Chapitre 61 Ludovic

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Le marchand guide Djalil le long de la pente. Ils ont chaussé des raquettes, pour ne pas s’enfoncer dans l’épais manteau de neige. Dès qu’ils atteignent le dernier quart du vallon, les diodes de ma radio s’allument trois fois. C’est Marko qui me prévient qu’il entame la descente à son tour, c’est à moi de surveiller la progression des deux hommes. Nos skis de randonnée nous permettent de rattraper notre retard. Marko glisse à couvert le plus souvent possible, le long des promontoires rocheux ou de la forêt lorsque c’est faisable. Heureusement, aucun d’eux ne se retourne. De toute évidence, le djihadiste ne craint pas d’être suivi. Probablement n’en est-il pas de même aux abords de leur cachette. Peut-être même y aura-t-il des pièges disposés autour. Il faudra faire très attention.

Marko met une dizaine de minutes à dévaler la pente tandis que Djalil et son guide approchent du point de rupture visuelle. Je fais signe à Marko que je reprends la poursuite dès qu’il parvient à mon niveau. En peu de temps, j’atteins l’endroit où les deux hommes ont disparu. Je n’ai qu’à suivre les traces de raquettes dans la neige vierge qui contournent un bosquet de sapins, et m’enfile dans un corridor nettement plus étroit. Le terrain est accidenté, une épaisse forêt se dresse sur les bords, de la taille des pavillons de banlieue parisienne, constituant autant de cachettes. Je progresse très lentement, surveillant la moindre anomalie sonore et visuelle. Je ne m’écarte pas d’un iota du sentier ouvert par les deux hommes, qui avancent en file indienne.

Cela fait une heure que la filature a commencé. Tôt ou tard, il y aura des guetteurs postés. Si les terroristes sont très fréquemment des gens instables, ils sont loin d’être stupides. D’autant plus que ceux-là semblent avoir échappé à la traque des djihadistes en Syrie et en Irak. Ils sont donc expérimentés et rusés. Ils sont suffisamment malins et équipés pour recouvrir leurs traces dans la neige à l’aide de canons portatifs. La dissimulation du conifère qui s’est abattu sur Evie et moi en est un bon exemple. D’autres pièges peuvent exister, tout aussi mortels. Les branches, les rochers peuvent nous écraser, comme autant de bras armés, actionnés par un réseau de fils invisibles, identiques à celui qui me sert d’alarme à la cabane. Ces pièges rudimentaires reposent sur un équilibre précaire, que le poids d’un animal, ou d’un être humain rompt sur son passage. Mais on pourrait tout aussi bien tomber dans une fosse remplie de pieux, ou déclencher un engin explosif improvisé, c’est-à-dire une mine artisanale.

C'est donc avec une vigilance extrême que je négocie l’abord des blocs de pierre erratiques qui parsèment le corridor, qui forme de nouveau un coude bifurquant vers le sud-ouest.

Marko me rattrape, silencieux, tel un fantôme. Nous empruntons le sillon de plus en plus étriqué jusqu’à son terme, une paroi qui se dresse devant nous comme un mur infranchissable. Je consulte mon GPS. Nous sommes au pied d’une butte haute de deux cents mètres, sur lequel se niche un des deux monastères isolés que j’avais repéré. Celui-ci est le plus éloigné du village en contrebas, largement au sud.

Marko suit les traces jusqu’à la falaise. Des marches étroites sont taillées dans la roche, presque invisibles à l’œil nu. Il faut beaucoup de cran pour gravir les deux cents mètres qui s’élèvent le long de la paroi verticale. Le moindre faux pas est fatal. La poursuite s’arrête ici pour le moment. En effet, je comprends mieux qu’il n’y ait eu aucun guetteur jusqu’à présent. C’est inutile. Il suffit de poster un ou deux hommes sur la falaise pour une surveillance efficace.

À présent, il est temps d’employer la fréquence d’urgence qui me relie au PC parisien.

— J’alerte Papa Ours, dis-je à l’intention de Marko.

Il opine de la tête.

Je module les ondes de longue portée sur le canal prévu pour les transmissions cryptées. Un opérateur de la DGSE est à l’écoute vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

— Ici Loup solitaire. Je répète, ici, Loup solitaire. À vous.

— Ici Papa Ours. À vous.

J’égrène une suite de chiffres mémorisée au préalable, qui prouve que je suis bien l’interlocuteur que je prétends être. C’est un peu long, mais cela certifie mon identité. Le code évolue chaque semaine selon une progression définie à l’avance. Toute série erronée amorce une procédure de mise sur écoute et de relais immédiat au plus haut niveau de la chaine de commandement, chez la directrice de la DGSE. Si j’émettais un appel d’urgence, j’emploierais un chiffrage bref bien précis, qui enclencherait aussitôt le branle-bas de combat de toute l'équipe des Forces spéciales numéro 3, l’unité à laquelle j’appartiens.

— Bien reçu. Comment allez-vous ? me sollicite l’opérateur radio.

Il ne veut pas que je lui dise si j’ai un rhume ou si je me suis levé de mauvais poil. Ce genre de détail n’entre pas en compte dans ce type de communication.

— La situation se clarifie, je résume. La position des suspects est localisée. Demande de relais satellite pour la surveillance[1] avant l‘assaut.

— Bien reçu. Tapez les points de coordonnées des suspects.

Je vérifie la latitude et la longitude du monastère et lui envoie les chiffres.

— C’est parti, murmure l’agent, qui transmet en temps réel les données à son supérieur. Préparez-vous à voir la meute dans la soirée. Terminé.

— Je vous recontacte en fin d’après-midi. Terminé.

Je raccroche.

— L’unité 3 débarque ce soir, j’informe Marko.

— J’espère que la cavalerie sera là à temps, plaisante mon bras droit.

Avant que nous opérions un demi-tour, je définis un point de récupération avec Aleksander, à deux heures de marche d’ici.

« Papa est là », me dit-il très vite. Je comprends qu’il est sous surveillance par Roman et ses mercenaires.



[1] Le programme Musis (multinational space-based imaging system) inclut une composante spatiale optique (CSO), deux composantes radar et une composante optique champ large. Ces moyens permettent de disposer des capacités de suivi de situation et de veille stratégique, d’une aide à la prévention et à l’anticipation des crises ainsi qu’à la planification et à la conduite des opérations.

La composante spatiale optique se réalise sur la base de deux satellites d’observation identiques. Le premier assure la mission de reconnaissance, le deuxième, en orbite plus basse, assure la mission d’identification en réalisant des images de plus haute résolution.

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