Orage

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Les premiers grondements résonnèrent jusqu'au fond de la vallée à mesure que la lumière du jour changeait, se voilait.

La tempête se levait pour la plus grande joie de Quinton McGillivray. Dans les noires volutes de l'orage, le jeune homme retrouvait la colère qui l'animait quand les choses s'envenimaient chez lui. À la différence que la fureur des cieux possédait quelque chose de libérateur au contraire de la violence de sa famille.

Aujourd'hui, tout allait changer.

Le vent fit frémir les lourdes pages de son livre. Sans cesser de lire à voix haute, il tint le papier d'une main plus ferme. En réponse à son cantique, la foudre frappa proche, sur un vieux sapin. Quinton entendit le bois se fendre. Une odeur de brûlé parvint jusqu'à ses narines. Il continua sa mélopée aux accents gutturaux, étranges, gagné par une puissance ancienne et endormie depuis des éternités. Le tumulte en train de se lever n'était pas l'aboutissement, il était le fracas retentissant de la porte qu'ouvrait Quinton.

Quand l'Autre arriva, le jeune homme sentit sa peau se rétracter, les poils de sa nuque se dresser. L'instinct de conservation devant une créature d'un autre pan l'écrasait. Prendre la fuite semblait l'unique solution viable mais il ne pouvait le faire sinon le Shoggoth invoqué se retournerait contre lui.

Quinton fit volte-face, prêt à braver sa folie. Sous le ciel devenu noir, strié d'éclairs aveuglants, il ne vit d'abord rien. Seule régnait une infâme puanteur de marécage. La forêt paraissait mouvante de mille ombres.

Puis, il l'aperçut. Rampant d'une façon heurtée entre les troncs. Le Shoggoth aux dizaines d'yeux reptiliens d'un jaune lépreux, aux tentacules bouillonnants. L'horreur la plus infecte, le cauchemar louvoyant.

La haine du jeune homme lui brouillait la vue, son désir de vengeance troublait son esprit. Aussi ne mesura-t-il pas l'odieux marché qu'il venait de passer avec ce laquais des Dieux Anciens.

Mû par la faim et la rage, le Shoggoth s'élança dans les pentes de cette étroite vallée du Colorado. Quinton, dans sa démence, voulait être témoin ; il se mit à courir dans le sillage de la créature. La pluie se mit à crépiter au travers du feuillage luxuriant de la fin août. Quinton perdit de vue le Shoggoth mais sa trace demeurait facile à suivre. Il labourait le sol, piétinait les arbustes comme s'il foulait une pelouse. Quant aux arbres plus épais, il laissait sur l'écorce une marque noire de suie. À l'orée du dernier bosquet, Quinton arrêta sa course.

Après le pâturage, il apercevait sa maison de pierres. Dans l'embrasure de la porte de la cave, une silhouette mince et grande. Son père, Jeremiah. Quinton discernait la braise de sa cigarette au-delà du rideau de pluie.

La masse goudronneuse du Shoggoth franchit le pré sans ralentir sa course et pénétra dans un fracas assourdissant dans la grange. Jeremiah MacGillivray sursauta, le tison rougeoyant s'envola en direction des parterres de légumes et son père disparut dans les profondeurs de la cave. Il ressortit quelques secondes plus tard, sa Winchester dans la main.

Dans l'étable, les bêtes se mirent à meugler comme prises de folie. Un infernal tohu-bohu s'échappait des fenêtres crasseuses tel cent ours enfermés. De sa cachette, Quinton vit son père entrer dans la bâtisse. Deux coups de fusil claquèrent à moitié couverts par le fracas de l'orage.

Retentit un long cri d'horreur. Strident puis étranglé. Les animaux se turent. Un silence assourdissant tomba. La mère de Quinton apparut sur le perron de la maison. Elle, cette femme mauvaise, qui savait parfaitement souffler sur les braises de la colère de son mari, le plongeant dans la violence et l'alcoolisme. S'il craignait son père, Quinton haïssait sa mère. Comme il aurait aimé se tenir près d'elle quand le Shoggoth la faucha et l'envoya, telle une poupée désarticulée contre les briques du puits. L'entité pénétra dans le salon, ravagea l'intérieur de la maison.

Ensuite, dans les premières flammes d'une lampe à pétrole renversée, une fois son carnage accompli, le Shoggoth se dirigea vers le bourg plus bas dans la vallée.

La mort dans le sillage du Chaos rampant. Sous l'orage apocalyptique, l'indescriptible horreur. Nombreux furent ceux à perdre la vie. Le shérif Amberson et ses adjoints ne purent rien contre l'infâme tourbillon. Autant se battre contre une tornade.

Comme il était apparu, le Shoggoth disparut. Il rejoignit les montagnes et la fosse d'où il avait surgi, espérèrent les villageois.

Les victimes avaient un point commun. Toutes avaient eu des démêlés avec le fils MacGillivray récemment. Depuis la place de l'église, les hommes voyaient de la fumée s'élever de la ferme. Une foule véhémente, encore sous le choc des évènements, s'aventura sur la route de terre.

Ce que Arthur Amberson vit là-haut lui fit penser à Gettysburg et aux fantômes qu'il avait ramenés dans ses bagages. Un spectacle de désolation absolue. Aucun mot n'était assez fort pour décrire ce que ses yeux assimilèrent.

Au milieu des débris, des cadavres de sa famille et des bêtes, Quinton MacGillivray se tenait, habité d'un rire hystérique de dément. Entre ses mains, il serrait toujours le Necronomicon.

Un 20 août 1890 sordide s'achevait dans la petite ville d'Hammersly, marquée pour toujours du sceau de l'infâmie.

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