Chapitre 58 Evie (Merci de votre patience)

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De retour après une belle et grande pause estivale, la suite et fin (toujours pas écrite mais en cours) des aventures d'Evie...

Comme mentionné cet été, et pour rappel (texte effacé par erreur):

Ludovic appartient au service action de la DGSE (peut intervenir à l'étranger sans conflit ouvert avec la France) et Marko aux Forces spéciales (unités de combat qui interviennent pendant les guerres). Les deux collaborent dans le cadre du rapprochement interarmées.

Aleksander est instructeur pour l'OTAN en Géorgie (école en place depuis 2008 suite à l'invasion de la Russie, tiens, tiens...)

           ***

Les draps du lit sont froids à côté de moi lorsque je m’éveille à l’aube. Ludovic doit être en train de faire des exercices à l’extérieur, car je n’entends aucun bruit dans la cabane de chasse. Je m’habille, puis redescends de la mezzanine par l’échelle. Le feu ronronne doucement dans le poêle, je rajoute une bûche. Je tire de l’eau pour me faire un café, puis je regarde l’heure sur mon téléphone. Je dois me dépêcher si je veux voir Djalil avant qu’il ne quitte le dispensaire pour aller au rendez-vous du marchand. Il a au moins trois heures de marche et doit se mettre en route rapidement. C’est là que j’aperçois le mot de Ludovic, griffonné sur un bout de papier, immergé parmi les pièces mécaniques qui jonchent la petite table de la cabane. Je le lis : « Ma chérie, je suis parti en planque pour pouvoir suivre Djalil et cibler le repaire des djihadistes. Marko m’accompagne. Aleksander veillera au départ du môme. À ce soir, Ludo. »

Immédiatement, un sentiment d’injustice m’envahit. Pourquoi ne m’a-t-il pas tenue au courant de son plan ? L’inquiétude que je peux ressentir pour lui n’importe-t-elle pas ? Est-il le seul à pouvoir circuler librement sans devoir ne rendre de compte à personne ? La colère me submerge, mais je n’ai pas de temps à perdre. J’abandonne la cabane sans même la fermer à clé. Ma motoneige est toujours à sa place, je la démarre et quitte le petit paradis alors que les premières lueurs de l’aube pointent.

Pour rejoindre le dispensaire, je suis obligée de repasser par le haut du village d’Ouchgouli. À peine entrée dans la première rue, je suis saluée par un villageois qui me hèle de la tour de guet dans laquelle il est posté.

— Gamarjoba, me lance-t-il.

Je lui rends son bonjour distraitement, car j’aperçois une vingtaine d’hommes armés au bout de la voie. En me rapprochant, je constate que je n’ai jamais vu ces types. Ils ont l’air d’être sur le pied de guerre, probablement leur attitude est-elle en rapport avec l’assaut du repaire des djihadistes qui sera mené dès que Ludovic les aura localisés. Est-ce les renforts attendus par Ludovic ? C’est difficile d’identifier ces hommes, car je n’y connais rien aux uniformes. Ils pourraient faire partie des forces spéciales de l’OTAN, si ce n’est que leurs tenues ressemblent à un amalgame hétéroclite de plusieurs armées différentes. Peut-être est-ce pour mieux se camoufler dans l’environnement et attirer moins l’attention.

Je les salue. Quatre ou cinq d’entre eux me dévisagent froidement sans me répondre, je n’aime pas cela. Le villageois de garde ne semble pas inquiet, ce qui m’indique qu’ils sont supposés être de notre côté. Je reprends ma route. Quand j’arrive vers l’auberge d’Irina, j’aperçois Aleksander qui discute avec un grand costaud au crâne rasé. Aleksander a les traits tirés et des cernes sous les yeux, il ne sourit pas lorsqu’il croise mon regard. Il n’a pas dû beaucoup dormir cette nuit. Peut-être Ludovic l’a-t-il réprimandé pour m’avoir perdue avant-hier ? Je m’en veux un peu, je me sens en partie responsable de ses tourments. Je me détourne pour me concentrer sur ma trajectoire.

En y réfléchissant, je comprends que le rôle de la femme au sein du couple que je forme avec Ludovic est basé sur une injustice fondamentale. Cet homme est du genre « Fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais ». Cette évidence me rend amère. Il a le droit de disparaître sans m’avertir, mais je risque une fessée si j’agis de la même manière. Pourtant ses caresses me laissent pantelante de désir pour lui, hypnotisée et captive du plaisir qu’il me procure. Ce paradoxe est insoluble pour le moment. Je me promets cependant de ne pas céder à son fantasme de domination absolue sur ma personne.

Les cloches de la chapelle sonnent au loin.

Quand j’arrive en vue de mon domicile, le jour est levé, il est sept heures. Je remise la motoneige dans le garage. En ressortant, je monte machinalement les yeux vers la tour de guet et croise le regard de Gregory, qui me fait un signe de tête. Je lui rends son salut, et me dirige vers la vieille bâtisse. J’ouvre, des éclats de voix me parviennent du bureau des médecins. Je reconnais Alan et Charlotte, car leur échange est suffisamment vif pour me permettre de distinguer leurs paroles. Ce n’est pas beau d’écouter aux portes, je pense tout en refermant en douceur celle de l’entrée pour saisir ce qu’ils disent. Mais c’est un bon moyen pour se tenir informé.

— Plus aucun patient ne vient au dispensaire, expose Alan avec une note d’inquiétude dans sa voix. Nous devons cesser d’héberger Chanoune, cela met les villageois en colère.

— Ils n’ont aucune raison de l’être, rétorque Charlotte posément.

Je croyais que ce sujet de conversation était réglé, mais ce n’est apparemment pas le cas. Alan assume son rôle de chef de mission en respectant la déontologie du code des médecins, Charlotte devrait le savoir.

— Dans l’esprit des habitants, Chanoune et Djalil sont liés aux terroristes. Le dispensaire a cessé d’être neutre. À leurs yeux, nous pacifions avec l’ennemi, argumente Alan, d’un ton où l’exaspération perce.

— Ces adolescents n’ont pas commis de crime, rappelle Charlotte avec l’espoir de tranquilliser son mari.

J’admire sa ténacité et son bon sens, qui lui permet de faire face à la situation.

— Les gens ont peur, je te signale. C’est pour ça qu’ils boycottent l’infirmerie.

— C’est ce que tu supposes, mais en réalité tu n’en sais rien. Tout redeviendra normal lorsque l’armée aura fait son boulot, temporise mon amie.

— La gamine doit partir d’ici. Il est exclu de continuer à l’héberger, rétorque Alan, catégorique.

— Je ne peux pas imaginer que tu puisses la renvoyer maintenant ! Tu es le chef, mais tu es aussi mon mari, s’emporte enfin Charlotte. J’espère que tu pourras te regarder dans la glace s’il lui arrive quelque chose, argumente-t-elle.

Alan se tait. Je n’aimerais pas être à sa place. La réussite de notre mission représente beaucoup pour lui, car de son succès, dépend son prochain poste. Il doit effectuer ses preuves pour partir sur des fonctions plus importantes, selon un plan de carrière dont il ne se cache pas. Il est à présent tiraillé entre ses ambitions et la sécurité de la jeune fille.

— Je n’apprécie pas ton chantage, s’énerve-t-il. Je vais prévenir le père de Chanoune.

— Je ne veux pas être responsable de ça, j’accompagnerais Evie et Randy sur la tournée, répond Charlotte, furieuse de ne pas parvenir à modifier l’avis de son mari.

— Tu ne peux pas, j’ai besoin de toi ce matin, proteste le médecin têtu.

— Comme tu l’as remarqué, plus personne ne vient se faire soigner, donc tu n’as pas besoin de moi, assène Charlotte, implacable.

Mon amie a le courage d’une lionne, je pense, en reculant aussi doucement que possible vers la cuisine, car je ne suis pas fière d’avoir surpris leur conversation.

Autour de la table du petit-déjeuner se tiennent Randy et Elisso, une tasse de café fumant devant eux. Les deux hommes arborent une mine sombre.

— Bonjour les gars, dis-je en me dirigeant vers la cafetière et les tasses propres.

— Bonjour Evie, me répondent-ils à leur tour.

Je me verse un grand mug pour me réchauffer et connecter mes synapses. Je sens que je vais en avoir besoin. Dès que je suis servie, je les rejoins. Leur air soucieux et pensif me fait imaginer le pire.

— Il s’est produit quelque chose, j’interroge ? Djalil est déjà parti ?

— Djalil a quitté le dispensaire il y a une demi-heure, élude Randy. Où est Ludovic ?

— Il s’est évaporé cette nuit pour se mettre en planque. Pourquoi ?

Randy me répond par une autre question.

— Tu as vu les gugusses en tenue militaire en arrivant au village ? demande-t-il.

— Les renforts ? Oui, je les ai croisés.

— Ce n'est pas des amis, explique Elisso. Ce sont des soldats russes. Et à en croire leurs vêtements dépareillés, ce n’est pas une troupe régulière. On dirait plutôt des mercenaires.

— Ce sont les soudards d’un commando Wagner, l’armée secrète de Poutine, m’informe Randy, qui plisse le front, angoissé. Elisso a vu un écusson à tête de mort sur l’un d’entre eux. Cela les identifie clairement.

Des mercenaires russes ? Une armée secrète ? J’ignore tout de cette milice, mais je comprends immédiatement qu’elle va être la source de nouveaux ennuis.

— Si Vladimir envoie des Wagners ici, c’est qu’il a une bonne raison de le faire, énonce Elisso. La Russie s’impose dans les pays où elle a des intérêts politiques, financiers et énergétiques. Bien que le président nie toute accointance avec cette société privée, ses commandos sont présents sur tous les points chauds de la planète. Ils se trouvent au Moyen-Orient, comme en Libye et en Syrie. Ils sont aussi en Afrique, au Mali, par exemple. Et bien sûr en Ukraine, et en Biélorussie.

— Mais quelle utilité auraient-ils à venir à Ouchgouli ? je demande, car franchement, on ne peut pas dire que cet endroit du Caucase regorge de richesse minière ou autre.

— La Russie a envahi le Pankissi en 2008, me rappelle Randy, sous le prétexte de nettoyer la Géorgie des djihadistes. Elle peut recommencer n’importe quand.

— Éliminer les terroristes, la mafia, ou encore les nazis, énonce Elisso. La Fédération emploie ces prétextes avant d’entrer dans les pays dont elle souhaite s’emparer des ressources.

— Deux énormes gazoduc et oléoduc en provenance de l'Azerbaïdjan passent à Tbilissi pour alimenter l’Europe. Sans compter les richesses minières de l’est, explique Randy.

Cette annonce me fait froid dans le dos. D’abord les djihadistes, puis la mafia, et maintenant l’armée secrète russe !

Charlotte arrive. Malgré son air résolu, je remarque ses yeux légèrement rougis. Sa dispute avec Alan a dû la bouleverser, même si par fierté, elle tiendra toujours tête pour défendre son opinion.

— Salut Evie, lance-t-elle. De quoi parlez-vous ?

Si elle espère se changer les idées après son conflit avec son mari, c’est raté, je songe sombrement.

— Une vingtaine de mercenaires ont débarqué cette nuit, je la renseigne.

— Que viennent-ils faire ici ? Qui les a engagés, demande Charlotte, avec sa vivacité de réaction coutumière.

Alan arrive à son tour, l’air prêt à dire quelque chose, mais se ravise.

— Ce sont des Russes, de la compagnie Wagner, d’après l’insigne de leur chef, l’informe Elisso. Je les ai croisés ce matin avec Gregory.

— La seule explication plausible de leur présence est celle des djihadistes, affirme Randy.

— Ça fait beaucoup de gens dangereux à Ouchgouli, s’inquiète Alan. Je vais devoir en référer à la direction.

— En effet, cela risque de déraper à tout instant, calcule Charlotte. J’aimerais comprendre pourquoi ni la Géorgie ni la DGSE n’agissent, alors que logiquement, ils doivent être informés d’un nid de fanatiques ici.

— La France ne peut pas intervenir en Géorgie tant qu’il n’y a pas de conflit déclenché, déclare Elisso. Du côté de la Géorgie, les troupes militaires sont en nombre ridicule. Les soldats sont concentrés sur les lieux stratégiques, ce qui explique que le gouvernement nous abandonne à notre sort.

— Et puis, cela pourrait être un guet-apens, suppose Alan. Une manipulation. Si un pays étranger paie des djihadistes pour terroriser la population du Caucase et que l’armée géorgienne investit ses forces ici, cela laisse le champ libre pour s’emparer d’autres objectifs importants.

Nous nous regardons tous, ébahis. Un tel cas de figure serait-il possible ? Quoi qu’il se trame, les habitants d’Ouchgouli et nous-mêmes sommes pris au piège au milieu de groupes dangereux. J’aimerais avoir une baguette magique pour me téléporter auprès de Ludovic, afin de savoir ce qu’il en pense. Je suis sûre qu’Aleksander l’a informé de la présence du commando mercenaire. A-t-il prévenu les autorités compétentes de l’évolution de la situation ?

— Je vais vous accompagner sur la tournée de ce matin, annonce Charlotte. Alan a pris la décision de renvoyer Chanoune dans sa famille, en raison de son éventuelle complicité avec les terroristes. Ou du moins, c’est ainsi que la population les voit, elle et Djalil. Alan suppose que c’est à cause de cela que les gens ne viennent plus se faire soigner ici, depuis deux jours.

Charlotte a réussi à annoncer cela sans montrer ce qu’elle en pense. Impossible de deviner son amertume, elle est très forte. Si des mercenaires n’avaient pas débarqué au village, je m’insurgerais contre la décision d’Alan. Mais il me semble qu’il y a plus urgent.

— D’ailleurs, où est Chanoune ? je demande. N’est-elle pas réveillée ?

— Si, bien sûr. Elle a petit-déjeuné en même temps que Djalil, puis elle est retournée dans sa chambre, me rassure Charlotte.

— Je vais la voir avant que nous partions. Dois-je la prévenir qu’elle va devoir s’en aller ? je murmure pour moi-même, ne sachant quelle décision prendre à ce propos.

Charlotte m’a entendu.

— Ne lui dis rien, peut-être Alan aura changé d’avis dans un moment. Si ce n’est pas le cas, nous irons la visiter cet après-midi chez elle.

J’opine de la tête pour signifier que j’ai compris. Mais j’ai une dernière question à poser.

— Pourquoi Nina n’est pas là ? Elle est malade ?

— Mmh mmh, répond Charlotte, le nez dans son mug de café. Elle nous rejoindra plus tard, elle est passée voir Liana.

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