よん

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Suite à sa mauvaise fièvre qui avait duré près de cinq jours, Kawamura-dono avait demandé à rester isolé au pavillon rouge. Évitant ainsi les réceptions et les orgies auxquelles participaient tous les concubins, y-compris ses amis. Cela lui convenait parfaitement car ainsi, il pouvait se pencher sur sa passion première, l'écriture.

Depuis petit, il écrivait des haïku, puis commença à inventer des histoires de princes et de princesses, d'amour et de royauté. La seule personne connaissant son secret était sa défunte mère. Sous-couvert de son mari, elle avait fini par donner les rouleaux à une imprimerie, faisant croire que c'était son mari et elle qui les écrivaient. Ils les imprimèrent en plusieurs exemplaires qui se vendirent très bien. Petit à petit, les récits de Kazuma gagnèrent en notoriété et il dût prendre un nom de plume, Mukawara, l'anagramme de son nom de famille.

Suite au décès de sa tendre génitrice, il se mit à créer des histoires plus profonde. Sa rencontre avec son premier amour fit naître aussi des récits d'amour entre hommes. Et c'était ces écrits, qui se vendaient le plus en ce moment.

La seule personne ayant une suspicion de son identité était le serviteur Shohei-dono. Car chaque semaine, depuis l'arrivée du concubin, il amenait les rouleaux à l'imprimerie.

Un matin, après son déjeuner, Kazuma alla à son bureau afin de donner le nouveau rouleau à Shohei-dono. Seulement, celui-ci avait disparu. Pris de stupeur, il demanda au serviteur de l'aider à chercher. Jusqu'à ce que Hokuto-dono entre dans la pièce.

- Que cherches-tu ? demanda-t-il. Tu as l'air bien agité...

- N'as-tu pas vu un rouleau sur mon bureau ?

- Ah si, j'en avais à rapporter à la bibliothèque, j'ai donc pris le tien...

- Oh non... paniqua-t-il.

- Ne l'avais-tu point terminé ?

- Non... En effet ! C'est tout à fait ça ! s'exclama-t-il vivement.

- Je suis désolé ! dit-il avec une moue embarrassée.

- Ce n'est rien, Shohei-dono, venez avec moi, je vous prie...

Au détour d'un couloir, le serviteur se risqua enfin à poser la question.

- Êtes-vous Mu-

- Oui, le coupa-t-il. Mais il ne faut en aucun cas que cela se sache et, surtout que personne n'ait ce rouleau !

- Bien jeune maître, je vais tout faire pour le retrouver.

Le serviteur était fier d'avoir un jeune maître aussi mystérieux et surprenant.

Fouillant les étagères, sièges et bureaux de la bibliothèque, Kazuma ne parvint malheureusement pas à mettre la main dessus. Intrigué par le silence, il s'aperçut que le serviteur n'était plus là. Il continuait ses recherches lorsque Shohei-dono entra à vive allure dans la pièce.

- Je sais où il se trouve et vous n'allez pas du tout apprécier... s'inquiéta-t-il. J'ai peut-être une solution pour que vous puissiez le reprendre...

Ce matin-là, après que le gentil Hokuto ait apporté les rouleaux à la bibliothèque, l'Empereur y entra. Il n'avait plus rien à lire depuis quelques jours. Son grand plaisir, après le sexe, était de lire dans son bain. Certains récits étaient à mourir d'ennui et d'autres, très prenant. Son auteur favori était bien sûr Mukawara-dono, dont le savoir sur les relations entre hommes, était exceptionnel. Lorsqu'il aperçut un nouveau rouleau, la curiosité le prit. Il le déroula et constata qu'il s'agissait du dernier écrit de Mukawara-dono. Satisfait par cette trouvaille, il en emprunta deux autres d'auteurs différents et partit vers ses Appartements. Là, il demanda à ses serviteurs de préparer la salle d'eau et rejoignit sa chambre afin de choisir une tenue propre.

Pendant ce temps, Kazuma entra en catimini dans les Appartements impériaux. Shohei l'attendait côté jardin, sous la fenêtre de la salle d'eau impériale. Il avait entendu par d'autres serviteurs que l'Empereur avait trouvé le dernier rouleau de Mukawara et qu'il s'apprêtait à le lire dans son bain.

Le plan était simple. Kawamura devait trouver le rouleau, car lui seul pouvait le différencier d'un autre. Il le jetterait par la fenêtre et le serviteur s'en irait rapidement l'apporter à l'imprimerie. Puis Kawamura sortirait à son tour par la fenêtre et le tour serait joué.

Tout se passa comme prévu, il jeta le rouleau et le serviteur s'en alla discrètement. Cependant, il se trouva idiot de ne point avoir pensé à la hauteur entre la fenêtre et le sol, mais surtout, aux rochers décorant le parterre de fleurs, au pied du mur. Il devait repartir par l'entrée, n'ayant aucune autre issue.

La panique gagna le concubin au moment où les portes coulissantes s'ouvrirent.

L'Empereur Suzuki arriva, suivit de ses serviteurs et de son Eunuque. Celui-ci lui dictait le programme de la journée.

Il n'était séparé d'eux que par deux paravents. La seule idée qui lui vint, fut de plonger habillé dans le bassin de Sa Majesté et d'y rester en apnée autant qu'il le pourrait. Heureusement, le bassin était suffisamment grand pour accueillir quatre personnes.

L'Empereur demanda à ses serviteurs et son Eunuque de se retirer afin qu'il puisse profiter tranquillement de son bain. Il se dévêtit entre les paravents et entra dans l'eau. Accoudé au bac, il se lança dans la lecture des rouleaux. Il fut étonné de ne pas y trouver le dernier récit de Mukawara. Il haussa les épaules, pensant l'avoir laissé dans sa chambre. Des fleurs de lotus flottait tout autour de lui. L'eau était blanche à cause des huiles parfumées et du lait d'ânesse que le Souverain appréciait tant. Il ne voyait donc pas ses pieds.

Je me suis surestimé on dirait... pensa Kawamura à l'opposer de Sa Majesté. Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps... Quel idiot ! Que faire... Et si je sortais d'un coup et me mettais à courir pour sortir de la salle ?

L'Empereur Suzuki se détendait au moment où une masse noir surgit de l'eau, de l'autre côté du bassin, lui faisant pousser un cri étonnamment aigu. Il reconnu immédiatement son nouveau concubin.

Alors que le-dit concubin s'apprêtait à sortir de l'eau, Miura-dono prévint qu'il entrait malgré les arguments polis de l'Eunuque pour le chasser.

Le Souverain saisit un kimono de bain plié au bord et cacha Kawamura-dono avec, le positionnant entre le rebord et lui. Il rassembla toutes les fleurs de lotus autour de lui afin de masquer la présence de cette personne extrêmement attirante...

- Votre Majtesté ! déclara le concubin en entrant. Vous auriez dû me prévenir que vous alliez prendre votre bain, je serais venu plus tôt pour vous lavez le dos.

Voyant qu'il était sur le point de se déshabiller, le Souverain l'arrêta immédiatement.

- Je souhaitais être seul afin de me reposer un peu Miura-dono... expliqua-t-il calmement. Je me joindrai à vous pour le dîner de ce soir, cela vous convient-il ?

- Oh oui Votre Majesté ! fut-il ravi. Je m'en vais de ce pas, organiser les préparatifs !

- Faites, faites... souffla-t-il.

Il fit signe à l'Eunuque de ne laisser plus personne pénétrer dans la pièce, et surtout pas Miura-dono.

Il n'avait pas choisi ce concubin. C'était d'ailleurs le seul... Miura-dono père était un noble, chef de clan à Edo. Son fils lui ayant toujours dit qu'il était amoureux de l'Empereur, depuis qu'il avait accédé au trône. Miura-dono père avait fait pression de façon à ce que son fils devienne concubin impérial. C'est à contre cœur qu'il l'avait accepté. Il n'aimait pas particulièrement Miura-dono fils. Mais afin d'éviter une guerre de clan, il devait se montrer courtois, car Miura-dono père n'était pas le genre d'homme à se faire refuser quoi que ce soit, même de l'Empereur. Et son fils était en tout point identique...

Il soupira en se retournant vers le trésor attendant derrière lui.

Le kimono toujours sur la tête, statique et silencieux au point de paraître mort, cela fit éclater de rire l'Empereur.

- Je ne vous savais pas si entreprenant et fourbe Kawamura-dono... se moqua-t-il. Vous ai-je tant manqué que cela pendant votre convalescence ?

- Ce n'est pas cela Votre Majesté... bafouilla-t-il rouge de honte, le kimono cachant toujours son visage. Sa Majesté se méprend sur mes intentions...

Le Souverain tendit la main afin de dévoiler le beau visage mais n'en eut pas le temps. Le concubin fit volte face s'enroula dans le kimono de bain et partit sans demander son reste.

L'Empereur rit de toutes ses dents. Son cœur était gonflé de joie. Cet homme était vraiment extraordinaire à ses yeux... Il espérait qu'ils auraient l'occasion de se trouver ensemble dans ce même bassin. Néanmoins, dans d'autres circonstances, beaucoup plus intimes et moins vêtus...

Il rit de nouveau en entendant les exclamations de son Eunuque et ses serviteurs.

Il imaginait Kawamura-dono, courir dans ses Appartements, trempé jusqu'aux os, enroulé dans son kimono de bain. Ses vêtements collants à son corps... Cela lui mit une érection tellement dure, qu'il ne put finir de lire les rouleaux et se soulagea dans l'eau chaude.

Kazuma rentra au pavillon, rouge de honte, surprenant ses amis. Il venait de traverser le Palais et une partie du jardin, sous les regards ébahis de tous. Il avait même entendu quelques fois le rire moqueur de certains confrères qu'il ne connaissait pas.

- Qu'as-tu fait encore ? demanda Makoto-dono choqué.

- Ne posez pas de question, cela vaut mieux pour tout le monde... soupira-t-il en regagnant sa chambre.

Le torse musclé de l'Empereur ne voulait pas quitter son esprit. Il était vraiment bel homme, ce qui confirma pourquoi autant d'hommes avaient voulu devenir concubin. Heureusement pour lui, ses amis étaient suffisamment compréhensif de ne point lui poser de question.

Shohei-dono revint un peu plus tard. L'écrivain lui donna pour mission d'apporter un rouleau dans les Appartements du Souverain afin qu'il ne se doute de rien.

Le soir-même, Miura-dono arriva suivit de plusieurs serviteurs, avec un repas digne d'une réception impérial. Le Souverain soupira et roula discrètement des yeux. La soirée allait être longue... Lorsque tous les serviteurs eurent quitté les lieus, l'Empereur eut l'affreuse vision de Miura-dono, en tenue plus que suggestive. Il avait revêtu un kimono très léger, à tel point que le tissu presque transparent laissait apparaître ses tétons. Les côtés du vêtement était fendu jusqu'à hauteur des hanches. De ce fait, lorsque le concubin faisait un pas de côté, il montrait l'une ou l'autre jambe, blanche et musclée. Le physique de Miura-dono était loin d'être repoussant. Néanmoins, l'Empereur, ne supportant ni son caractère ni sa soif de pouvoir, il le trouvait bien moins attrayant que le reste de ses concubins.

Il se garda bien de faire la moindre réflexion et se décida à se laisser porter doucement par l'ambiance.

Miura-dono fit une danse du sabre très sensuelle pendant que Sa Majesté se délectait des mets. Contrairement à ce que le concubin eut l'orgueil de penser, L'Empereur Suzuki était loin d'être intéressé par ce qui se déroulait sous ses yeux. À la fin de la représentation, il applaudit par courtoisie et le concubin prit cela pour une ouverture. Incitant à le faire boire, le Souverain comprit rapidement le subterfuge de son vis-à-vis. Souhaitant certainement l'enivré pour profiter de lui par la suite.

Piqué à vif par ce manque de convenance, Sa Majesté le lui fit remarquer. Il appela ses serviteurs et son Eunuque pour qu'ils le raccompagnent.

Fâché et persuadé que le nouveau concubin fut la cause de ce rejet, Miura-dono répandit une rumeur à travers tous les pavillons. Kawamura-dono aurait été choisi favori de l'Empereur alors qu'il ne l'avait pas encore touché. Ainsi, il espérait que tous ses confrères se ligueraient contre ce satané concubin, pour lequel il éprouvait une grande jalousie et une forte haine.

La rumeur arrivant aux oreilles du Souverain peu après, celui-ci s'empressa vite de la réfuter. Afin d'apaiser les esprits, il envoya des messagers dans chaque pavillon pour annoncer une fête quelques jours plus tard.

Le lendemain de toute cette agitation, Kawamura se leva d'humeur taciturne. Ses amis le rassurèrent et ils déjeunèrent tranquillement. Ils remarquèrent que leur chien Tsubaki, un adorable petit terrier, adopté quelques mois plus tôt, ne s'était pas levé de son panier. Inquiets, les quatre concubins allèrent le voir.

Le pauvre Tsubaki était allongé et semblait dormir. Cependant, quelque chose intrigua Kazuma. Le ventre ne bougeait pas, indiquant une absence de souffle. Fou d'inquiétude, alors qu'il soulevait sa tête, un liquide noir et rougeâtre s'écoula de la gueule de l'animal.

- Vite Shohei-dono, allez quérir Ikuta-dono ! s'écria Makoto.

- Si je pense à la même chose que vous trois... renifla Hokuto.

- Oui, il a été empoisonné... cracha Kazuma les sourcils froncés.

Shohei arriva à grandes enjambées, suivit du médecin impérial.

Se penchant au dessus du pauvre chien, il l'ausculta rapidement et haussa les sourcils, stupéfait.

- Il a été empoisonné... confirma-t-il tristement. Il semblerait qu'il l'ait ingéré et au vu de la rigidité, cela s'est produit dans la nuit... Vous n'auriez rien pu faire...

- C'est injuste ! sanglota Hokuto. Qui a pu lui faire une chose pareille ?!

- Voulez-vous que j'essaie d'analyser la matière noire qui s'est écoulée ? proposa le médecin. Je pourrais peut-être vous dire avec quoi il a été empoisonné...

- Non, ce ne sera pas nécessaire... répondit Kazuma, atterré. Qu'en pensez-vous, vous autres ? s'adressant à ses amis.

- Tu as raison... souffla Makoto avec amertume. Cela ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie en revanche je souhaite que nous enquêtions...

- Cela va de soit... intervint Itsuki l'air grave, resté silencieux jusqu'alors.

- Dois-je en informer Sa Majesté l'Empereur ? interrogea Ikuta-dono soucieux.

- Mieux vaut éviter que cela s'étende, répondit Makoto. Nous ferons en sorte de découvrir promptement la vérité afin de ne pas inquiéter Sa Majesté.

- Comme il vous plaira, acquiesça le médecin. Permettez-moi de me retirer. L'Empereur s'est levé du mauvais pied ce matin, je dois être auprès de lui, s'inclina-t-il.

Shohei-dono le raccompagna jusqu'à la porte.

- L'humeur de l'Empereur doit être dû à la rumeur d'hier soir Kazuma... conclu Hokuto en séchant ses larmes.

- Cela est la dernière chose à me porter soucis Hokuto, pesta-t-il. Je te prie de m'excuser mais la mort de Tsubaki m'est bien plus intolérable que la mauvaise humeur de l'Empereur...

- Allons l'enterrer derrière la maison, proposa Makoto afin d'apaiser les tensions.

Pendant que Shohei-dono allait chercher une bouture de camélia, derrière le pavillon, Kazuma et Makoto creusaient un trou dans un endroit discret et Itsuki entreprit de tourner et sculpter rapidement une statue en bois représentant un chien assit. Hokuto enroula le pauvre animal dans un tissu précieux de soie brodé de fil d'or. Il le déposa délicatement dans une boite en bois de hêtre. Il entoura le petit corps de fleurs fraîches et referma le couvercle lorsque chacun d'eux lui eut fait ses adieux.  À la fin de la journée, ils enterrèrent leur ami. Kazuma avait écrit un Haïku. Il le lut avec beaucoup d'émotions.

Ami sincère et fidèle

L'hiver venu renaîtra

Camélia*

*Tsubaki en japonais

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