Chapitre 50 Ludovic

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Le son du moteur de l’hélico s’accentue encore alors qu’il s’apprête à décoller. Dès qu’on s’arrache du sol, le bruit assourdissant s’atténue tandis que le rotor nous élève avec ses deux pales de dix mètres de long. Le R66 est un hélicoptère de la marque Robinson qui possède un turbomoteur Rolls-Royce RR300. C’est un aéronef plutôt léger, quatre cent quarante-cinq kilos à vide, qui peut transporter quatre passagers en plus du pilote. Il peut voler jusqu’à quatre mille deux cent soixante mètres d’altitude, à une allure moyenne de deux cent trente kilomètres à l’heure, avec une autonomie de six cent soixante-sept kilomètres. C’est un joli jouet de presque neuf cent mille euros.

Nous décollons vers Maestia aux frais de Roman, puisque celui-ci a fait venir son navigateur de ce village de haute montagne pour nous y ramener et chercher l’imam responsable de la conversion de Chanoune. J’espère que ce type nous permettra de posséder enfin une piste solide pour retrouver les gamins disparus.

J’ai prévenu Marko comme que nous attendions l’hélico. Je n’ai toujours pas confiance en Roman, cependant, le transport par la voie aérienne est le moyen le plus rapide pour rejoindre le petit bourg.

Le Russe en tenue militaire nous accompagne. Il ne décroche pas un mot, m’observe régulièrement ouvertement. Il n’affiche aucune hostilité, mais ne commet aucun effort pour avoir l’air sympathique. Une intuition me souffle que je fonce tête baissée vers le danger. À vrai dire, je pense que Roman peut être un complice des djihadistes. Si c’est le cas, je vais au-devant de très gros ennuis. Je suis armé, mais un glock ne peut venir à bout de plusieurs ennemis déterminés à m’abattre. On verra bien.

Maestia est une communauté urbaine administrative, elle abrite environ deux mille habitants dans ce bourg perché à mille cinq cents mètres d’altitude. Vingt minutes plus tard, nous nous posons face à un hangar, situé en zone rurale en amont du village.

Mon oncle et le Russe n’ont pas décroché un mot pendant le vol, je n’ai pas non plus essayé de faire la conversation. Dès que nous pénétrons dans l’entrepôt, je comprends la raison de leur silence. J’ai suivi sans faire d’histoire, je suis donc responsable s’il m’arrive quelque chose. J’ai eu tort de croire au fond de moi que Roman étant mon oncle, il ne pourra pas me faire du mal.

La machine monstrueuse qui trône dans le bâtiment a une tout autre envergure que celle qui vient de nous héliporter. C’est un H175, construit par Airbus et Avicopter, le géant chinois. Moteur américain, il peut transporter de seize à dix-huit passagers avec ses pâles de dix-huit mètres de long, en plus des deux pilotes. Presque insonore, il atteint les six mille mètres d’altitude en moins de sept minutes, et parcours plus de deux mille kilomètres avant de redemander le plein. Ce bijou coûte en moyenne quinze millions d’euros à l’achat. Ce qui peut vouloir dire deux choses. Soit mon oncle est bien plus riche que je ne le pensais, soit il est à la solde d’une puissance très fortunée.

Je suis manifestement tombé dans un traquenard, puisque seule une armée a l’usage de ce type d’appareil. Mon oncle n’est donc pas affilié aux djihadistes, mais probablement à des mercenaires, ce qui est confirmé par la quinzaine de gars en tenue de combat, à l’insigne runique graffé ᚨᛏᛇ et aux treillis dépareillés pour certains d’entre eux, tous munis d’Oudav, l’arme de poing russe conçue par Rostec. Je me tourne vers Roman en retenant mon envie de l’étrangler.

— Tu m’expliques ?

— Ce sont mes hommes. Ils obéissent à mes ordres.

— Tu commandes la compagnie Wagner ?!

— Ne te fie pas aux apparences, me rétorque-t-il froidement avant de me planter pour se rendre auprès de celui qui doit être le chef de cette petite troupe.

Le hangar fait une centaine de mètres de long. Il est suffisamment grand pour loger ces soldats. Pourquoi seraient-ils massés ici si ce n’est pour se préparer à une opération de guerre ?

Le gouvernement russe a envahi l’Ukraine, a découpé ce pays morceau par morceau avant de le déchiqueter pour de bon. La Russie a détruit l’Ukraine en trois semaines en ne gardant que les infrastructures qui lui plaisent, à savoir la production énergétique et les ressources minières. Riche en minerai de fer, charbon, uranium, titane, et graphite, l’Ukraine est aussi une terre fertile pour l’agriculture.

À ce compte, la Géorgie pourrait très bien être la suivante sur la liste des anciens pays de l’URSS à être absorbée par le géant pour réhabiliter son économie, qui a un PIB égal à celui du Portugal.

La Géorgie a la particularité de posséder plusieurs écosystèmes différents, dont celui de l’ouest est adouci par la présence de la mer noire. Cette douceur climatique est bonne pour la terre, qui produit des fruits et des légumes en abondance.

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que la Fédération russe essaie de restaurer son empire et son rang dans le monde. Ayant passé vingt ans à renouveler son armée et sa technologie dans l’espace, la Russie affronte ses ennemis séculaires pour accroître ses ressources énergétiques et garantir ainsi sa place dans la hiérarchie. Une Fédération redoutable et forte, qui compte parmi les grandes puissances mondiales, aux côtés des autres géants américains et européens, mais aussi chinois, indiens, moyen-orientaux.

Le gouvernement russe se bat avec l’Europe et les États-Unis depuis de nombreuses années par l’intermédiaire de conflits souterrains, presque invisibles si on n’enquête pas. Les terrains du combat sont la désinformation via les agences de communication comme Tass, ou le soutien de peuples divisés ou ennemis, tel qu’en Libye où chaque camp supporte une faction différente, ou en Afrique. Tous les subterfuges sont bons, quitte à appuyer indirectement des terroristes si cela sert la stratégie des puissances en question. Y compris mon propre gouvernement. Je suis formaté pour obéir, pas pour réfléchir, aussi j’espère du fond de mon cœur œuvrer pour la paix.

Les hommes armés du hangar parlent tous en russe. Je ne me leurre pas une seconde en croyant que ces hommes sont la milice cachée de mon oncle et qu’il vient au secours de son village. Néanmoins, tant que je joue le jeu, ma vie sera peut-être sauve.

— J’ai envoyé quelqu’un pour savoir si l’imam est à son domicile, annonce mon oncle.

— Quel est ton projet ? j’interroge.

— On patiente ici. Dès confirmation de la présence de la cible, on y va.

— Toi, moi, et puis qui ?

— Juste Vladimir, mon garde du corps.

— OK, on fait quoi en attendant ?

— Je te fais un café ?

Mon oncle me fait un sourire charmant, les rides aux commissures de ses yeux se plissent tandis que son regard s’illumine d’amusement. Je pense qu’il s’éclate, peut-être même qu’il m’apprécie. Il n’empêche que je ne suis qu’un pion dans son jeu. Ou alors a-t-il prévu de m’éliminer, maintenant que je suis au courant de la présence de Wagner ici. Je le suis dans le coin cuisine du hangar, où une cafetière nous attend.

— Il n’est pas empoisonné, ricane Roman en me tendant une tasse, que je renifle avant de goûter.

— Cet imam, il se peut qu’il soit en lien avec les terroristes. Mais cela peut aussi ne pas être le cas, dis-je pour amorcer la conversation.

— Levan est en train d’appeler des gens pour savoir d’où il vient, qui est cet homme. Je te tiens au courant dès que j’ai des nouvelles.

Le téléphone de Roman sonne à ce moment précis. Il s’agit vraisemblablement de Levan.

Dès qu’il raccroche, Roman m’informe que l’imam est abkhaze d’origine, mais que sa famille a émigré en Turquie au siècle dernier. Cela fait-il de lui quelqu’un de dangereux ? Il serait pertinent d’en savoir plus sur lui. Peut-être est-il salafiste, proche des Frères musulmans ? Quoiqu’il en soit, si c’était le cas, cela ne ferait pas de lui un extrémiste pour autant. Les Salafistes ne sont pas tous convaincus qu’il faut faire le Djihad pour lutter contre les Occidentaux, même si en règle générale, la défiance et la haine de l’Occident prévaut. D’autre part, la conception des terroristes est un mélange de divers courants, wahhabisme, hanbalisme ou salafiste. Mais surtout, les guerriers de Daesh et d’Al-Qaida sont des hommes au psychisme instable, quelle que soit leur foi d’origine.

Quelques heures plus tard, Vladimir s’installe au volant d’un 4x4 Susuki Vitara, et Roman à côté de lui. Je prends position à l’arrière. En vingt minutes, nous arrivons devant chez l’imam. Il habite en périphérie du centre, sur les hauteurs, dans une grosse baraque de deux étages, à l’extrême nord. Un des hommes de Roman s’est assuré de la présence de l’imam, ou prétendu tel, avant de nous prévenir. Le soldat exerce la surveillance de l’appartement depuis le trottoir. Je le repère en faction, une ombre dépasse d’une entrée, à quelques mètres de la maison qui nous intéresse. Vladimir va se garer trois cents mètres plus loin. Nous pénétrons dans la demeure qui comporte plusieurs logements, et grimpons les deux étages. Nous parvenons devant la porte du type.

Roman frappe, personne ne répond. Vladimir sort son calibre muni d’un silencieux, bourre Roman d’un coup de coude et tire dans la serrure avant que Roman ou moi ayons eu le temps de réagir. Tant pis pour la politesse, l’urgence de la situation vaut une targette détruite. Tout de même, pour un garde du corps, il prend une initiative pour le moins curieuse. Cet homme n’est vraisemblablement pas aux ordres du vieux mafieux. La conjoncture est peut-être plus critique qu’elle ne paraît l’être.

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