Brouillon

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Miranda O'Malley reposa le brouillon sur le bureau, alluma une cigarette :

 " Vraiment pas mal. Ça pourrait leur plaire. Apporte-y quelques retouches, notamment autour du personnage de Beth...

 - Beatrice, tu veux dire.

 - Oui, Beatrice. Si tu renforces son arc, je pense qu'ils pourraient te faire signer pour un pilote. Et si tu réussis le pilote, qui sait où ça peut te mener par la suite, Owen. "

Owen glissa un regard vers la cité tentaculaire à ses pieds. Enfin, Hollywood lui ouvrait ses portes. Après tout le travail accompli et les innombrables refus. Mais il était encore tôt pour crier victoire.

 " Recontacte-moi quand tu auras quelque chose d'encore mieux. Excuse-moi mais j'ai encore quelques rendez-vous. Passe-moi un coup de fil dans une semaine. OK ?

 - OK, Miranda. "

Pendant qu'il regagnait sa maison dans les collines, il observa avec avidité les énormes lettres blanches à flanc de colline.

Le silence louvoyait parmi les ombres de la villa quand il se gara dans l'allée. Owen préférait la quiétude des vallons intérieurs à l'agitation de la côte. Ici, à Santaroga, personne ne connaissait le succès de ses derniers romans ni ses ambitions de scénariste. Ou alors tout le monde s'en fichait.

 " Otis, je suis rentré. " lança-t-il, souriant.

Aucune réponse ne lui parvint. Il n'en recevait jamais. Un visiteur aurait pu croire que la maison était vide mais Owen savait quoi écouter. Peut-être qu'Otis dormait.

Il monta dans son bureau, sortit ses carnets, ses manuscrits. Il répandit ses stylos puis s'abandonna à la vue de la baie vitrée. Aussi loin que portait son regard, il ne voyait que la forêt de chênes bas et de châtaigniers. Au bout d'un moment à scruter le blanc silencieux, il alluma la musique.

Quand la femme de ménage vint dans l'après-midi, il lui demanda de ne pas passer l'aspirateur car il avait besoin de calme pour travailler. Mais comme toujours, il la garda à l'œil et flâna dans le patio. À un moment, il entendit un raclement métallique dans le sous-sol et réagit en montant la musique. Pendant un instant, il observa la femme penchée en train d'épousseter les bibelots. Ne s'était-elle pas raidie à ce son ? Jusqu'à son départ après qu'elle eut préparé le repas, Owen épia le moindre de ses gestes.

À la nuit tombée, il éteignit la chaîne hi-fi, toutes les lumières et attendit. Dehors, rien ne bougeait. Du bruit montait de la cave. Juste le même tintement que dans l'après-midi.

Silencieux tel un animal sauvage, il déverouilla la bibliothèque murale et descendit dans la cave aménagée. Des odeurs fauves remontèrent jusqu'à lui. Il referma le passage derrière lui avant d'allumer.

 " Viens manger. Allez, montre-toi. " lança-t-il à la forme au bout de la lourde chaîne d'acier.

La créature captive sortit des ombres épaisses de la cave. Elle faisait peine à voir avec ses cheveux blonds longs et hirsutes, sa barbe sale qui lui mangeait la moitié d'un visage pâle et émacié. Elle roulait un œil fou. La chose vint gratter la longue cicatrice lui barrant la joue jusqu'à son œil aveugle et vitreux. Owen sentit une pointe mauvaise lui traverser le cœur :

 " Arrête de gratter ça. Tu veux t'esquinter encore plus ? "

L'autre baissa la tête, écrasé par la remarque de son geôlier. Owen avança jusqu'à un bureau, alluma la petite lampe et posa l'assiette de tamales de la femme de ménage. D'un ton doucereux, il dit :

 " Allez, sois un bon garçon et viens manger. Si tu te comportes correctement, nous irons nous balader ce soir. "

Owen reprit :

 " Miranda a bien aimé le brouillon mais il peut être encore meilleur. Je compte sur toi pour faire en sorte que les huiles d'Hollywood nous l'achètent. "

Avec un dédain à peine voilé, il lâcha le lourd feuillet sur le vieux bureau d'écolier. La créature sursauta au bruit mat qui claqua.

 " Tout doux, Otis. Je te laisse manger et n'oublie pas la promenade. "

Owen laissa là son frère jumeau et monta boire un whisky. Des Gerhardt, Otis était le seul à être né avec un don utile mais la vie, par un accident de la route, l'avait transformé en monstre de foire. Leurs parents morts, Owen trouvait dommage de laisser s'évanouir le talent de son frère. Surtout la manne financière que cela représentait. En jouant serré, il se ferait même une place dans le tout Hollywood.

Même s'il fallait pour ça, prendre la place de son frère dans le monde.

Au sous-sol, il entendit soudain quelque chose qui se brisait. Comme de la céramique ou du verre. Owen se précipita en bas, la peur se lisait sur son visage. Pas celle affective, celle matérialiste. Il cacha un soupir de soulagement quand il comprit.

Otis avait fait tomber son assiette.

" Alors, espèce de crétin ! Toujours aussi maladroit ? Et qui va nettoyer ça ? Toi peut-être ? "

Comme d'habitude, Otis se replia sur lui-même mais quelque chose de faux se faufila dans sa dérobade. Furieux, Owen ne vit rien.

Il remonta et laissa les débris de l'assiette près de l'évier.

Un tesson manquait. Celui de la porte de sortie d'Otis.

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