25 Pan-Pan

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Une chape de plomb s’était abattue sur la villa. Les occupants ronflaient au tempo imposé par le bruyant Pierrot qui, pour rincer la trouille qui lui engluait les méninges, avec usé comme dégraissant d’une pleine bouteille de fine Napoléon. Pour dormir, il dormait !

L’aube pointait à peine son nez, mais allez donc réaliser au premier signe d’alerte que l’heure légale n’était pas sonnée !

En fait, le dérangement se manifesta comme le vol discret et importun d’un diptère en quête de vicieuse succion. Le genre d’effleurement ténu, comme le passage d’un ange, qui vous fait ouvrir les yeux en de charmantes dispositions mais qui, en une fraction de seconde, stigmatise la paranoïa comme un stylet planté dans une fesse grasse.

Kiki jaillit hors du lit l’esprit encore embrumé avant même d’avoir réalisé la nature de la menace qui lui avait flanqué tous les poils du corps au garde-à-vous. Le temps de battre trois fois des yeux, il avait identifié la menace alternant reflets orangés et reflets bleus sur la tapisserie. Il approcha de la fenêtre avec des précautions de Sioux sur le sentier de la guerre et ressentit une contraction du prosinard propre à lui déchausser les dents de sagesse. Il se rua sur Pierrot qui partageait sa chambre pour le secouer comme un prunier. Un gros prunier quand même. Pour surmonter le flot abrutissant des ronflements, il dût pratiquement le piétiner.

- Pierrot !... Pierrot !… La cavalerie est là !… Lève-toi !… Vite !… Vite !

Pierrot obtempéra en chancelant. Le temps de parvenir à la fenêtre, son slip kangourou s’était transformée en éponge dégoulinante tandis que le frisé naturel de sa chevelure s’était muée en rigidité de type G.I ou du genre brosse de chiendent.

- Faut réveiller les autres !... Faut pas qu’ils nous tirent dessus ! Bafouilla le brave Pierrot, pétochant de trouille à l’idée d’une hécatombe.

Kiki décanilla à la vitesse d’un pet fusant sur une toile cirée. Métaphore qui n’avait rien d’exagérée de par la traînée odorante laissée dans son sillage. Secoué sans ménagement, Djé faillit traverser le plafond. Un coup de genou surgi de nulle part explosa le tarbouif du Manouche qui s’en retrouva les fesses sur le parquet, les narines submergées de raisiné.

Debout sur le lit, hagard, prêt à un combat au finish, Djé se passa d’explication pour entraver le tragique de la situation. Les éclairs bleus et orangés qui couraient sur le plafond étaient suffisamment explicites. Il fonça à la fenêtre pour en écarter délicatement le rideau.

- Putain ! C’est souvent que les flics prévoient les pompiers et une ambulance avant une arrestation ?

- Quoi ? S’étrangla Kiki en se relevant, les mains pressées sur le pif.

Le Manouche avança prudent, suivi par un Pierrot qui progressait à pas comptés, les guibolles en parenthèses et le fond du slip empesé.

Aussi aberrant que la chose leur parut, l’ensemble hétéroclite d’intervenants se trouvait en totalité stationnée dans l’allée des voisins. L’apparition d’une civière sur roulettes les fit renouer avec une respiration plus calme. Monsieur Jureliez-Derenoucourt, en costume d’été, se laissait pousser par un pompier dans le sillage du brancard, l’air ahuri.

- C’est la vieille. Elle a dû avaler son dentier ou sa carte vermeille, hasarda Kiki, l’irrespect naturel stimulé par un gigantesque sentiment de soulagement. Le pépé a pas l’air en meilleur état.

- Che s’ro pas à cause de ch’lapin, des fos ? Hasarda Pierrot. ( Ca ne serait pas à cause du lapin, des fois ?)

- Putain ! Le lapin ! J’y pensais même plus soupira Kiki en se frappant le front du plat de la main.

Sur le phénomène déclencheur de leur trouille monumentale, ils durent patienter plus de vingt quatre heures avant d'en obtenir les détails. Tôt levée à cause des modalités de vente de la villa, des préparatifs de départ en cours d’année scolaire qui lui faisaient bouillir le cerveau, et d'autres gracieuseté du genre, Nini s’était résolue à prendre de la hauteur. Perchée sur un escabeau, elle taillait les rosiers grimpants qui servaient de clôture symbolique entre les deux terrasses quand son regard tomba sur ce qu’elle crût d’abord être le fantôme du voisin. Le vieillard hébété semblait flotter dans ses habits. Nini dévala de son escabeau en enchaînant les signes de croix.

- Monsieur Jureliez-Derenoncourt !… Vous nous en avez flanqué une peur !… Et madame, comment se porte-t-elle ?

- Ça va ! Ça va !... Elle se remet tout doucement de ses émotions… Mais je voulais surtout vous remercier pour les fleurs.

- Les fleurs ? S’étrangla Nini, de plus en plus sidérée.

- Ben oui !... Les fleurs que vous avez si gentiment arrosées. C’est bien !... Pas une seule n’a souffert de notre absence… Pauvre Adelaïde ! C’est la première chose dont elle s’était assurée lors de notre arrivée.

- La première ? Repris Nini, de plus en plus ahurie.

- Ben oui…

Le regard du vieillard s’était détaché de celui de Nini pour errer sur la pelouse, méfiant tout à coup. Nini n’osait brusquer ses explications de peur de dire une bêtise, mais son envie de savoir était si forte que son cœur s’était mis à faire du trampoline dans sa cage thoracique.

- C’est si grave que çà ? Hasarda prudemment la prof de philo.

- Imaginez-vous, la pauvre !… Moi je n’avais rien vu, j’ouvrais les bagages… mais elle…

- Elle ? Répéta Nini avec une grande douceur.

- Elle s’était précipitée pour voir l’état de ses fleurs, et c’est là qu’elle est tombée sur le panier de Pan-Pan, acheva-t-il dans un souffle, la gorge nouée.

- Pan-Pan n’y était plus ? Chiqua la rusée, adoptant à son tour la dégoulinante tragique des pièces de théâtre pour se mettre au diapason.

- Ben si, justement ! S’exclama Jureliez brusquement requinqué. Il y était !… Mais tout propre, comme son nœud rose !… D’accord, je l’avais enterré dans une caisse en bois de Nuit Saint Georges bien clouée, mais quand même !… Comment il aurait pu s’en extraire sans se salir ?… Et en étant mort, en plus !… On n’avait pas voulu vous réveiller pour vous occasionner un tel chagrin, mais Pan-Pan a du sentir qu’on partait. Il a du craindre un abandon définitif, sans doute… et il en a fait une crise cardiaque, à tous les coups !… On n'a pas eu le temps d'écrire tout çà sur le mot collé à votre porte, bien sûr !… Mais la mort de Panpan a dû vous créer un choc aussi, n’est-ce pas ? Allégua le vioque en se rapprochant.

Il sembla à Nini que la planète s'était soudain mise à tourner plus vite qu’elle. Elle effectua deux pas chancelant en arrière et tomba assise sur une marche de l’escabeau.

- Pour çà oui !… Et je crois que je ne serai pas la seule ! Marmonna la prof abasourdie.

- Attendez !… Ça n’est pas fini !…

- Pas fini ? S’étrangla Nini… Il est ressuscité ?

L’ancêtre reflua promptement vers ses anciennes marques, le regard dilaté de stupeur.

- Comment le savez-vous ?

Boum ! Fit la tronche de Stéphanie en heurtant les auto-bloquants de la terrasse.

Un maousse verre de Cognac plus tard, Nini eut droit au récapitulatif des épisodes suivants. Toute l’équipe concentrée autour du divan, tant qu’à faire, histoire d’éviter une autre répétition.

En fait, en retrouvant sagement couché dans son panier la dépouille du lapin que son mari avait enterré dans l’urgence en bordure du massif floral, deux heures avant l’arrivée du taxi, la vioque avait ressenti un premier choc cardiaque tout à fait compréhensif. Soutenue par son compagnon des bons et des mauvais jours, preuve que le cerveau était plus solide que le palpitant, à une pincette cruelle pour s’assurer qu’elle était bien éveillée, elle avait préféré se rendre sur les lieux de l’exhumation. Logique !

Ben là, vous parlez d’un autre coup au palpitant ! Deux averses sur le parfait boulot de terrassier de Pierrot avaient définitivement ramené le cimetière clandestin à son état originel. Plus la moindre trace de sépulture !

Le pire restait à venir ! Tandis que la mémé regagnait ses pénates sur ses jambes montées en ressorts, toujours soutenue par son vieux bâton de vieillesse, deux Pan-Pan tout blanc leur avait déboulé entre les cannes à la vitesse d’une fusée pour disparaître au travers des rosiers.

C'est à cet instant que le cœur avait lâché.

Autant que le sérieux de Kiki au récit du vieux, d’ailleurs. A la vitesse où il se précipita vers les toilettes cassé en deux, celui-ci le crut atteint d’un accès de dysenterie foudroyante.

- Dites moi, lança le papy en s’adressant à Désiré attiré par leurs voix. Chez vous, ça se pratique aussi le Vaudou ?

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