Chapitre 45 Evie

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Je sors mon portable et appelle le dispensaire.

Par chance, la météo permet le passage par satellite de la communication. Là-bas, le poste fixe sonne une fois. Deux. Trois. Allez, réponds !

C’est Alan qui décroche. Je lui expose la situation.

— Salut, Alan c’est Evie. Je suis avec Ludovic chez Chanoune. Tu sais, elle s’est convertie à l’islam pendant sa grossesse.

— Mmm, acquiesce Alan.

— Bien, je reprends. Le père du bébé c’est le jeune qui a disparu, Djalil. Mais Chanoune ne veut rien dire d’autre. Ludovic est furieux, il a prévenu les familles des filles que Chanoune détient peut-être des informations sur les enlèvements. Parce que les gamines se sont rendues chez le père de Djalil avant de s’évaporer. Je sais, c’est un peu tiré par les cheveux, mais le temps presse et c’est la seule piste que l’on ait.

— Et tu dis que Stavesky veut livrer Chanoune à la vindicte populaire ? Mais c’est un grand malade ! Passe-le-moi !

— Ludovic, Alan désire te parler, je lui lance en lui tendant mon portable.

Son regard déterminé me conduit à penser qu’il n’a pas trouvé de meilleur plan pour faire avouer la petite.

— Bonjour Alan. Oui, ils sont en route. Pas d’autre solution. Désolé. C’est le moindre mal de lui faire peur.

Ludovic me rend mon téléphone, il a raccroché. Comme je comprends qu’Alan n’a pas réussi à le dissuader, j’appelle Nina à la rescousse. Je m’éloigne un peu pour que Ludovic n’interrompe pas l’opération de sauvetage que j’envisage.

— Nina, j’ai besoin de toi !

Je lui explique mon plan. Demander à Randy et Elisso d’intervenir afin de calmer les villageois dans un premier temps, puis mettre cette gamine en confiance et la faire parler. Nina et Lamilia sauront m’aider, enfin je l’espère.

Si ce plan échoue, alors il conviendra d’essayer de la terroriser. J’expose mon idée à Ludovic. Qui ne veut rien entendre.

— Ce n’est pas le moment de jouer au psy, Evie ! Chaque minute compte !

— Je regrette que nous en arrivions là, mais je suis infirmière, et en tant que telle, je ne peux pas te laisser blesser quelqu’un, ne serait-ce que psychiquement.

— Des vies sont en danger, chaque seconde qui s’écoule amoindrit la possibilité de les retrouver vivantes. Je dois faire au plus rapide pour les sauver. Ta déontologie, je m’en fous !

— Mais quelle sorte d’homme es-tu ? Tu agis comme un barbare pour parvenir à tes fins ?

— La fin justifie les moyens, Evie.

— Tu n’as donc aucun sens moral ? Si c’est comme ça que se comporte l’armée, je saisis mieux pourquoi les gens détestent l’occident !

— Personne ne gagne un combat avec de bons sentiments. La guerre, c’est brutal. Je n’y peux rien.

— La violence est l’échec de la pensée. Je me demande dans quel camp tu es.

Son expression se métamorphose brusquement, le sang se retire de son visage. Je comprends que je l’ai gravement offensé, mais à vrai dire son emploi de la force vis-à-vis d’une gamine de seize ans me dégoûte.

Je prends conscience que je ne pourrais pas le faire changer d’avis. Je suis dans une colère noire, à cause de mon impuissance. Même si je saisis son raisonnement, je refuse que nous nous comportions comme des barbares, à l’instar de ces fanatiques. Je ne veux rien avoir à faire avec un homme qui terrorise une adolescente. Je décide de mettre un terme à notre liaison, qui de toute façon ne mène nulle part.

— Notre relation n’a aucun sens, je lui assène. Nous ne serons jamais d’accord sur la déontologie. Autant en finir avec ce gâchis.

— Ta réaction ne m’étonne pas ! Toutes les mêmes. Quand ça ne va pas, vous vous enfuyez. Et bien, tant mieux, Evie. Je renonce à toute responsabilité dans les ennuis dans lesquels tu te fourres au quotidien !

Je suis si en colère que je ne ressens même pas la tristesse qui devrait m’étreindre. Je suppose que le contrecoup de cette rupture viendra plus tard, lorsque j’aurai le temps de penser à tout ce gâchis. Pour le moment, je respire profondément pour tenter de me calmer un peu. Au loin, je découvre les gens d’Adishi qui descendent en groupe de leur hameau. J’avais raison, je peux observer que les hommes sont munis de fusils. Comment tout cela va-t-il se terminer ?

Je me campe sur mes deux jambes, les bras croisés, le dos droit devant la porte d’entrée. Le père de Chanoune sort immédiatement, et aperçoit les villageois. Il jure. Apostrophe Ludovic qui lui répond. Que peuvent-ils se dire ? À sa place, je serais furieuse. Ludovic le met dans une position plus que délicate. Ces hommes et ces femmes sont semblables. Ils se connaissent sûrement depuis toujours. Ils doivent probablement s’entraider lorsqu’il y en a besoin. Et aujourd’hui, par la faute de Ludovic, ils vont devoir choisir entre leurs loyautés respectives. Que va faire le père de la petite ? Va-t-il prendre le parti de sa fille ou celui de ses voisins ? Je gage qu’il va soutenir son enfant, le fruit de ses entrailles. Il n’en a qu’une, et serait-elle totalement immorale, qu’il la défendra bec et ongle.

Le père vient se placer devant moi, car il a déchiffré ce qui se passe. Je suis obligée de me décaler pour ne pas avoir mon nez contre son dos. Il tient son fusil, ce qui ne va qu’aggraver la situation. Bien sûr, quoi que je dise, personne ne m’entendra. Je redoute d’assister à un pugilat, et mes craintes s’amplifient dès que les premières paroles sont échangées. Nul besoin de comprendre la langue pour saisir le sens des discussions. Le ton employé ne laisse aucun doute à la colère qui se dégage.

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