"Snow"

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"Neige"

« Ce matin, ma mère est morte. »

J'ai toujours voulu commencer une histoire par cette phrase. Je trouvais ça classe, frappant, poignant. Le genre de phrase que tu retiens éternellement, dernier vestige de Camus et de tes cours de français.

Ce matin, ma mère n'est pas morte. En fait, ça fait bientôt deux ans.

Tout commençait le jour des premières neiges. Mon frère m'appela pour me dire que les médecins n'avaient plus d'espoir. Qu'elle allait en « soin palliatif ». Un gentil mot pour dire qu'on abandonnait tout.

En fait, je triche un peu, puisque son cancer, ça faisait bien plus de trois ans qu'elle le trainait aux pieds, comme un boulet trop lourd. Toujours souriante, toujours motivée, toujours pleine d'espoir. Et plus de trois ans d'atroces souffrances qu'elle me cachait... ou que je ne voulais pas voir. Donc tout avait commencé avant. Peut-être devrais-je dire « le début de la fin ».

Quand on m'annonça qu'elle allait mourir, qu'il n'y avait plus d'espoir, c'était la seule chose auquel je pensais. A cette phrase que je trouvais poétique : « J'ai appris que tu allais mourir le jour des premières neiges. » Ma tête refusait de penser à autre chose, si ce n'était cette phrase qui tournait encore et encore dans mon crâne. J'étais choquée, car on m'a appris à ne jamais perdre espoir. Et je regardais en effet ces flocons tomber à travers la fenêtre de l'autobus, j'admirais comment ils virevoltaient et dansaient entre eux. Et c'était beau. J'étais ailleurs, dans un autre monde. Mon cerveau avait gelé. Mais mon cœur commençait déjà à se fissurer.

Savez-vous les expressions que l'on dit ? « Le cœur déchiré », « planter un couteau dans le cœur », « le cœur en miette ». Et bien, croyez-moi ou non, c'est exactement vrai. Littéralement. Je n'étais pas spécialement proche de ma mère : on se voyait deux fois par an, nos vies étaient différentes... Mais on s'aimait. Le genre d'amour naturel qui ne demande aucune preuve. J'étais une mauvaise fille, je ne l'appelais presque jamais. Et même si ça la faisait râler, même si ça l'attristait, elle ne m'en voulait jamais longtemps. Nous n'étions pas fusionnelles, ni même régulièrement ensemble. Je n'avais absolument pas changé mes habitudes, même avec sa maladie. On peut croire que je m'étais préparée, endurcie...

Non, je ne l'étais absolument pas. J'avais juste nié en bloc pendant trois ans ce qui arrivait.

Alors quand on m'appela au milieu de la nuit pour me dire que c'était fini... mon cœur s'est littéralement fendu en deux. Une douleur au cœur, atroce, réelle. Je ne sais pas comment cela est possible, médicalement parlant. Ce n'est pas juste une jolie métaphore : mon cœur m'a fait mal, physiquement, pendant au moins deux semaines d'affilé. Puis, la douleur revenait de temps à autres, jusqu'à s'estomper finalement. Désormais, il ne me reste que les pleurs, comme les larmes qui me coulent en ce moment.

Je suis partie le lendemain-même de l'annonce tenir mon stand à une convention sur le Japon. J'ai ris, plaisanté, continué ma vie sans que personne ne s'en rende compte. En fait, j'avais mal, mais mon esprit refusait encore totalement la réalité. Il me fallut un mois pour l'accepter.

« J'ai appris que tu allais mourir le jour des premières neiges. » fut la première phrase prononcée dans mon discours pour son enterrement.

S'en ai suivi 6 mois dans les ténèbres. La douleur, la solitude, la peur... La colère aussi, car à peu près tout me mettait en colère. Récolter des fonds contre le cancer me mettait en colère, car ma mère ne pouvait pas en profiter... C'est dire ! Mais aussi 6 mois incroyables où la moindre odeur, la moindre image me faisait retourner presque 30ans en arrière. Alors que je changeais mon fils, des souvenirs me revenait de ma propre mère qui me changeait, de mes chevilles qui se cognaient douloureusement l'une contre l'autre quand elle me soulevait par les pieds, de son visage surpris car je pleurais...

Si je croisais une femme de la même couleur de cheveux, d'yeux, ou avec le même genre d'habit, mon cœur se serrait à nouveau, et j'étouffais l'envie irrésistible d'aller lui parler. De la serrer, de pleurer.

Cela peut paraître exagéré. Je me suis toujours considéré comme une fille forte, avec un mental d'acier. Mais là, je ne maîtrisais plus rien. J'ai connu vraiment ce qu'était le chagrin, le lourd, le littéraire. C'est la classe, non ? Et pourtant, je ne le souhaite à personne.

9 mois plus tard, ma belle-mère mourut. De cancer aussi, mais celui-ci fut foudroyant. Un mois à peine, et elle était déjà partie. Personne ne s'y attendait. Personne, sauf moi. Je suis peut-être devenue parano, mais je l'ai vu venir. Elle n'allait « juste » pas bien que j'éclatais déjà en sanglot avec l'intime conviction de ce qui arrivait. Bien sûr, j'aurais voulu avoir tort. Cette femme, je la connaissais depuis plus de 15 ans, plus que mon propre père. Depuis mes 14ans.

On pourrait croire que c'est un mauvais mélodrame, avec beaucoup trop de mauvais rebondissements. Je ne veux pas exagérer les faits : il est évident que cette deuxième mort me touchait moins que ma propre mère ; mais cela remuait ma douleur à peine estompée. Avec la peur étouffante qui commençait à revenir sans cesse : qui sera le prochain ? Moi ? Mon mari ? Mes enfants ? Quand je vois la douleur qui m'a déchirée pendant plus d'un an, je ne peux imaginer celle de la perte d'un enfant. Et je tremble.

Deux ans pour ma mère, 1 an pour ma belle-mère. Je vais mieux, j'ai accepté, mes souvenirs envahissants se sont arrêtés. Un peu de peur encore, le souvenir de cette douleur. Et de cette première neige. Tout est moins vif, plus clair... Et je voulais partager mon expérience.

Hier, j'ai appris une bonne nouvelle. Le gène malade qui avait tué ma mère n'était pas dans mon sang. Cela faisait des mois que je retenais mon souffle, m'imaginant le pire. Mais finalement, non.

Je suis désolée pour ce voyeurisme, ces confessions si intimes. Mais tout le long de ces instants, « ces mois englués », je m'étonnais des effets de la tristesse sur mon corps, sur mon cerveau... Et sur ma perception du monde. Et au fil des réflexions, je me suis dis que cela pouvait intéresser des gens. Ou juste rappeler combien il faut profiter de la vie, de votre famille dès maintenant. On est dans le classique « vivez l'instant présent », désolée... Mais peut-être faut-il le vivre pour comprendre combien c'est vrai. Tout ce qui compte, c'est ceux que vous aimez, ce que vous voulez faire. Le reste, vous pouvez vous en débarrasser.

Voilà à quoi je pense, quand je vois de la neige tomber.

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