"Injured"

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"Trompé"

Il y a des années de cela, alors que Renard n'était encore qu'un jeune freluquet au service du palais impérial, il lui arrivait parfois de jouer des tours à ses confrères. Il n'avait que quatorze ou quinze ans, la bouche fraîche et le teint de neige, le sourire innocent mais effronté. Il était beau et adoré, favori de la cour sans n'avoir presque rien à faire. Et comme tous les enfants gâtés, il ne savait pas toujours s'arrêter.

Ami depuis l'enfance du fils des cieux, il faisait partie du duo le plus proche du futur souverain : lui-même prochain conseiller impérial comme son père et le père de son père avant lui ; et Grue, le yojimbo céleste, le protecteur du palais. D'un naturel plus effacé et silencieux que Renard, ce dernier était l'ombre du petit Tigre, qu'il suivait à la trace. Et Renard en était bien agacé. Bref, malgré leur amitié, une petite rivalité s'était installée. Oh, rien de bien grave, mais assez pour faire mijoter le renard de son côté.

Hors, un jour, le goupil décida de jouer un tour à l'oiselet ; et l'invita à prendre le thé. Posés dans l'un des jardins parfumés sous un ciel de printemps ensoleillé, tout semblait de grâce et de beauté.

Alors que le sieur Grue s'asseyait devant le filou Renard, ce dernier avait installé quelques bols pour s'abreuver. Mais le garçon malicieux avait veillé à lui en faire baver : la tasse proposée était éloignée de Grue, si bien qu'il devait tendre le bras au-dessus des autres affaires. L'oiseau eut beau faire, et malgré sa grâce légendaire, mouilla le bout de l'une de ses longues manches brodées. Renard, satisfait, bu sa tasse de thé avec un sourire narquois. Malgré tout, Grue ne broncha pas et fit semblant de rien remarquer. Pas un seul mot entre les deux nobliaux, pas un bruit si ce n'est le cliquetis de la vaisselle dorée.

« J'aime tellement être avec toi, mon frère ! s'exclama enfin le jeune Renard. Je t'ai préparé moi-même à manger, j'espère que cela va te plaire ! »

Grue, de marbre et d'ébène immobiles, ne répondit pas. Enfin, on leur apporta en effet à manger : horreur ! C'était de jolis œufs bien assaisonnés, servit à la coque dans un petit plateau d'argent. Des œufs offerts à un oiseau de son envergure ! L'affront était trop gros. Pourtant, Grue ne broncha toujours pas, fit un sourire poli et salua son ami.

« C'était un repas en tout point parfait. Je te remercie pour tout le travail que tu as fait, et ton amitié si sincère. »

Puis il s'écarta dans un souffle de vent, son joli kimono blanc et son sourire figé s'effaçant derrière une porte du palais.

Quelques jours passèrent quand une missive arriva directement chez Renard. Un parchemin de riz d'une finesse remarquable, écrite à la plume noire sous un joli trait maîtrisé. Grue l'invitait à son tour à boire le thé, dans l'un des jardins du palais. C'était de bonne guerre, et Renard avait hâte de voir de quoi il en retournerait.

Assis à son tour sur la place de l'invité, le rouquin regardait attentivement les pièges peut-être cachés autour de lui. Mais il ne vit rien, sinon Grue et son sourire étrange, ses yeux sombres le fixer, son visage d'ange relevé de rouge toujours figé. Il but un thé délicieux, profita de l'air frais et du doux soleil de printemps, des oiseaux chantant dans le vent. Visiblement, il n'avait rien à craindre de lui. Enfin, Grue brisa le silence :

« Moi aussi, mon très cher frère, toi qui m'accompagnes depuis toujours... J'apprécie ta présence, et je voulais te remercier à la hauteur de ta dernière invitation. Et j'ai moi-même cuisiné le mets que voici. En espérant que cela va te plaire... »

On servit aussitôt un grand bol étrange, parfumé et accompagné de riz blanc. L'odeur était exquise, mais définitivement mystérieuse. Renard y jeta un œil inquiet : c'était de la viande savamment préparée. Délicieuse, juteuse et sans doute fondant sous le palais. Renard attrapa un bout, voulu y goûter... Quand le doute le prit. Il jeta un œil à Grue qui continuait à le regarder avec un large sourire satisfait.

Renard regarda la viande et un haut le cœur le prit. L'odeur masquée par les épices lui rappelait quelque chose de familier, mais il ne voulait pas y penser. Elle était musquée et forte, forestière, bien plus que ce qu'on mange d'habitude ici.

Le jeune homme ne voulut pas insister, se leva d'un coup en le saluant.

« Très bien ! Tu as gagné ! Je serais moins poli que toi... »

Grue plissa son regard, puis le salua lentement de la tête.

« Tu peux t'en aller, Renard. Tu restes mon ami.
-Toi aussi. Ce petit duel fut un plaisir ! »

Et Renard s'écarta sans demander son reste. De son côté, Grue attrapa le bol et le jeta par terre en souriant d'un air satisfait.

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