24 Banzaï !

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  De loin, le dépôt ressemblait à s'y méprendre à un bunker géant du mur de l’Atlantique avec ses avant-postes, ses barbelés Concertina, son no man s’land hérissé de réverbères. De près ce devait être pire encore. Mais pour nos Branques, l'ordre du jour n’était pas de prendre la forteresse d’assaut. Trop de risques en l’absence de chars d’assaut et d’un appui aérien.

  Fondé sur la ponctualité des gens trop surs d’eux, qui ne redoutent rien d’autrui, et surtout sur les indications précises fournies par le Pape, la stratégie adoptée pour l’attaque s’était arrêtée sur le rond point situé à l’entrée du hameau le plus proche. Là où débouchait le chemin privé de la société de transports de fonds et relai frontalier pour hémorragie massive de capitaux vers les paradis fiscaux, propriété du Pacha par hommes de paille interposés. Le rusé combinard en était arrivé à cette conclusion par le biais d’une question simple ; « Pourquoi prendre des risque d’attaquer à l’arme lourde des fourgons dont on ne connaît pas le contenu, alors qu’il est si simple d’en posséder les clefs et de définir le parcours lors d'une énorme cagnotte ? ».

Le vingt-six tonnes immobilisé près d’une entrée de ferme en piteux état, Désiré faisait mine de s’abîmer dans l’étude d’une carte routière étalée sur le volant du camion, un talkie-walkie grésillant à porté de main, posé sur un masque en latex. Tout comme Pierrot, d’ailleurs. A ce détail près que le monstrueux engin de l’ex-grossiste en fruits et légumes était garé en bordure du bois, à l’opposé du rond-point, que le rouquin était devenu brun par les effets d’une perruque bouclée assortie à son bouc postiche, et que dans son rétroviseur il pouvait croiser le regard rassurant d’un Djelloul installé au volant d’un trois tonnes cinq Mercedes. A mi- chemin du rond-point, il distinguait parfaitement la silhouette de Kiki adossé à la porte d’une ancienne cabane de cantonnier, la main posée sur la selle de son vélo.

La tronche du conducteur et du convoyeur de fonds, on aurait eu plus facile à les imaginer en cavale d’un fichier anthropométrique pégriot que sur pages glacées d’un catalogue de fringues de luxe. Oh les vilains ! Surtout le convoyeur dont il ne subsistait du nez qu’une petite boule chapeautant la lèvre supérieure et la zébrure bleue des veines sous la peau diaphane. Pour se moquer de lui, mais uniquement dans son dos car le lascar était pétardier en diable, ses amis racontaient que son paternel terrassier l’avait surpris à huit ans avec une clope aux lèvres et qu’il avait éteint l’objet du délit d’un grand coup de pelle à la volée. Difficilement croyable au premier jet, mais en y regardant d’un peu plus près, et en tenant compte des tares sur-agressives du lardon… allez donc savoir !

En tout cas les deux gonzes matèrent avec un ensemble parfait le pochetron qui s’amenait à leur gauche en multipliant les prouesses au guidon pour s’assurer un semblant d’équilibre. Un spectacle d’autant plus captivant qu’à l’opposé, de l’angle du bois, surgissait le museau monstrueux d’un Mag. A vue de nez, même avec un tarbouif aussi ravagé que celui du convoyeur, il était clair que les deux se retrouveraient en même temps dans le rond point, si le cycliste ne s’était pas viandé avant. Fascinant !

- Fais gaffe de pas lui couper la route ! On sait jamais ! Nasilla monsieur « Nez arasé » à vingt mètres de l’obstacle.

- Hun ! Répondit le chauffeur en frimant le pare-choc du camion sourcils froncés.

Touchera ? Touchera pas ? Presque aussi passionnant que les corridas le spectacle de la rue, parfois !

Patatras ! Le cycliste s’envola bel et bien dans le rond-point en direction du Mag, séparé de son vélo qui fila droit vers le fourgon blindé. Le chauffeur du camion donna un grand coup de volant vers la droite pour éviter de transformer le pochetron en bolée de ketchup. Son engin empiéta largement sur le rond point et fonça droit sur l’avant du fourgon dans une tornade de poussière. Penchés pour assister au laminage de l’infortuné ivrogne, le convoyeur et le chauffeur rentrèrent instinctivement la tête dans les épaules en prévision du choc. A l’arrière, le troisième agent avait basculé cul par-dessus tête pour se retrouver le nez collé dans la double page centrale du Play-Boy qu’il feuilletait en bavant.

La densité du nuage de poussière qui atteignait à peine le pare-brise du fourgon ne pouvait justifier la brutale baisse de lumière, bien sûr. Mais les évènements s’enchaînaient si vite que les deux hommes sentirent leur sang se glacer en voyant débouler par leur gauche un second poids-lourd qui leur supprima toute possibilité de fuite vers l’arrière.

A peine leur cerveau avait-il enregistré l’information qu’une tête de diable hideuse surgissait derrière le pare-brise pour y ventouser un objet incongru. Même pas le temps d’identifier la tête de Chirac. Une seconde pour détailler la partie supérieure du colis veinée de fils électriques multicolores et une autre pour déchiffrer le message suffirent pour éprouver des doutes cruels sur la résistance de leurs sphincters.

- Mais putain ! Qu’est-ce qu’ils foutent, ces cons ! C’est pas là ! S’étrangla le convoyeur. Puis, se reprenant, il s’adressa à son collègue de l’arrière, authentique honnête homme ; décarre-vite de là et ne fait pas le con, sinon on est atomisés !

Les trois transporteurs sortirent les mains en l’air, les yeux clignotant avec frénésie tant à cause de la poussière que de l’intensité de la lumière du jour ; les vitres blindées et teintées du fourgon faisaient office de filtre UV très efficace. Ils se laissèrent projeter le nez contre la paroi de leur véhicule par les deux hommes à la tête dissimulée sous des masques intégraux en latex ; Chirac et Pasqua.

Pierrot, morfondu pour cause de ce crime à lèse-majesté routière, inondait la cabine de son véhicule à l’aide de l’extincteur pour en interdire les relevés d’empreintes.

Avec une souplesse qui sidéra les agressés tenus en respect par Giscard, le pseudo maire de Paris passa une longue chaîne autour de l’essieu arrière du fourgon pour venir leur entraver poignets et chevilles à l’aide de cadenas.

A peine le dernier transporteur était-il neutralisé que Kiki, affublé de son masque de Giscard d’Estaing, sortait déjà les premiers sacs de jute du fourgon pour les balancer à l’arrière du 3,5t amené par Djé. Djé qui ne chômait pas. Au volant de l’élévateur embarqué amené par Désiré, il contournait le 26 tonnes par l’arrière pour venir soulager le fourgon blindé de la palette de billets qu’il enfourna dans le Mercedes M110 essence de 105cv amené par ses soins.

Sa tâche de brouillage accomplie, Pierrot s’installa au volant du Mercedes pour le replacer dans une position plus propice au départ.

Pendant ce temps, le Martiniquais récupérait la valise pseudo-explosive. Suivant à la lettre la chorégraphie élaborée par Nini, il s’attela ensuite au transfert des sacs restants, ruisselant de sueur sous le masque de latex.

Resté en couverture après le départ de Désiré lesté du dernier sac, Kiki ne put résister au plaisir d’une ultime pique à destination du Pacha.

- C’est qui le chef de convoi ? Aboya-t-il.

Nez Ratatiné leva l’index sans oser décoller la main de la paroi du fourgon.

- Un message pour le grand patron ! Lança le Manouche en lui plantant méchamment le canon de son arme dans la raie des fesses. Il comprendra !... Et s’il comprend pas, tu lui dis que si un post-scriptum est nécessaire, il le recevra poussé bien profond par le salami d’un Massaï !

Tenu à la discrétion à cause du cave à tronche d’alibi faisant partie de leur trio -un bougre blanc-bleu question casier judiciaire et totalement étranger aux combines du Pacha- le convoyeur en chef n’avait d’autre choix que de conserver pour lui les questions qui lui brûlaient les lèvres. Dont la principale ; « Pourquoi ce changement ? ».

Question qui ne tarda pas à obséder aussi le videur en chef du Stardust, embusqué à cinq kilomètres de là, à la tête d’un gang équipé en matériel de guerre, et pourvu de vrai explosif destiné à faire croire à un authentique attentat. Une fois le pognon évacué dans l’un des trois V.W Touran et le convoyeur alibi immolé pour crédibiliser l’attaque impitoyable.

Mais le plus embêtant pour lui était encore à venir, quand lui-même dût fournir une réponse aux flics qui leur tombèrent sur la soie comme une nuée de sauterelles. Amuse-gueule, en quelque sorte, avant d’avoir à s’expliquer sur l'origine des bijoux encore étiquetés d’origine et retrouvés chez lui en masse lors de la perquise, tout comme au Stardust au grand dam du Pacha vociférant, écumant contre la bande de branquignoles qu’on lui avait flanqué dans les pattes.

En attendant, dame fortune en cavale s’offrait une chouette séance de jakusi dans un aquarium à sa mesure, veillée par une légion de truites fario, conduite de main sûre par un Branque authentique et pas peu fier de l’être. Un Pierrot couvé du regard par ses trois complices qui lui filochait le train dans la fidèle B.M.W et une Saab 900 turbo drivée d’un doigt léger par un Kiki euphorique.

La hauteur limitée du trois tonnes cinq piscicole permit au convoi de passer sans le moindre encombre sous les portiques du parking de la gare d’Eura-Lille en direction du niveau le plus bas. Là, pépères, Djé à l’agachon dans la rampe pour avertir de toute intrusion, Kiki transformé en plongeur en apnée perché sur le toit de la camionnette, l’artiche connut un nouveau transvasement. Direction les coffres en matière plastique entassés à l’arrière du 4x4 de Pierrot. Des précautions que quiconque aurait jugé superflues, sauf en cas de contrôle des douanes volantes très actives dans la région, bien entendu ! La chance se nourrit de prudence.

Deux heures plus tard, le temps d’égayer les véhicules relais dans la nature, chacun de nos Branques se retrouvait plus que milliardaire en thunes du règne gaullien. Part du Pape déduite, bien entendu.

Parlant du Pape ! Au moment précis où le braquage se déroulait de l’autre côté de la frontière, notre homme et mézigue rivalisions de vannes à deux balles dans la salle d’attente de la préfecture pour un entretien ayant trait à une demande d’ouverture de boite de nuit. Aucune illusion à se faire avec notre pedigree, mais l’enjeu se situait ailleurs. Nantis d’un ticket numéroté identique, certains de nos complices patientaient dans un service voisin pour l’enregistrement d’une carte grise, tandis que d’autres, égayés dans divers commissariats de l’arrondissement, se livraient à des déclarations de vol ou de disparition d’animaux, comme tout bon citoyen qui se respecte.

Comme toute velléité d’investigations à notre encontre aurait tourné en eau de boudin, chacun fourbissait mentalement ses armes, grillé d’impatience pour le bis-repetita ! En effet, le Pacha ne pouvait faire autrement qu’honorer le transport de substitution… dont mon bien aimé Pape possédait déjà les coordonnées.

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