13.
Léandre jeta un œil par la fenêtre. Un sourire attendri étira ses lèvres lorsqu’il aperçut Sarah et Susie qui semblaient converser à voix basse comme deux vieilles amies partageant un secret. La chienne inclinait la tête, attentive, et Sarah caressait doucement son pelage, les yeux perdus dans le vide.
Il se tourna vers le portrait de Henry accroché au mur. Le regard rieur figé sur le papier lui serra le cœur. Une larme glissa sur sa joue et il soupira, lourd de nostalgie.
— Tu peux me fixer avec tes beaux yeux autant que tu veux, murmura-t-il en direction de la photo. Je suis toujours fâché contre toi, tu sais.
Au même instant, la porte vitrée s’ouvrit dans un léger grincement.
— Alors ? Son journal vous a aidée à y voir plus clair ? demanda calmement Léandre.
Sarah secoua la tête, les traits encore tirés par l’émotion.
— Je n’en croyais pas un mot, au début. Tout ce que vous disiez me paraissait si… improbable.
— Je comprends, répondit-il en hochant la tête. Ce n’est pas le genre de vérité à laquelle on s’attend… surtout le jour des funérailles de son mari. Pardon de m’être montré aussi pressant, mais il fallait que j’arrache ce pansement au plus vite…
Un silence s’installa. Sarah baissa le regard.
— Il y a eu des signes, murmura-t-elle.
— Quels signes ?
Elle hésita, cherchant ses mots.
— Henry n’était pas un mari aussi… parfait que je voulais le croire. Savez-vous pourquoi nous n’avons jamais eu d’enfants ?
Léandre, surpris, secoua la tête avant de verser deux verres de vin blanc.
— Nous avons vécu vingt-deux ans ensemble et pourtant… il y a eu… si peu d’intimité entre nous…
Léandre manqua de s’étouffer avec une gorgée de vin, avant de s’essuyer maladroitement la bouche du revers de sa manche.
— C’est une… longue période, concéda-t-il avec une gêne teintée d’amusement.
Sarah attrapa son verre, le vida d’un trait et laissa échapper un soupir de soulagement, comme si cette simple action libérait un peu de la tension accumulée.
— Comment ai-je pu être aussi aveugle ?
— L’amour rend aveugle, dit Léandre avec douceur, en remplissant à nouveau son verre.
— L’amour rend fou ! lança-t-elle en riant nerveusement, avant de trinquer.
Un rire sincère éclata, un peu éraillé, comme une soupape après trop de silence gêné.
—
Après le déjeuner, Sarah finit par s’allonger, terrassée par la fatigue et le vin. Pendant qu’elle se reposait, Léandre rangea la cuisine, puis sortit marcher sur la plage.
Le vent marin faisait frissonner la surface des vagues et portait avec lui cette odeur d’algues et de sel qu’il aimait tant. Susie bondissait dans le sable, insouciante, ses aboiements se mêlant au murmure de la mer.
Il s’assit, le regard perdu à l’horizon.
— Je ne t’en veux pas, Henry, murmura-t-il. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Je sais que je te l’ai dit mille fois… mais une de plus ne fera pas de mal.
Il prit une profonde inspiration, ses doigts creusant le sable humide.
— Je te voulais pour moi seul… je voulais que notre amour soit libre… mais si tu l’avais quittée, elle se serait effondrée… Sarah est une belle âme, elle ne méritait pas ça. Et moi… je n’ai pas toujours été juste non plus…
Le vent se leva, soulevant quelques grains qui vinrent se mêler à ses larmes. Il baissa la tête et laissa le sable s’échapper entre ses doigts comme une heure qui file.
— Te perdre a été la pire épreuve de ma vie… mais elle, la pauvre…
Il secoua la tête, accablé par la douleur et le manque.
— Elle t’a perdu deux fois…

Annotations
Versions