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La grande réception organisée par l'Empereur était extraordinaire. L'Impératrice et ses concubines étaient aussi conviées. Les décorations étaient faites avec goût. Les mets raffinés et les musiciens et musiciennes expérimentés. Les tables avaient été disposées en U. Le couple impérial faisait face à tous, surélevé sur une estrade d'environ un mètre de haut afin de voir tous les sujets de leur Cour. Sur la gauche de l'impératrice se trouvaient toutes ses concubines et servantes. Sur la droite de l'Empereur étaient installés ses sujets, concubins et serviteurs. Tout le monde échangeait avec entrain sur la soirée.

Kazuma avait plaqué un sourire de façade sur son beau visage. Il s'était vêtu de son plus beau kimono pour l'occasion. Le tissu était rouge et noir, tissé de fil d'or. Les pans du kimono brodés de deux dragons, remontaient vers la nuque hâlée, apparaissant grâce au chignon haut et travaillé du concubin. L'Empereur déglutit en apercevant celle-ci, lorsque Kawamura-dono s'était penché pour prendre une tranche de fruit de lotus.

Magnifique... pensa-t-il.

Cependant, le concubin n'avait qu'une seule et unique chose en tête, retrouver le misérable assassin de leur chien. Itsuki aussi veillait au grain, pendant que Makoto et Hokuto s'occupaient de divertir d'autres confrères afin de soutirer des informations. Remplissant régulièrement les petites coupes de porcelaine peintes, de vin délicat et parfumé. Les langues se déliaient beaucoup plus facilement grâce au breuvage. Mais, à leur plus grand malheur, ils ne parvinrent pas à avoir le moindre indice. Cela viendrait en son temps, la soirée venait seulement de débuter.

Le moment fut venu à Hokuto, d'interpréter une danse adorable pour l'Empereur. Ayant pour but de montrer au Souverain, l'amour qu'il lui portait. Les musiciens étaient enchantés de l'accompagner.

Ses mouvements étaient fluides. Il jouait très régulièrement avec les manches de son kimono, le rapetissant et lui donnant un air enfantin. Il fit des petits sauts et quelques imitations du cerisier en fleurs. La musique s'emporta au moment où il fit la danse du dragon, apportant les bonnes nouvelles, la prospérité et la chance à Sa Majesté.

Une fois la danse terminée, tous les spectateurs ébahis applaudirent et acclamèrent le jeune homme. Il rougit de bonheur, s'inclina et retourna à sa place.

Un grand fracas se fit entendre à l'extérieur. Les portes de la pièce furent poussées avec une telle force qu'elles claquèrent violemment contre les murs.

Tous sursautèrent, se demandant ce qu'il se passait. C'est alors que quatre hommes, vêtus de noir de la tête aux pieds, dont le turban noir cachait le visage, entrèrent, un katana à la main.

Daito-dono, en bon Général, hurla de protéger le couple impérial. Les gardes se mirent au centre de la pièce pendant que l'Impératrice et sa Cour étaient évacuées. La plupart des concubins parvinrent aussi à prendre la fuite, pendant que d'autres, saisissaient ce qu'il fallait pour se défendre. Kazuma et Itsuki avaient demandé deux sabres à des soldats. Voyant cela, l'Empereur ne voulait plus partir. Il craignait pour la vie de ses concubins.

- Nous venons chercher Chiba-dono et Sato-dono, déclara un des hommes. Donnez-les nous et il n'y aura pas de problème !

- Que leur voulez-vous ?! vociféra l'Empereur debout derrière sa table.

- Ils doivent beaucoup d'argent à l'homme qui nous a embauchés. Et s'ils ne se rendent pas promptement, ils devront être confronter à une mort certaine !

- Cela fait cinq ans qu'ils sont sous ma protection. Pourquoi maintenant ?! Dites à l'homme de venir lui-même et je paierai pour eux, proposa-t-il en descendant de l'estrade.

- Votre Majesté, vous ne devriez pas rester, s'enquit le Général en pointant d'avantage son katana vers les assaillants.

- Nous sommes payés pour les ramener pas, pour marchander ! hurla un autre.

- Vous ne les aurez pas ! s'écria Sa Majesté en serrant les poings.

- Vous l'aurez voulu !

À ces mots, les quatre hommes attaquèrent. Certains concubins restant, prirent finalement peur, seuls Kazuma et Itsuki gardèrent leur position. Attendant de pouvoir mettre en pratique leurs entraînements.

Un des hommes fut rapidement immobilisé par deux gardes. Un autre se battait avec le Général, le troisième avec un garde et celui qui avait parlé, tentait d'atteindre le Souverain. Daito-dono vint à bout de son ennemi. Il se tourna pour venir en aide à Sa Majesté, seulement, le troisième homme venant de blesser le garde, se jeta sur les concubins prêts à attaquer. Itsuki le repoussa et entendit l'Empereur donner l'ordre de les aider. Voyant son ami se débrouiller, Kazuma se détourna et comprit que Sa Majesté se trouvait dans une mauvaise posture. Il s'interposa au moment où l'homme en noir donna un coup de sabre vers l'Empereur. L'assaillant fut immédiatement immobilisé par le Général et Itsuki. Les deux gardes vinrent à bout du dernier.

Kazuma avait reçu le coup en travers du torse. Son kimono était fendu, laissant apparaître une plaie sanguinolente. Dans les bras de l'Empereur inquiet, il perdit connaissance. La garde emmena les hommes aux cachots au moment où le médecin impérial fut alerté par les cris. Il demanda à ce que Kawamura-dono soit vite emporté au pavillon rouge. Les serviteurs durent faire chauffer de l'eau en cuisine et apporter des linges propres. Itsuki et le Général essayèrent de faire lâcher l'Empereur, en vain. Celui-ci ne voulait pas laisser son concubin à d'autres. Aussitôt, l'Eunuque tenta de l'apaiser. Il lâcha prise et le corps fut emmené au pavillon. Il suivit ses sujets, l'air absent et choqué. Si ce vaillant jeune homme ne s'était pas interposé, c'est lui qui serait dans cet état, à cet instant... Le teint livide, il s'agenouilla au chevet du concubin. Seulement, Ikuta-dono demanda à tous de quitter la chambre, car recoudre une personne n'était pas chose facile à regarder. Tous le comprirent et prirent le Souverain avec eux. S'installant dans le salon, le serviteur apporta de quoi se désaltérer et grignoter. Néanmoins, quelques uns burent un peu mais personne ne mangea. Les estomacs étaient noués et les gorges serrées par l'anxiété.

De l'autre côté des portes coulissantes, les gémissements de Kawamura-dono faisaient beaucoup de peine au médecin. Il lui avait fait boire une infusion de plantes afin de l'apaiser mais elle n'avait pas l'air de faire effet. Il avait épongé le sang avec les tissus trempés dans l'eau bouillante. Il en avait beaucoup perdu, expliquant son état semi-comateux. Aucun organe n'avait été touché et la cage thoracique n'était heureusement pas sectionnée. La plaie était belle, il put la recoudre facilement. Il passa du baume aux plantes afin que cela ne s'infecte pas et surtout pour que la guérison soit plus rapide. Grâce à sa jeunesse, il ne garderait pas longtemps la cicatrice.

Il sortit de la chambre après plus de deux heures. Tous étaient inquiets et fatigués.

- Il est sauf, les rassura-t-il. Il a eu beaucoup de chance. Il lui faudra du repos pendant plusieurs jours. Je conseille à ce qu'il reste alité jusqu'à ce que la plaie soit parfaitement refermée. De toute façon, je reviendrai pour lui retirer les points. Si l'un de vous peut lui appliquer le baume que j'ai laissé sur son bureau, ce serait bien. Au moins le temps qu'il soit inconscient, après, il devra le faire seul.

- C'est entendu, je vous remercie Ikuta-dono, s'inclina Makoto, suivit des deux autres amis.

- Pouvons-nous le voir ? interrogea l'Empereur encore choqué.

- Bien sûr Votre Majesté, je dois me retirer, j'ai deux gardes à soigner, dit-il en s'inclinant.

Tous n'attendirent pas le départ du médecin pour pénétrer dans la chambre. Même l'Eunuque montrait un visage entre le soulagement et la tristesse. Par égard pour ses concubins, l'Empereur les laissa s'approcher en premier. Il observa la chambre. Elle correspondait tout à fait à l'homme allongé dans le lit. Simple et décorée avec goût, sans outre passé une abondance de richesses. Le bureau était en bois de hêtre brut teint et vernis. Quelque chose attira son attention. Malgré le chagrin qui l'accablait, il vit un rouleau, enveloppé dans du papier, dont les signes indiquaient le nom Mukawara. Il toucha doucement le rouleau, un peu heureux de voir qu'ils avaient les mêmes intérêts littéraires. En revanche, ce qui l'intrigua fut l'encre venant de légèrement teintée ses doigts. Elle n'était pas tout à fait sèche. Puis tout à coup il comprit. Il retint une exclamation remontant dans sa gorge. Kawamura-dono et Mukawara-dono étaient une seule et même personne. Les signes replacés dans l'ordre donnait le nom du concubin... La scène de la salle d'eau lui revint en mémoire le faisant pouffer de rire, attirant l'attention sur lui.

- Ce n'est rien... s'excusa-t-il. Pouvez-vous me laisser quelques instants seul avec lui ?

Personne n'en vit le moindre souci, bien que Hokuto ravala un peu de jalousie. Ils sortirent tous, le laissant dans la pièce, où seules, leurs deux respirations brisaient le silence. Il s'agenouilla près du futon et se pencha vers le visage du bel endormi.

- Alors, comme ça petit cachottier, vous êtes Mukawara... murmura-t-il à son oreille. Vous en êtes encore plus attrayant à mes yeux. Et votre dévouement au moment où vous vous êtes interposé, me montre que vous tenez un petit peu à moi, tout de même...

Il fit une pause, retenant un sanglot.

- Alors je vous en prie, reprit-il sur le même ton. Kawamura-dono, recouvrez la santé... Je n'ai qu'une prière, aimez-moi, je vous en prie. Je veux rire avec vous, faire l'amour, lire, manger et vieillir avec vous... Je pense que vous ne vous rendez pas compte, à quel point vous avez emprisonné mon cœur... La vie n'aurait plus de goût ni de couleur sans vous. Guérissez vite que je puisse de nouveau vous punir lorsque vous êtes maladroit. Que je puisse enfin passer une nuit en votre charmante compagnie... Ô Kamisama, je vous aime... Oui, par tous les Dieux, je suis amoureux de vous... finit-il en étouffant un nouveau sanglot.

Une larme rebelle s'échappa et alla s'échouer sur la joue lisse et pâle du concubin. L'Empereur se détourna, reprit ses esprits avant de sortir et quitta le pavillon rouge suivit de l'Eunuque.

Sa nuit fut très agitée par des cauchemars où il perdait son Amour. Il se réveilla à plusieurs reprises, en larmes et en sueur.

Le lendemain matin, suite à l'agitation de la soirée, l'Eunuque eut pour devoir de passer dans chaque pavillon afin de délivrer le message de l'Empereur. Tous les concubins et les serviteurs devaient rester confinés à l'abri du Palais et ce, jusqu'à ce que le commanditaire de l'attaque soit retrouvé et arrêté. Deux gardes étaient postés à l'entrée du pavillon bleu afin de protéger Chiba-dono et Sato-dono. Ce fut la première fois, depuis très longtemps, que les lourdes portes en bois massif du Palais de Kyoto, furent fermées et verrouillées.

Les habitants du pavillon rouge étaient tous très occupés. Hokuto-dono et Shohei-dono prenaient soin de Kazuma qui n'avait toujours pas repris connaissance. La fièvre était montée pendant la nuit et restait constante. L'un s'occupait de lui faire la toilette et soigner sa plaie pendant que l'autre le forçait à boire des infusions.

De l'autre côté de la demeure, Itsuki-dono et Makoto-dono, continuaient à enquêter sur la mystérieuse mort de leur chien. L'attaque des quatre hommes les avait malheureusement empêchés de trouver des preuves. Aussi, ils mirent en place un plan, visant à parler avec chaque concubin et chaque serviteur. Peut-être auraient-ils d'infimes détails, leur révélant la vérité ?

Deux jours plus tard, Kazuma-dono ouvrit les yeux. Il n'avait plus de fièvre mais son torse le faisait atrocement souffrir. Autour de lui se trouvaient des monticules de boites de différentes tailles et de rouleaux entourés de tissus décoratifs. Que s'était-il passé ici ?

- Oh jeune maître, vous voilà de retour parmi nous ! s'exclama le serviteur soulagé.

- C-combien de temps ai-je dormi ? bafouilla-t-il, réalisant que sa bouche était extrêmement sèche.

- Deux jours depuis l'attaque... soupira-t-il. Mais ne vous inquiétez pas, vous n'avez rien manqué. Fujiwara-dono et Hasegawa-dono enquête toujours sur la mort de Tsubaki, quant à Yoshiro-dono, il a prit soin de vous et il vous apporte chaque jour les présents de l'Empereur, non sans cacher sa jalousie ! sourit-il.

- Il me semblait avoir entendu deux voix ! déclara Hokuto en ouvrant la porte. Venez ! Il est réveillé ! appela-t-il.

Aussitôt, deux jeunes hommes échelés et les yeux brillants accoururent dans la chambre. Ils serrèrent tous les mains de leur ami et les retrouvailles se firent dans la joie et les rires.

En revanche, le sourire du blessé se fana lorsqu'il considéra tous les cadeaux de l'Empereur.

- Comprends-le... soupira Makoto dépassé par son comportement. Tu lui as sans doute sauvé la vie en t'interposant et il n'a pas encore réussi à te séduire... Je pense que toutes ses marques d'affection sont sincères, et qu'il t'apprécie beaucoup.

- Oui, sans doute... Mais je ne le souhaite en aucun cas... souffla Kazuma gêné. Alors prenez tout ce qui vous plait, toi y-compris Shohei.

- Merci jeune maître ! s'inclina-t-il reconnaissant.

- Chouette, j'avais repéré ça ! s'exclama Hokuto en saisissant une magnifique parure en argent.

- Puis-je prendre l'un des deux katana ? demanda Itsuki embarrassé.

- Oui bien sûr mon ami, tout ce que vous voulez, accorda Kazuma.

Seul Makoto paraissait incommodé par l'attitude de son ami et refusa de prendre quoi que ce soit.

Lorsqu'il fut de nouveau seul avec son serviteur, Kazuma-dono lui somma de rapporter tous les présents restant à Sa Majesté. Shohei-dono déglutit, craignant de finir sans tête s'il le faisait... Son jeune maître le rassura et le prévint que si l'Empereur avait un quelconque reproche à faire, qu'il vienne le lui faire en personne.

L'Empereur Suzuki était au bout du rouleau. Non seulement le Général et sa garde ne parvenaient pas à mettre la main sur le commanditaire de l'attaque, mais en plus, voilà que le serviteur du pavillon rouge revenait chargé des présents qu'il avait fait à son concubin.

Le message plus qu'impertinent le mit dans une colère noire. Il quitta son bureau prestement, Shohei-dono et l'Eunuque sur les talons.

- Comment cela, vous ne souhaitez pas recevoir mes cadeaux ! hurla-t-il en pénétrant dans la chambre avec la force d'un typhon.

- Votre Majesté, je vous souhaite également le bonjour, répondit-il calmement.

Tous en furent complètement éberlués. Personne n'avait jamais oser s'adresser ainsi à Sa Majesté.

- Répondez à la question, avant que je n'appelle Ikuta-dono pour qu'il vous couse la bouche aussi bien que votre plaie ! ragea-t-il.

- Il me semble que nous en avions déjà parlé Votre Majesté... soupira Kazuma excédé. Je refuse vos bonnes grâces car je ne veux, en aucun cas, que vous m'appréciez ou me favorisiez par rapport à d'autres qui le méritent davantage. Je vous rappelle aussi que je souhaite partir d'ici dès que possible...

Fou de colère, le Souverain quitta la pièce. Et s'enferma dans ses Appartements la mort dans l'âme.

Sans le savoir, Kawamura-dono venait de le blesser plus profondément qu'il ne l'imaginait. Il avait, certes, refusé les quelques présents de remerciements, n'étant qu'un détail à ses yeux. Mais surtout, l'amour qu'il souhaitait lui donner avait été traîné dans la boue et balayé d'un coup de vent. C'était cela qui le faisait le plus souffrir et l'attristait énormément.

Il s'allongea dans son immense lit, vide et froid. Malgré le soleil encore haut dans le ciel, il s'endormit, épuisé par tant d'émotions.

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