Chapitre 76 Ludovic (c'est toujours le bazar dans les numéros, sorry, le numéro sera le bon dès que tout sera renuméroté)

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Je quitte Evie à regret pour réintégrer l’hélicoptère, qui redécolle. Nous partons en direction de Mutsdi, au sud-ouest du monastère qui a servi de prison aux gamines. C’est la localité dans laquelle le contre-amiral Fayol et l’armée géorgienne se sont établis. Le contre-amiral est un officier général de l’état-major de la marine, il fait partie du COS, le commandement des opérations spéciales. De ce fait, sa position hiérarchique le place au-dessus des six groupes de commandos du CTLO, dont Marko provient. Dans cette opération, il est également coordonnateur de la coopération interarmées. Il est mon supérieur direct, juste avant le général de la DGSE qui dirige depuis Paris.

Marko et moi sommes attendus par ce très haut gradé, dont le QG est établi dans une maison individuelle louée à la journée pour l’occasion. Le contre-amiral Fayol n’est pas seul, des militaires géorgiens sont aussi présents. Son homologue, un colonel géorgien, est en train d’échanger avec lui lorsque nous arrivons.

Marko et moi patientons quelques minutes. Nous en profitons pour nous débarrasser du matériel encombrant que nous avons sur nous et déposons nos armes, nos sacs, nos casques et nos gilets porte-plaque pour quelques instants de répit. Puis Fayol nous invite à entrer dans une pièce, transformée en centre de commandement. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, assez grand, et sec. Ses cheveux sont dégarnis, et forment une couronne autour de son crâne.

— Amiral, je salue, au garde-à-vous.

Marko fait de même.

— Rompez, ordonne Fayol, qui s’est relevé de son siège lors de notre arrivée.

Marko et moi avançons d’un pas, le colonel géorgien quitte les lieux et referme la porte pour nous isoler des communications radio en provenance du salon.

— Messieurs, asseyez-vous, nous invite notre supérieur en nous désignant les chaises disposées le long des murs.

J’en attrape une, la positionne jusque devant le bureau de Fayol, et m’installe avec plaisir. Même si nous sommes entraînés aux opérations spéciales, nous n’en demeurons pas moins humains, avec des besoins primaires, comme tout un chacun. Pour l’heure, je rêve d’un bon repas et d’un lit, mais j’ignore ce qui m’attend ensuite. Marko m’imite et se place à côté de moi.

— Bien, dit-il. Faites-moi un bref topo de la situation.

Le gradé est intelligent, il suppose qu’il y a peut-être d’autres points à traiter. Je me lance.

— Comme vous le savez déjà, les otages sont sains et saufs en ce qui concerne les quatre femmes. Nous venons de les confier au dispensaire médical d’Ouchgouli, géré par l’ONG internationale Terre et Humanité.

Il manque un gamin parmi les adolescents disparus, il a été enlevé par un commerçant en fuite, lié aux djihadistes. Le groupe d’intervention de Gregory est parti à sa recherche, à pied. Je n’ai pas eu de nouvelles d’eux jusqu’à présent.

— Mmm, ils n’ont pas encore été retrouvés, nous informe Fayol. Qu’en est-il des mercenaires Wagner ? Vous nous avez signalé leur présence sur Ouchgouli, et avez dit qu’ils étaient neutralisés.

— C’est vrai, amiral. Les habitants d’Ouchgouli ont contribué à les faire prisonniers. Ils sont gardés dans la crypte de la chapelle de Lameria, à Ouchgouli.

— Je vais immédiatement demander leur transfert à la frontière russe, tranche le gradé.

Il se lève, et sort du bureau pour transmettre ses consignes. Deux camions blindés et dix hommes sont affectés à cette mission. Le colonel géorgien, pour sa part, ordonne de prévenir les Abkhazes, où les mercenaires vont être reconduits.

— D’autres points ? questionne Fayol.

— Négatif, amiral, je réponds.

— Racontez-moi donc par le menu toute cette opération depuis le début, requiert mon supérieur.

Je grimace intérieurement. J’espérais que le débrief serait limité à l’assaut mené cette nuit. Il me faut tout expliquer, cela va prendre un moment. Je m’exécute. Marko complète mon récit de temps à autre.

Lorsque j’ai fini, Fayol réfléchit quelques instants.

— Ce type d’intervention est inédit pour nous tous, déclare-t-il.

J’opine de la tête.

— Vous et les membres de l’unité trois devez rester en dehors de ce qui s’est produit ici, poursuit-il.

Je ne vois pas où il veut en venir, donc je me contente d’acquiescer en silence. C’est difficile de demeurer dans l’ombre lorsque vous avez passé presque un mois à protéger une population et à traquer des terroristes, même si c’est un village perdu de haute montagne.

— Votre unité repart dans une heure, m’informe-t-il. Vous êtes donc relevé de votre mission.

C’est tout ? Pas de remerciement ?

— Amiral, m’autorisez-vous à faire une demande ?

— Allez-y, approuve-t-il.

— Je souhaiterais bénéficier d’une semaine ici, à Ouchgouli.

Il se contente de me fixer.

— J’aimerais comprendre, déclare-t-il au bout d’un moment. Un membre de cette ONG s’est retrouvé mêlé à la prise d’otage. Est-ce pour cette jeune femme que vous désirez une permission ?

J’hésite une milliseconde avant de répondre. En effet, Evie s’est vraiment impliquée dans la recherche des terroristes, puis des adolescentes prisonnières, ce qui n’a pas manqué de faire tiquer le gradé pendant mon récit. Mais je ne suis pas responsable de ses actions. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de la dissuader de se mettre en danger !

— Oui, amiral, je réponds, confus de mon aveu implicite.

— Permission accordée, autorise-t-il avec un demi-sourire. Mais je souhaiterais que nous reparlions de Miss Riviera, à l’occasion. J’ai l’intuition qu’elle ferait une bonne recrue pour l’armée.

L’air me fait défaut brusquement, je manque de m’étouffer !

— Amiral, je n’en suis pas si sûr. Mme Riviera a tendance à être impulsive et à agir seule.

— Un peu comme vous, parfois, me rétorque mon supérieur. Il ne m’a pas échappé que vous aviez enfreint les ordres pour vous engouffrer par la fenêtre de la tour, sur cet assaut.

Je pâlis brusquement. Marko tressaille, prêt à intervenir pour prendre ma défense, mais je l’en empêche d’un geste discret. Pas question qu’il paie pour mes conneries. J’ai sciemment méprisé les consignes, au risque de faire tuer mes coéquipiers de l’unité trois, ce qui est passible d’une commission de discipline, d’autant plus sévère que j’ai le grade de capitaine. Mais pire encore, je pourrais avoir perdu la confiance de mes hommes.

L’amiral me laisse mariner un peu dans mon jus, avant de déclarer.

— Bien sûr, si vous n’aviez pas fait cela, d’autres forces spéciales auraient pu mourir lors de la riposte ennemie. Félicitations pour cette prise d’initiatives décisive.

Je soupire de soulagement.

— Transmettez ma proposition à Mme Riviera, me dit-il en guise d’au revoir, alors qu’il nous raccompagne à l’entrée de son bureau. Et bonnes vacances.

Il se tourne vers Marko.

— Sergent, vous avez également une permission. Vous êtes libre de demeurer une semaine de plus, comme Staveski, ou décoller pour Paris, offre Fayol.

— Je reste ici, amiral, répond mon ami.

— Dans ce cas, profitez-en bien, nous libère le gradé en exécutant un clin d’œil à notre attention.

Puis il s’adresse à un quartier-maitre.

— Prévenez l’hélico que ces messieurs rentrent chez eux, ordonne-t-il, avant de repartir à grands pas vers les opérateurs radio.

— Ouf, rigole Marko. J’ai bien cru qu’il allait piquer une crise parce qu’on a sauté par la fenêtre de la tour !

— C’était moins une… Par contre, il veut recruter Evie, ça ne me plait pas du tout !

— Pourquoi ? C’est une bonne idée, tu pourrais la garder à l’œil !

Je le considère, dubitatif.

— Il faudrait qu’on soit sur les mêmes missions, j’argumente.

— Tu lui as fait ta déclaration d’amour ? me questionne Marko, hilare.

— Oui, je lui ai dit quelle place elle tient dans mon cœur.

— Félicitations ! s’esclaffe Marko, moqueur. Tu vas attraper des cheveux blancs, avec cette nana !

Je le bourre du poing pour marquer le coup, sans lui en vouloir pour de vrai. Nous avons plus que besoin de décompresser après une opération de libération d’otages.

Nous récupérons notre barda et nous dirigeons vers l’hélico. Je suis soulagé de rentrer par les airs, ça ira bien plus vite pour regagner nos plumards, je songe, avec une petite pensée pour Evie, en train de roupiller à l’heure qu’il est. Comment vais-je lui annoncer mon départ proche ? Dois-je lui transmettre la proposition de l’amiral ?

Tout le long du trajet, je rumine cette nouvelle donne.

Le pilote nous dépose à proximité d’Ouchgouli, comme nous le lui avons spécifié. Il aurait fallu nous faire larguer au-dessus des deux motoneiges dissimulées avant l’assaut en parapente, mais tant pis, cela attendra. J’enverrais des soldats les chercher demain, car nous avons besoin d’un repos bien mérité.

Dans la salle de l’auberge, nous retrouvons Aleksander, attablé devant un solide petit-déjeuner constitué d’une omelette, du pain katchapuri aux olives, ainsi que du fromage et du pâté. Irina nous accueille avec un grand sourire.

— Ça me fait plaisir de vous voir sains et saufs, tous les deux ! Vous êtes des héros ! Aleksander m’a raconté que vous aviez libéré les petites et l’infirmière…

Irina s’approche pour me prendre dans ses bras. Je dépose la mitrailleuse et mon casque sur la table d’Aleksander pour lui rendre son accolade.

Quand sommes-nous devenus intimes à ce point ? Je ne saurais le dire, mais je comprends que c’est ainsi qu’elle me montre sa joie que ce cauchemar prenne fin.

Dès qu’elle m’a embrassé, elle se tourne vers Marko pour en faire autant.

— Vous êtes la fierté de la Géorgie, nous déclare notre hôtesse.

On se regarde, embarrassés par cette démonstration. Nous avons à l’esprit que tout n’est pas terminé, puisque le gosse manque encore à l’appel, et qu’il y a toujours des gens mobilisés à sa recherche. Personne ne veut lui gâcher sa joie, aussi, je me contente de lui commander notre petit-déjeuner.

— Irina, petite mère, lui dis-je pour lui faire plaisir, pourrais-tu nous apporter la même chose qu’Aleksander ?

— Tout de suite, s’exclame Irina en virevoltant vers sa cuisine.

Marko et moi nous installons à table.

— T’es déjà là ? je m’étonne en considérant Aleksander.

— Dès que nous avons eu l’information que tout était réglé sur place, le colonel de la base de Koutaïssi nous a donné l’ordre de rentrer. L’état-major voulait quelqu’un sur Ouchgouli à cause des mercenaires russes. Théoriquement, ils sont neutralisés. Mais le colon se méfie de complices potentiels, qui pourraient les libérer. Ce n’est pas le cas, heureusement. Mon unité attend deux camions GBC 180 pour évacuer les Wagner.

Il s’interrompt pour saisir son mug de café, puis ajoute.

— Ils n’ont pas peur qu’on s’embourbe dans les congères, rigole-t-il.

— Non, rétorque Marko sérieusement, le visage creusé par la fatigue. Ces blindés peuvent rouler sur n’importe quel terrain, parce qu’ils ont trois essieux et six roues motrices.

— Ils s’enfoncent seulement si la piste est déjà défoncée par le passage d’une colonne de véhicules, je précise.

Irina nous apporte un festin : deux assiettes remplies à ras bord de sa succulente omelette aux cèpes, accompagnées de salade verte, qu’elle fait suivre par un assortiment de fromage et de pâtisserie, et un thermos de café noir.

— Tu es un ange, Irina, plaisante Marko. Tu es bonne à marier !

La matrone le fusille du regard.

— Garde tes compliments pour une jolie femme, soldat. J’ai assez à faire avec Roman Staveski qui essaie de me faire les yeux doux, s’esclaffe-t-elle.

Dès qu’elle tourne le dos pour regagner sa cuisine, nous nous jetons sur nos plats, comme des affamés.

Nous savourons l’omelette en silence, comme si c’était notre dernier repas sur terre.

— C’est la fin de l’opération pour nous, annonce Marko, alors qu’il racle les restes de son assiette.

— Mission accomplie, donc. C’était chouette de travailler avec vous, les gars, déclare Aleksander.

— Oui, nos cibles sont éliminées. Nous repartirons chez nous dans une semaine, je précise.

— C’est dommage. Vous allez me manquer. Ça fait du bien de bosser avec des professionnels comme vous deux, nous complimente Aleksander.

— Merci, je lui réponds dès que j’ai avalé ma bouchée.

Notre attention se tourne vers la porte d’entrée qui s’entrouvre.

Un homme franchit le seuil, entièrement vêtu de noir, grand, très musclé. Il a des cheveux bruns ondulés mi-longs ainsi qu’une courte barbe. Son regard ténébreux se fixe dans le mien, inexpressif. Je reconnais immédiatement mon cousin aux traits de son visage, bien trop semblables aux miens. À n’en pas douter, c’est un type très dangereux.

Un deuxième gars passe la porte, tout aussi habillé de sombre que le rejeton de Roman Staveski. Puis un adolescent suit.

— Djalil ! je m’exclame, heureux de revoir le gosse.

Il m’adresse un sourire pâle. Qu’a donc vécu ce môme pour avoir cette figure de déterré ?

Le groupe s’avance dans la salle, tandis qu’Irina arrive. Elle s’empare de Djalil pour le serrer dans ses bras.

— Te voilà ! Tu nous as fait une belle peur, lui dit-elle en l’embrassant sur les joues.

Elle saisit son visage à deux mains et le regarde attentivement.

— D’où sors-tu ? Tout le village est à ta recherche !

— Je l’ai découvert chez son père, explique mon cousin. Je vous le ramène, parce qu’il voudrait trouver ses grands-parents.

— Ils ont dû se rendre au marché, réfléchit Irina. Souhaites-tu boire et manger quelque chose ? C’est la maison qui régale, ajoute-t-elle.

— On prendra du café, un chocolat pour le gamin, et des gâteaux, commande le fils de Roman, sans gêne.

Irina fait une drôle de moue, mais elle ne dit rien. Elle installe les nouveaux venus à la table à côté de la nôtre.

— Comment t’es-tu retrouvé chez toi, je demande à Djalil.

Mon ténébreux cousin ne lui laisse pas le temps de répondre.

— J’avais un rendez-vous pour affaire avec un commerçant de Maestia. J’ai trouvé le gamin en sa compagnie.

— Où est-il, celui-là ? grogne Marko.

— Je l’ai confié aux mains de Bjalava. Il m’a autorisé à poser mon hélicoptère en haut du village. Dites donc, il y a un sacré bazar. Ça grouille de militaires…

Je souris poliment en le fixant froidement. Il n’ignore rien de ce qui se passe ici, puisqu’il a contacté Levan hier soir, et a prudemment remis le marchand au responsable local. Quel que soit le trafic qu’il planifiait, il n’est pas idiot au point de couvrir la fuite du commerçant djihadiste. Décidément, ce côté de ma famille n’est vraiment pas fréquentable !

— T’as une tronche de Staveski, me balance mon cousin.

— Ludovic, je me présente.

— Moi, c’est Igor Hassan Staveski.

Je hoche la tête sèchement. Je me serais bien passé de cette présentation.

— Comment te sens-tu, Djalil ? Quelqu’un t’a fait du mal ? je m’angoisse.

— Non, ne t’inquiète pas. C’est juste que j’ai beaucoup marché ces derniers jours. Quand Evie et Chanoune ont débarqué au monastère, les terroristes n’ont pas mis longtemps à comprendre que les militaires allaient suivre. Rafik a demandé au chef s’il pouvait me prendre pour l’accompagner à franchir le Caucase vers la Kabardino-Balkarie, au nord. Il devait recevoir une livraison d’armes et installer la base djihadiste en Russie, car il y a déjà des rebelles réfugiés là-bas. Nous sommes partis en direction d’Adishi, où nous devions faire étape, avant de nous rendre à la cabane de berger de grand-père, puis traverser la frontière.

Je fais un clin d’œil au gamin.

— Bien joué, Djalil. Grâce à toi, les filles sont sauvées. Tu es un héros !

Je termine mon café, et me lève, bien décidé à piquer un roupillon sur le canapé de la chambre qui sert de QG. Puis je conseille au gosse :

— Djalil, va donc voir Irina lorsque tu auras fini ton déjeuner. Elle t’aidera à chercher tes grands-parents. Elle peut téléphoner à ses amies. L’une d’elles saura sûrement où ils se trouvent.

— Bonne idée, répond le môme épuisé.

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