Chapitre 47 Evie

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Notre pick up cahote doucement sur la route verglacée. Elisso conduit, Randy est à l’avant. Charlotte et moi encadrons Chanoune qui tient son fils serré contre elle. Pas de siège bébé ici. Pas de contrôle non plus, de toute façon. Le nourrisson pleure un peu et s’endort. Tout est différent. Les gens circulent à dos de cheval ou avec des carrioles tirées par des ânes et des mules. Peu d’habitants possèdent un véhicule motorisé, qui ne sert pas à grand-chose lorsque la neige recouvre tout de son manteau épais.

Chanoune a l’air désespéré. Rien ne pourrait aller plus mal pour elle, je songe. Elle ne se doute pas que Randy a inventé cette fable pour la sortir des griffes de Ludovic et des villageois. Je n’ose pas la détromper pour l’instant, je crains sa réaction alors que nous sommes enfermés dans une voiture. Elle imaginerait je ne sais quoi, un enlèvement ou pis. Pourtant je pense que ce qu’elle ressent à ce moment ressemble de près au pire cauchemar de sa vie. Son bébé est menacé de mourir d’un instant à l’autre et son fiancé a disparu. Je m’en veux d’avoir dû forger ce stratagème pour recueillir ses confessions.

Au dispensaire, Alan nous accueille le visage tendu. Il paraît soucieux, ce qui ne m’étonne pas, car notre petite opération de sauvetage n’est pas sans risque pour notre mission. Randy a sciemment menti, or la confiance de la population nous est nécessaire pour les soigner au mieux. Le code déontologique de la médecine n’est pas trahi en essayant de mettre Chanoune à l’abri, mais plutôt en prenant parti pour elle contre des habitants.

— Je fais la simulation d’examen de Chamil pendant que vous interrogez sa mère. Puis Elisso la conduira à l’auberge, annonce Alan sans détour.

— Elle va loger au dispensaire, le contredit fermement Charlotte en fixant son mari droit dans les yeux.

— Il n’en est pas question, rétorque Alan, catégorique. Cette gamine et son bébé vont mettre en danger toute l’équipe en restant ici.

— Pourquoi dis-tu cela ? demande Elisso.

— Parce que les terroristes pourraient très bien la chercher, poursuit Alan, l’air mal à l’aise. Et si ce n’est pas eux, ce sont les gens d’Adishi qui arriveront, pour la faire parler. Je ne veux pas qu’on la trouve au dispensaire. Ce n’est pas un terrain de guerre, mais une maison médicale. Un lieu de paix où la population vient résoudre ses problèmes de santé, pas régler ses conflits.

— Ce n’est pas la Suisse ici, le coupe froidement Charlotte. Je lui fais leur chambre dès que nous avons examiné Chamil. Ils restent, car c’est ce que nous avons dit à ses parents pour qu’elle nous accompagne.

— What's the f...

— On en reparle après, suggère Charlotte en souriant à Chanoune qui ne comprend pas ce qui se joue.

— T’inquiète pas, mon vieux, le console Randy. Dès qu’on a des infos, on les communique à Ludovic. On peut pas mettre cette gosse et son petit à l’auberge, tu sais bien que les militaires c’est pas bon pour les enfants. Et puis il paraît que la mafia russe y loge aussi, c’est beaucoup trop dangereux pour le nouveau-né et la gamine.

Alan pousse un soupir et tourne les talons. Puisque nous faisons bloc contre son avis, il s’incline.

Charlotte attrape le bébé qui se réveille des mains de Chanoune et lui dicte de me suivre, par l’intermédiaire d’Elisso.

Je l’amène dans la cuisine, où nous attendent Lamilia et Nina. Elles sont toutes les deux installées autour de la table, et prennent le thé. Une assiette d’assortiments de gâteaux colorés est disposée entre elles.

— Assalamu alaykum, dit Lamilia.

— Bonjour Lamilia, salut Nina, je réponds.

Chanoune reste muette.

Nina se lève pour remettre la bouilloire en route.

Je désigne une chaise à la gamine et prends place aussi.

— Je suis heureuse de te revoir, dit Lamilia.

Je comprends qu’elle a dû avoir Chanoune comme élève à l’école élémentaire.

— J’ai appris que tu es maman d’un très beau bébé, fait-elle tandis que Nina revient avec une théière pleine.

Chanoune offre un pâle sourire à son ancienne institutrice, puis son regard se fixe en direction de la table. Je présente les gâteaux en tendant l’assiette à la jeune fille, mais celle-ci décline la proposition. Vu l’heure qu’il est, à peine midi, je parie qu’elle n’a pas encore mangé. Ce qui se passe nous bouleverse tous, et son inquiétude actuelle doit lui nouer l’estomac. Ses grands yeux noirs anxieux fixent le vide devant elle. Je comprends que nous devons la rassurer sur l’état de santé de son fils avant toute chose, ce qui sera le cas dans quelques instants. Chamil est avec Charlotte, il ne risque rien. Je suppose qu’à part l’ausculter et prendre son pouls, sa température et son poids, ils ne feront rien d’autre au minuscule bébé.

— Djalil m’a parlé de toi, la dernière fois que je l’ai rencontré, énonce Lamilia d’une voix très douce.

Chanoune relève la tête.

— C’est un bon jeune homme, très pieux, très gentil, affirme Lamilia. Je suis très heureuse d’apprendre que c’est le père de ton enfant.

Une lueur s’allume dans les prunelles de Chanoune, qui espère trouver une alliée en Lamilia.

Charlotte arrive, elle tient Chamil dans ses bras. Elle tend le petit à sa mère.

— Ton bébé va bien, ne t’inquiète pas. Nous allons juste vous garder tous les deux pour quelques jours, afin d’en être certains. Nous ferons des examens complémentaires demain matin.

Je n’en suis pas très fière, c’est une façon de les conserver prisonniers. A contrario, c’est aussi un moyen de les mettre à l’abri, je suppose. Rien ne nous dit qu’elle n’intéresse pas les djihadistes, même si cela semble peu probable. En effet, si Djalil est complice de l’enlèvement des jeunes femmes, Chanoune ne risque rien en restant chez elle. Si ce n’est pas le cas, alors elle sera en sécurité ici, défendue par les militaires.

Charlotte lui rend le bébé qui nous observe avec de grands yeux ronds. Il est déjà bien éveillé pour un nourrisson d’une semaine. Cette petite crevette deviendra un garçon intelligent, je le vois à son regard curieux.

— Je vais te préparer une chambre, annonce Charlotte, qui repart.

Je souris à Chanoune pour essayer de la rassurer. Son air préoccupé m’attriste.

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