dans cette préparation, il en faisait toujours une grande marmite… pour nous régaler pendant des jours !
Un sourire complice et douloureux traversa son visage. Elle leva les yeux, se souvenant de ces instants simples mais précieux.
— C’est étrange. À chaque fois que j’en faisais, Henry trouvait qu’il manquait de quelque chose. Un “je ne sais quoi” sur lequel il n’est jamais parvenu à mettre le doigt. Ça me surprend qu’il vous ait fait ma version pendant toutes ses années.
— Henry aimait la simplicité, répondit calmement Sarah. Pour lui, la nourriture devait être un plaisir sans compromis…
Léandre acquiesça et leva son verre.
— À Henry ?
Sarah hésita un instant, consciente du poids de ce geste. Mais au fond d’elle, une chaleur douce s’instilla, comme un souffle de réconfort inattendu.
— Oui… à Henry, osa-t-elle enfin, faisant tinter son verre contre celui de Léandre.
Elle le regarda quelques secondes, surprenant un éclat de soulagement dans ses yeux. Pour la première fois depuis le début de cette rencontre, Sarah sentit que la rancune pouvait s’adoucir et que la mémoire de son mari pouvait coexister avec une ouverture à la compassion.

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