14.
Lorsqu’elle reprit conscience, Sarah se redressa péniblement dans son lit. Un violent mal de tête lui barrait le crâne et la lumière du jour mourant lui agressait les sens. Elle se traîna jusqu’à la salle de bain, ouvrit le petit placard au-dessus du lavabo et en sortit une plaquette de paracétamol. Deux cachets, un grand verre d’eau, puis un long moment le front posé contre le robinet, à savourer la fraîcheur qui lui rendait peu à peu la vie.
— Ce n’est plus de mon âge, maugréa-t-elle en fixant son reflet dans le miroir.
En quittant la pièce, son regard fut attiré par la porte entrouverte de la chambre de Léandre. Un éclat de lumière sur la table de chevet la fit hésiter. Elle entra doucement.
L’atmosphère de la chambre avait quelque chose d’apaisant : la tapisserie beige, les photos accrochées au mur — des clichés sans ordre apparent, témoins d’instants volés, de voyages, de petits riens. Une forme de désordre poétique s’en dégageait, comme une mosaïque de souvenirs.
Son regard se posa finalement sur un cadre : une esquisse au fusain représentant Henry, alangui sur une pile de coussins, nu, avec un imposant pendentif en forme de cœur autour du cou.
— Oh, Henry… souffla-t-elle avec un mélange de tendresse et de gêne dans la voix.
— C’est moi qui l’ai dessinée.
La voix douce de Léandre la fit sursauter. Elle se retourna, confuse.
— Je… je ne voulais pas violer votre intimité, je suis désolée.
— Il n’y a pas de mal, répondit-il avec un sourire calme.
Il s’assit à côté d’elle, leurs épaules se frôlèrent.
— C’est une pose… disons, inattendue, glissa Sarah en ricanant.
— Oui. Mais il était tellement beau, souffla Léandre, rêveur.
Il marqua un silence, puis il ajouta d’un ton presque amusé :
— Je suis un grand fan du film Titanic, de James Cameron. C’est un peu cliché pour un homme comme moi, je sais, mais… cette histoire d’amour impossible, ces différences qui séparent deux êtres… ça m’a toujours bouleversé.
— Je ne l’ai jamais vu. Quel est le rapport avec ce dessin ? demanda Sarah, intriguée.
Léandre esquissa un sourire indulgent.
— C’est l’histoire d’un dessinateur sans le sou et d’une aristocrate fiancée à un homme qu’elle n’aime pas. Tout les oppose, mais le destin les réunit… sur le Titanic. Et évidemment, leur amour ne survit pas au naufrage…
— Une belle histoire, donc, conclut Sarah. Même si elle se termine mal.
— Très mal, oui, rit Léandre. Henry et moi le regardions souvent, même s’il s’endormait toujours avant la fin. Trois heures… c’est long, même pour un romantique.
Leurs regards se croisèrent, amusés. Le rire de Sarah éclata, clair, libéré. Quelque chose venait de se fendre à l’intérieur d’elle.
— Un jour, je l’ai forcé à le voir jusqu’au bout et il a décrété qu’il voulait que je le dessine comme dans le film. « Dessine-moi comme une de tes Françaises », a-t-il dit, en se déshabillant devant la cheminée.
Leurs rires se mêlèrent à la lumière dorée qui filtrait par la fenêtre.
— Il a disposé les coussins du canapé, pris la pose avec un sérieux désarmant… et j’ai ajouté le collier après coup ! Je ne suis pas fan au point d’en posséder une réplique.
Un silence doux revint, empli d’émotion et de légèreté, lorsqu’une phrase du journal de Henry traversa l’esprit de Sarah :
J’adore la regarder s’extasier pour ces histoires d’amour exagérées, toujours surjouées et stéréotypées… mais c’est ce qui me fait sourire : son enthousiasme est sincère, pur…
Une larme perla au coin de ses yeux et elle la laissa couler, acceptant le mélange de tristesse et de tendresse qui l’envahissait.

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