CHAPITRE 1 - Flashbacks

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Mille neuf cent quatre-vingt dix-huit : la coupe du monde de football, l'invention du viagra, le dernier concert de Matmatah à Condate. C'était il y a presque vingt ans. On fêtait le cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'Homme, un certain dix décembre alors qu'on signait les accords de Nouméa un cinq mai. Un douze janvier s'effondrait la bourse de Hong-Kong. Ce même jour, en Europe, on dit non au clonage humain. Jean Marais, Nino Ferrer et Frank Sinatra mourraient cette même année. On assiste également à la première diffusion française du film Titanic et on inaugure le stade de France à Saint Denis. Un dix février, on adopte le projet de loi sur la semaine de travail de trente-cinq heures. Le vingt-six mai, déjà, on craint les terroristes, les attentats. Une vaste opération anti-terroriste est lancée se soldant par cinquante-trois interpellations. Juin, Eric Tabarly disparaît en mer. Alain Juppé est mis en examen pour soupçon d'emploi fictif à la mairie de Paris. Le neuf octobre, la droite, majoritaire, rejettera le projet de PACS. Quinze ans plus tard, on autorisera le mariage homosexuel en France, déjà autorisé dans une vingtaine de pays, majoritairement européens. Jusqu'en 1982, l'homosexualité était un délit quand en 1991 on la retire des maladies mentales de l'OMS. Saussereau invente le dispositif d'immobilisation de malades quand Pavard crée le traceur en relief pour non-voyants. Mocquot lui inventera le fauteuil électrique pour des personnes en situation de handicap. Dans un autre genre, Erignac sera assassiné et Colonna arrêté 5 ans plus tard. On frappe la première pièce d'euro. Les États-Unis bombardent l'Afghanistan, déjà.

Vingt ans plus tard, qu'est-ce qui a changé ?

En 2000, on craint un bug, on avait peur. Nouveau siècle oui, mais aussi la fin du deuxième millénaire. On annonce déjà la fin du monde. Kofi Annan essaie d'allier mondialisation et respect des droits de l'Homme. En Allemagne, on met en service des « boîtes à bébé » pour les mères en détresse. Cet été là, un jeune garçon âgé de 10 ans travaille plutôt que d'aller à la plage ou de faire des activités de son âge, et en récompense, il reçoit un petit chiot, un bâtard, nommé Zar. Ce sera à la fois son confident, son meilleur ami et sa conscience, un peu comme Jiminy Cricket pour Pinocchio. Ce dernier disait même « La conscience est cette tranquille petite voix que personne ne veut entendre. C'est à cause de ça que tout va mal de nos jours. » Quand le pantin s'interrogeait sur son utilité. Il y a une certaine effervescence, mêlée à la joie, l'excitation.

Un an plus tard, vers 8h, des cris, des pleurs, de la peur. Ce onze septembre, ce n'est plus de la peur, c'est de la terreur, de l'horreur. 2977 morts, 6291 blessés, 93 nationalités et pays affectés. Devant les postes de télévision, en France et partout dans le monde, le temps s'arrête. Les gens se figent, sont béats, hébétés, surpris, choqués. La population découvre avec stupeur et torpeur l'horreur, le terrorisme de masse. « Non ce n'est pas possible ! », « Que se passe-t-il ?! »... Je me rappelle de ces gens, coincés dans ces deux grandes tours qu'on appelle World Trade Center, et qui sautent, dans le vide. Cet événement, très médiatisé, met la population face à l'horreur : on voit en direct les deux tours s'effondrer, l'avion percuté la deuxième tour. On peut observer la détresse, l'impuissance. Ces attentats seront les plus meurtriers de l'Histoire. Ceci sera probablement mon premier souvenir marquant, bien que la chronologie me semble difficile à établir. Bien sûr, d'autres souvenirs plus joyeux me reviennent comme celui d'un Noël où je recevais une poussette en plastique avec du rose, du jaune pastel. En dessous de mes pieds ce jour là, il y avait un tapis. Certains jouets m'ont marqué, comme un petit téléphone blanc, bleu et rouge, un xylophone crocodile ou encore un château en plastique dans lequel on devait mettre des boules colorées. Je me rappelle aussi de certains meubles comme cette chambre beige et grise pour moi et beige et bleu pour mon frère. Je me rappelle de ce lapin en chocolat que j'avais pris comme doudou le soir de Pâques ou encore de cette alliance maléfique entre Zar et Grey, un petit chat qu'on a recueilli quand on habitait à Ar gêr. J'aimais cette complicité qu'on avait tous les deux, avec cet adolescent, pour manger toutes les gavottes et autres gâteaux rangés dans cette petite armoire en bois dans le fond du cagibi ou encore les goûters à base de bananes, de pommes, préparés par un père attentionné. J'adorais la douce odeur des gâteaux au chocolat confectionnés par une mère complice. Un sentiment d'apaisement, de bonheur, d’insouciances délicieuses. Un sentiment éphémère.

L'hôpital. Une infirmière. Un sentiment trouble : « mais qu'est-ce qui se passe ? ». J'ai fait un malaise « épileptique ». J'ai avalé les médicaments de mon père. La dernière chose dont je me rappelle, c'est l'école maternelle : j'étais dans la salle de sieste, avec les autres. J'ai commencé à faire ce qui me revient comme un cauchemar : j'ai pleuré, je me souviens avoir crié mais je suis incapable de me rappeler si c'était fictif ou réel. Après c'est le trou noir. Je me souviens juste que chaque nuit, j'avais peur de refaire ce cauchemar et chaque fois, mon lit se retrouvait maculé, comme certains enfants.

Âgée de 6 ans, je me rappelle de la violence d'un internement auquel je ne comprenais rien. Mon père est interné dans un hôpital dans lequel je n'ai pas le droit d'aller le voir, mais on me dit qu'il ne va pas mal, qu'il a juste besoin de repos. Avec le recul, on me conte qu'il a fait une énorme «crise », un excès de paranoïa, un excès de violence. On me raconte qu'il a voulu s'en prendre à moi, qu'on m'aurait défendue. Moi je ne me rappelle que d'un seul excès de violence, c'est quand cet adolescent s'est tourné vers mes parents et les a traité de « blaireaux ». A ce moment là le temps s'est arrêté, je ne comprenais pas ce qui se passait. Un sentiment de peur se mit à m'envahir. Ce frère qui essayait toujours de faire la différence, de se démarquer, avait blessé une personne qui comptait énormément pour moi : mon père. Petite, j'avais une relation très proche de lui, plus que de ma mère, bien que ça ne m'ait jamais empêché de l'aimer. Mon frère quant à lui, a toujours été plus proche d'elle. Mais avec le temps, ce père m'inquiétait, m'impressionnait, me faisait peur. Je culpabilisais car je l'aimais, mais j'étais angoissée par ses excès de violence autant verbaux que physiques bien qu'il ne s'en prenait pas forcément à des gens. Ma mère elle, était trop occupée à surveiller et à entretenir le cocon familial. A ce moment là, je me suis réfugiée dans les bras de cette étrange chose boutonneuse amatrice de jean déchiré et de sweat à capuche beaucoup plus large que lui. Il me rassurait, me consolait, me faisait rire, m'occupait. On avait une réelle complicité, et je lui faisais confiance, énormément. J’arrivais à vraiment lui faire confiance alors que j'avais déjà été trahie. C'est terrible pour une enfant d'être trahie. C'est un sentiment qu'on ne devrait pas connaître à cet âge, et qui commence à nous faire réfléchir de trop, trop tôt et à nous faire méfier, de tout.

Parmi tous ces souvenirs entremêlés, je me rappelle aussi de repas de famille très traditionnel au moment des fêtes, très bourgeois, très organisés. D'un côté, c'était banquet chargé et soirée trop arrosée. Tous les ans, j'attendais ce moment car pendant que je m'amusais avec ma cousine, le père noël passait chez mes parents pour déposer tous les cadeaux. On rentrait souvent très tard, trop tard pour moi en tout cas. Le lendemain ou le surlendemain, on allait chez mes autres grands-parents. Quand on y était, j'avais toujours un sentiment de malaise. J'avais l'impression de venir un peu chez des inconnus, ou du moins des connaissances. On y allait très peu souvent à cette époque, ou du moins ça ne me marquait pas. Le seul réel souvenir que j'ai, ce sont des petites bouteilles de parfum, des blocs notes et des stylos sentant les fruits, les fleurs, que ma grand mère m'offrait. Je me rappelle également d'une petite mallette pleine de feutres et autres nécessaires aux dessins ou encore de ces verres à moutarde que j'adorais. En fait, souvent je me réfugiais dans les pattes d'un vieux chien surnommé Canaille car je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à avoir cette complicité avec ma grand-mère, en soit elle ne m'avait rien fait. Mais justement, peut-être que le problème vient de là. Avec le recul j'ai l'impression qu'elle n'a jamais cherché à créer cette complicité que je pouvais avoir avec mon « papi » ou avec mon «pépé ». Finalement j'ai toujours été plus proche de mes grands-pères que de mes grands-mères. J'ai même toujours été plus proche des figures masculines que féminines d'ailleurs. Mais malgré tout, après ce tourbillon d'émotions contradictoires face au comportement de mon père, je me suis toujours méfiée terriblement des figures masculines que je rencontrais ou dont je me rapprochais bien que cela ne m'empêchait pas d'être toujours plus à l'aise avec eux qu'avec des figures féminines finalement plus directrices et moins souples.

En fait je me rends compte que cette méfiance ne vient pas que de là. Mais ça, je ne le réalise que bien plus tard. Pour l'instant, je ne suis qu'une enfant.

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