L'horloge cassée

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Avant de monter se coucher, Bruce Gilliard jeta un dernier coup d'œil à la pendule encastrée dans le mur du hall d'entrée.

Il se souvenait des paroles de la jeune femme de l'agence immobilière. D'après elle, l'horloge était cassée mais il était impossible de la retirer sans occasionner de sérieux travaux. Pressé de trouver une nouvelle maison, Bruce avait signé le bail. Il s'occuperait soit de s'en débarrasser dès qu'il aurait un moment soit de faire réparer le mécanisme.

Il ne connaissait pas grand-chose en matière d'antiquités mais il appréciait sa beauté et son charme ancien. Elle avait été fabriquée dans un bois presque noir dont les veines semblaient d'or dans la pénombre du couloir. Elle mesurait près de deux mètres de haut pour quatre-vingt-dix centimètres de largeur. Malgré sa stature, Bruce se sentait presque intimidé à côté. Une pièce imposante qui attirait le regard et le capturait. Pourtant, au-delà de cette impression, quelque chose dérangeait Bruce. Était-ce-ce l'étrange reflet pâle de ses aiguilles en laiton bloquées sur trois heures quinze ? Ou bien la position de son balancier coincé sur le côté ? Comme si elle attendait son heure.

 " Bruce, tu montes ? "

La voix de Mona depuis leur chambre à coucher interrompit ses pensées. Alors qu'il grimpait le vieil escalier, il entendit un faible tic cristallin. Il attendit, le pied en équilibre sur la marche suivante mais le tac ne répondit pas. Le silence restait de plomb, comme à l'affût. Bruce n'aima pas du tout cette sensation et il ne put s'empêcher de jeter un œil dans les chambres des petites. Hannah dormait au milieu de sa cour de peluches, telle une souveraine aimante et Marion s'était assoupie avec son livre sur la poitrine, couette rejetée.

Il aurait voulu lire un peu avant d'éteindre mais la fatigue du déménagement l'emporta dès qu'il posa la tête sur l'oreiller. Mona vint se blottir contre lui :

 " Les filles aiment beaucoup cette maison. Elles parlent déjà d'aménager une partie du grenier.

 - Ça ne me surprend pas. Et toi, tu l'aimes ?

 - Il faut juste que je m'habitue à cette nouvelle maison. Ça va nous changer de l'appartement de Spain Street.

 - Tu sais comme moi qu'il n'était plus possible de rester là-bas. "

Il y avait une once d'hésitation dans la voix de Mona mais Bruce ne releva pas, exténué.

Il s'endormit.

Dans la nuit, la porte de la chambre s'ouvrit lentement. De l'ombre du couloir surgit une forme éthérée. Bruce se sentit durcir devant les courbes rondes et nues de la jeune femme de l'agence immobilière. Elle susurra :

 " J'ai vu comment vous me regardiez, monsieur Gilliard. Et j'ai aimé ça.

 - Ma femme...

 - Ne craignez rien, je serai discrète. "

La belle rousse le chevaucha, le repoussa sur son oreiller et descendit jusqu'à son bas-ventre, l'effleurant de ses lèvres pleines. Elle le prit dans sa bouche ; de ses doigts, elle lui enserrait la base du sexe. Le plaisir montait si ardent que Bruce ferma les yeux, luttant pour ne pas succomber trop rapidement à l'étreinte.

Il s'éveilla en sursaut. Il tourna la tête vers sa table de nuit. Le réveil indiquait 3h15. Il crut entendre un dong cuivré dans la nuit. Comme une réminiscence lointaine de son rêve. Une humidité enveloppait son entrejambe. Le short de sport dans lequel il dormait était souillé de son sperme.

Quand il revint se coucher, Mona marmonna dans son sommeil :

 " Bruce ? Ça va ?

 - Oui, rendors-toi. "

 Le soleil automnal inondait la cuisine d'une douceur revigorante après l'inhabituelle nuit. Mona, du bas de l'escalier, criait aux filles de se dépêcher un peu. Bruce n'aimait pas ces clameurs matinales. Sa femme se tourna vers lui :

 " Tu as parlé dans ton sommeil.

 - Ah oui ?

 - Tu as parlé de moi puis tu as dit quelque chose comme " Gwendoline, non. "

 - Étrange. Sûrement un rêve.

 - J'en ai fait un, moi aussi. Mais je ne m'en souviens pas. "

Bruce leva les yeux vers le dos de son épouse, il se demanda pourquoi elle mentait. Après la distance froide qui s'installait doucement dans leur couple, voici les mensonges qui arrivaient.

Mais ils étaient en retard et il ne voulait pas s'appesantir sur le sujet de bon matin.

Les semaines passèrent. Les rêves revenaient presque chaque nuit. Et bien souvent, Bruce se retrouvait, les yeux ouverts dans le noir à la même heure. 3h15. La plupart du temps, il vit Mona s'agiter dans son sommeil mais elle s'obstinait dans son mutisme. Elle répondait qu'elle n'aimait pas raconter ses cauchemars, que c'était un peu ridicule de réveiller son conjoint pour ça. Bruce trouvait qu'elle cachait bien sa douleur.

Une nuit, Marion se mit à hurler. Elle avait mouillé son lit, pour la première fois depuis la maternelle. Haletante, elle raconta qu'elle suivait le long couloir de la maison et que des griffes sortaient des murs.

En bas, le même dong sourd résonna. À ce son, Mona se figea, une terreur immense dans le regard tandis que Marion se cramponnait plus fort au bras de son père.

Bruce leva un regard noir vers la maison. Pour sa famille, il lèverait le mystère autour de la demeure d'Old Keziah Lane quel que soit ce qui vivait tapi dans les profondeurs de l'horloge et détruirait ce carillon maudit.

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