"Overgrown"

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« Envahi »

La cloche avait sonné, et elle était encore en retard. Elle pressa le pas, remonta la bretelle de son sac sur l'épaule. Célia avait toujours l'habitude d'arriver sur le fil, alors même que les attroupements des classes se formaient déjà devant les couloirs. Mais ce matin, elle avait flâné un peu plus que d'habitude, admiré les feuilles roussies de l'automne tomber dans le parc d'à côté. Tout était bon pour gagner du temps, pour éviter un peu plus l'enceinte du Lycée St Etienne qu'elle commençait à détester. Ce n'était pas qu'elle était mauvaise en classe : Célia a toujours été une enfant disciplinée, un peu timide mais pourtant loin d'être dernière. Cachée sous ses mèches brunes éparpillés, ses yeux marrons brillaient avec malice, révélait une intelligence vive qu'elle s'efforçait de cacher. Elle avait 14 ans désormais, et comme tous les jeunes de son âge, elle avait plusieurs amis qu'elle côtoyait régulièrement. Elle n'était donc pas non plus spécialement isolée, et s'évertuait à ne pas l'être. Mais une profonde mélancolie avait cependant commencé à s'installer en elle, la rongeait lentement depuis quelques mois, sans savoir pourquoi. Elle se sentait en décalage, perdue dans un monde qui commençait à la dépasser. Ou qui ne l'intéressait pas, tout simplement. Et revenir chaque jour au même endroit, dans ces classes étroites aux parfums de craie et de feutres à alcool, dans ces vestiaires puant de transpiration, de gomme et de goudron... son ventre commençait à se nouer. Elle avait pourtant d'autres projets pour la journée.

Voyant la barrière de l'entrée prête à se refermer, elle commença à courir, se glissa dans la porte verte sans broncher.

- Hey, Célia ! La prochaine fois, tu passes pas ! lança le pion qui surveillait l'accès.

Elle répondit par un mouvement de tête, le cœur battant, mais resta les lèvres scellées. Super, la journée commençait bien. La jeune fille détestait se faire réprimander, et encore plus de bon matin. Heureusement, le surveillant était sympa : elle aurait bien pu finir-là, plantée devant la grille sans pouvoir pénétrer la cour. En y réfléchissant bien, c'était plutôt tentant... mais c'était un petit plaisir qui aurait été difficile à ensuite expliquer à ses parents.

Célia poussa la porte du bâtiment C, grimpa les marches des escaliers quatre par quatre. Il n'y avait déjà plus un chat dans les couloirs, ce qui donnait à l'endroit un air paisible et abandonné. Enfin, elle se précipita vers la troisième porte à droite, s'arrêta devant en reprenant son souffle. Elle poussa finalement la porte. Le prof d'Histoire-Géo lui jeta un regard surpris, puis fit une moue sévère.

-Mademoiselle Ponant. Nous allions commencer, vous avez de la chance !

La jeune fille hocha la tête à nouveau d'un air désolé, s'excusa à demi-mot et glissa à sa place sans traîner. Puis le cours put enfin débuter.

Sophie, sa meilleure amie, lui lança un regard complice, puis sembla faire la grimace. Où était-elle passée, pourquoi avait-elle tardé : autant de reproche qu'elle arrivait à décrypter dans ses yeux. Elle l'ignora et fit semblant de s'intéresser au tableau.

Soudain, un tremblement. Son bureau tressauta légèrement, de façon presque infime. Elle attrapa les bords de la table, sentit le bois vibrer sous ses doigts. Quelques-uns de ses camarades poussèrent des exclamations de surprise.

-Hey c'est quoi ? Il se passe quoi ?

-M'sieur, m'sieur, y a un tremblement de terre !!

Le professeur fit la moue, bien que son regard trahissait un certain étonnement.

-Allons, allons, il n'y en a pas dans la région ! C'est sans doute un camion !

Célia jeta un regard à travers la fenêtre, donnant vue directement vers la cour. Un camion ? Mais ils étaient assez loin de la route pour ressentir ses effets...

Pourtant, il n'y avait plus rien. L'ambiance électrique de la classe se calma lentement, rapidement remis à l'ordre par le prof. Mr Grégot, de son petit nom, plutôt cool et ouvert finalement. Célia l'aimait bien, et il savait en plus visiblement gérer en les mouvements de foule. C'est qu'il n'en donnait pas l'air, derrière ses lunettes rondes et son visage débonnaire. Il valait mieux : après-tout, avec tout ce qui se passait ces derniers temps dans le monde, il était bon de savoir gérer la cohue. D'ailleurs, la région était en alerte terroriste depuis quelques mois, et les rumeurs que l'on entendait parfois par le directeur adjoint n'avaient rien de rassurants.

D'un coup, un autre tremblement. Plus puissant. Il roulait du fond des étages, remontait à travers les murs et secoua la bâtisse entière. Plusieurs poussèrent un cri, et Célia s'agrippa à nouveau à sa table. Elle regarda le plafond, effarée, et vit plusieurs plaques de placo tomber. Un crépitement, une coupure d'électricité... Tous se mirent debout, et certains coururent directement vers la porte. Célia resta figée par la peur, pensa se glisser sous sa chaise pour se protéger. Mais elle n'eut le temps que de voir le plafonnier se décrocher. Elle voulut pousser un cri mais en vain. Le plafonnier tomba d'un coup sur elle. Et puis, le noir.

*****

Un battement de cœur, en plein milieu de son crâne. Il frappait en rythme son front, lapidait son cortex en raisonnant. Le bruit sourd sembla la réveiller, à moins que ce ne soit la douleur. Enfin, elle rouvrit les yeux.

Elle était allongée sur un lit, recouverte d'un drap fin et blanc. Aussitôt, elle reconnu le plafond de plaques carrées, incrusté de petits points gris. L'infirmerie du bahut. Elle y était déjà allée une ou deux fois, surtout quand ses crampes d'estomac lui empêchaient d'aller en sport.

La jeune fille se redressa douloureusement, posant une main sur sa tête bourdonnante. Elle sentit sous ses doigts une bande tissée, sans doute enroulée en attendant mieux sur son crâne meurtrit. Sérieusement, ils l'avaient amenée à l'infirmerie et pas aux Urgences ?! Son lycée n'avait vraiment peur de rien. Elle aurait pu en mourir ! La douleur se réveilla tout à fait et elle poussa un gémissement plaintif.

-Il...il y a quelqu'un ?

Personne. Sans doute l'infirmière était partie dans le bureau à côté pour remplir quelques dossiers. Même le lit à côté était vide, pourtant complètement s'en dessus-dessous. Cela ne ressemblait pas à l'endroit, d'habitude si propre, si carré...

Et puis, soudain, Célia compris que quelque chose n'allait pas. Elle cligna des yeux pour mieux voir, essayant de retrouver ses esprits. C'était étrange, la pièce n'était pas allumée. Seule la lumière du jour perçait à travers la petite fenêtre sale. Sale... ? Depuis quand ? Le sol aussi semblait couvert de poussière, bien plus que d'habitude. Il semblait même y avoir quelques feuilles mortes, laissées-là sans que personne n'y prenne garde...

Célia essaye de se lever, y arriva tant bien que mal en s'accrochant au mur. Ce dernier aussi n'avait plus ce blanc éclatant qu'elle semblait connaître... Il était marron, poudreux, presque fissuré. Le séisme avait-il fait autant de dégât que ça ? Enfin, la jeune fille s'accrocha à la poignée de la porte, ouvrit celle donnant directement dans le couloir. Elle y entra.

Elle reconnut à peine l'endroit à travers la pénombre. Tout y était détruit, fissuré, parcouru de lianes et de végétation luxuriante. Une ruine abandonnée, où la nature avait repris ses droits. Célia retint son souffle, voulut se mordre la lèvre pour être sûre de ne pas rêver. Elle se fit presque saigner. Elle se rua alors vers une fenêtre, courut à travers le couloir comme une possédée, sauta par-dessus les herbes déjà hautes et ouvrit l'une des portes à sa droite. C'était une classe, vide, délabrée, où les chaises et les quelques tables encore debout servaient tout juste à se souvenir de l'endroit. Quelques touffes d'herbes courraient à travers le sol poussiéreux, rajoutaient un aspect ancien à l'endroit. Mais le plus étonnant, le plus époustouflant même, Célia le voyait à travers la fenêtre. Avec la vue imprenable sur le bâtiment A, et même les quelques autres immeubles de la ville, elle ne pouvait rien rater : tout était recouvert de plantes et de mousse, à moitié détruit, comme érodé par le temps. Elle s'approcha de la vitre. Elle était brisée, et le souffle du vent lui balaya le visage, lui fouetta les joues comme pour la réveiller. Au loin, le hurlement d'une bête sauvage. Plus rien ne bougeait, plus un seul humain ne semblait exister dans cette jungle à la fois urbaine et végétale.

C'était un monde apocalyptique où la nature avait repris ses droits.

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