12.
22 avril 2003
J’ai emmené Sarah au cinéma voir un film à l’eau de rose dont elle raffole. J’adore la regarder s’extasier pour ces histoires d’amour exagérées, toujours surjouées et stéréotypées… mais c’est ce qui me fait sourire : son enthousiasme est sincère, pur.
Lorsque nous sommes sortis, la fraîcheur du soir caressait nos visages et nous avons déambulé dans les rues pavées, éclairées par les lampadaires jaunes qui projetaient des ombres douces. Nous nous sommes posés sur un banc face à la mairie et l’air parfumé des fleurs printanières se mêlait à l’odeur du goudron humide.
Nous avons parlé de nos noces, prévues dans deux mois. Malgré ma décision irrévocable, un doute persiste : suis-je prêt à tout pour elle ? Je l’aime de tout mon cœur et pourtant… une petite voix me murmure que je pourrais me tromper…
Sarah soupira, ses doigts jouant nerveusement avec le rebord de la page. Malgré l’évidence, son esprit de contradiction la poussait encore à douter. Était-ce par orgueil ? Elle n’en savait rien.
Elle tourna les pages du journal jusqu’à une date plus récente.
5 juin 2012
C’est un crève-cœur de quitter Léandre, comme à chaque fois. Nous nous sommes à nouveau disputés à propos de notre situation et je déteste le laisser ainsi. Même s’il m’assure de son indéfectible amour, je crains que ma relation avec Sarah ne mette la nôtre en péril. Il compte tant pour moi… je ne supporterais pas de le perdre. Je dois parler à Sarah une bonne fois pour toutes !
Le point d’exclamation laissa à Sarah un goût amer dans la bouche. Elle déglutit avec difficulté, sentant un sanglot monter dans sa gorge, puis souffla bruyamment avant de tourner la page.
Je ne suis décidément qu’un lâche ! J’ai répété mon discours tout le long du trajet jusqu’à Châteaudun, mais lorsque Sarah est apparue, rayonnante et heureuse de me retrouver, je n’ai pas eu le courage de lui faire ça. Elle ne mérite pas qu’on lui brise le cœur, mais elle mérite la vérité. Je suis tiraillé par cette contradiction… je suis faible et je ne veux pas perdre ma meilleure amie…
Sarah posa le carnet sur ses genoux. La brise marine fouettait son visage, emportant avec elle l’odeur salée et vivifiante de la mer. Elle leva les yeux vers l’horizon, où les vagues frangées d’écume semblaient traduire ses émotions tumultueuses, contradictoires, presque insoutenables. Comme si l’océan lui apportait des réponses que son esprit refusait encore d’accepter.
— Tu aurais dû me le dire, Henry… souffla-t-elle, la voix tremblante. Je méritais la vérité de ta bouche.
Un léger sursaut la fit se tourner, craignant que Léandre l’observe. Mais il était toujours concentré dans la cuisine, visiblement inconscient de sa réaction.
Allongée sur le pas de la porte vitrée, Susie la regardait, inclinant la tête avec une attention presque humaine. Sarah se redressa et la chienne vint s’asseoir à côté d’elle, posant doucement sa patte sur sa jambe, comme pour offrir un soutien silencieux.
— Je ne sais plus quoi penser, murmura Sarah en caressant sa tête.
Susie aboya.
— Tu crois que je dois lui pardonner ?
Un second, plus insistant, puis Susie posa sa tête sur les genoux de Sarah en gémissant.
Sarah passa une main dans le pelage doux et chaud de Susie. Une chaleur réconfortante monta en elle, comme un baume pour ses émotions encore douloureuses.
— Tu as raison… il ne mérite pas autant de rancœur, murmura-t-elle. C’était un homme bien. Et… même s’il ne m’aimait pas comme je l’aurais souhaité, ce serait injuste de lui en vouloir de ne pas avoir voulu me faire souffrir. C’est juste que… je me sens trahie…
Elle inspira profondément, laissant l’air marin emplir ses poumons, et la douleur douce-amère de ses souvenirs se mêler à la chaleur réconfortante du présent. Les vagues allaient et venaient, leur clapotis s’unissant au souffle du vent pour accompagner ses pensées.
Sarah laissa échapper un long soupir et ferma les yeux pour se laisser envahir par ce moment fragile de communion avec la mer, Susie, et la mémoire de celui qu’elle avait tant aimé.

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