6.1.2 Nouveaux talents

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Ce samedi matin, je ne parviens pas à faire la grasse mat. J'ai rêvé toute la nuit de mon vol à dos de dragon. Je ressens encore l'adrénaline dans mes veines et cette incroyable sensation de liberté. Mes oreilles sifflent toujours du vent violent. Ma tête fredonne une douce berceuse. Si Horace n'avait pas gardé la corde qui m'entravait, j'aurais l'impression d'avoir fantasmé sur cela.

Comme d'habitude, quand je veux être seul, je me rends au lac, dans sa partie peu fréquentée, à l'extrême opposé du château. Je trottine joyeusement, le cœur léger. Arrivée à destination, je grignote mon frugal petit déjeuner et offre les trognons de pommes aux quelques petits poissons qui affleurent à la surface de l'eau.

Je décide de travailler ma magie de l'eau. Je ferme les yeux et me concentre sur l'élément liquide. Je parviens de plus en plus facilement à reproduire les mouvements et formes que m'a appris Maeve en première année. J'en ai inventé de nouvelles.

Je galère encore un peu à multiplier l'eau ou à la faire changer d'état. Mes bulles grossissent très doucement, mais je suis sur la bonne voie. L'eau se réchauffe ou elle se rafraîchit, le stade gazeux ou glace est très loin. Les changements de température me fatiguent pas mal et souvent après m'être entraîné sur ce point, j'ai besoin de manger ou de dormir.

C'est étrange, j'ai l'impression parfois que je maîtrise mieux cet élément quand j'arrête de réfléchir et que je le fais à l'instinct, comme lors de mes disputes/duels avec Maeve. Comme si c'était plus automatique, plus inné.

Quelques créatures aquatiques viennent me voir en restant à bonne distance. Les quelques vaguelettes que je forme ne les dérangent guère. Je crois plutôt que cela les étonne de voir un sorcier faire bouger de l'eau. Ou bien, ils se moquent de moi et de mes piètres talents plus ou moins discrètement.

Un, ou bien une, jeune selkie semble être fan. À chaque fois que je viens au bord du lac, je l'aperçois. Parfois, quand je fais des formes, l'animal reproduit mes créations et m'en montre d'autres que je tente de réaliser. Une sorte de dialogue par image.

Quand la créature est triste, j'ai droit à un visage grognon. S'il ou elle est en colère ou a peur, le visage montre les dents. Au contraire, si je les amuse, j'ai droit à une silhouette humaine qui se roule par terre en se tenant les côtes. Si c'est le visage de Maeve qui apparaît, c'est qu'elle arrive dans les prochaines minutes. Les créatures la perçoivent bien avant moi.

Grâce à ma petite groupie, je progresse doucement, mais sûrement. Ce matin, espérant la voir, j'ai amené des biscuits et quelques gros insectes morts. La selkie, puisque j'ai le secret espoir que c'est une femelle, raffole de cette nourriture.

Il ne faut pas longtemps d'ailleurs après le début de mon entraînement pour la voir rappliquer. C'est la créature qui ose s'approchait le plus de moi, venant parfois si près que son corps n'est plus immergé qu'à moitié. Je ne prends jamais le risque de rentrer dans l'eau et quand parfois elle va trop loin et se coince, j'utilise mes pouvoirs sur l'eau ou la lévitation pour la secourir.

Ce matin, je m'exerce à faire un dragon et d'autres créatures de l'air. Soudain, un autre selkie, plus grand s'approche lui aussi. Je suppose que c'est son père ou sa mère. La créature adulte m'observe quelques instants puis dans ce qui semble être un sourire, forme une immense statue de glace taille réelle de moi et Maeve sur le dos de notre dragon. Comment ils ont pu voir cela ?

En tout cas, ma groupie semble se vexer et part en ronchonnant et en m'éclaboussant dans un mouvement de queue rageur. L'adulte semble avoir un fou rire et a un geste d'excuses. Ils disparaissent tous deux dans les profondeurs.

J'ai soudain envie de travailler mon contrôle de l'air. M'éloignant un peu de la rive, je tente de soulever des feuilles qui, à ma grande surprise, réagissent aussitôt. La petite brise habituelle devient une bourrasque qui fait s'envoler feuilles et petites branches.

Fier de mon petit succès, je m'amuse à faire apparaître un petit radeau de bois sur le lac avec une feuille pour voile. Doucement, je m'éclate à le faire surfer sur l'eau et à le diriger via les souffles que je crée. Je ressens la masse d'air, elle m'apparaît soudain très clairement. Le fluide gazeux qui m'entoure est presque palpable.

Comme sur le dos du dragon, je sens sa force et son bruit. Un oiseau chante dans le ciel, je suis comme projeté dans son corps, sentant de mes plumes l'air me soulever. Je suis hors de mon corps. Je me vois en dessous. Je suis l'oiseau. Je vole et tourbillonne.

Mon cœur se met à battre à tout rompre, excité et terrorisé. Je halète, essoufflé, et me pose rapidement près de mon enveloppe humaine. Je me sens rentrer de nouveau en moi puis je m'évanouis de fatigue en voyant l'oiseau picorer du pain dans ma main.

Ce sont ses petits coups de becs qui m'irritent la paume de la main qui me réveillent. Je regarde ma montre. J'ai perdu connaissance au moins un quart d'heure. Je suis exténué et affamé. Je fouille ma besace et englouti le paquet de bonbons et la brioche, ce qui calme les vertiges.

Je reste tranquille plusieurs minutes, à reprendre mon souffle, comme après trois heures de course effrénée. J'essaye de comprendre ce qui m'est arrivé. Cela me file une migraine atroce. C'est impossible et illogique. On ne peut pas prendre possession d'un corps ainsi. Pourtant, l'oiseau semble aussi affamé et vidé que moi. Et le fait qu'il soit dans ma main sans aucune peur confirme qu'on a eu un lien.

Je suis perplexe et un brin inquiet. J'ai eu de la chance que personne ne passe à ce moment-là. Le coin n'est fréquenté régulièrement que par Maeve ou Jamie, toutefois, on ne sait jamais ce qui peut se passer.

Reprenant enfin mes esprits, je m'aperçois que ma petite selkie préférée est revenue et m'a fait un dôme de glace pour m'abriter des regards. Elle m'a en quelque sorte protégé. Je lui fais un grand sourire charmeur et la remercie en lui envoyant tous les biscuits de ma besace.

Une idée folle me traverse alors l'esprit. Je repense aux dragons et à cette flamme qui sortait de ma paume. Bien sûr que c'était Maeve qui contrôlait. J'ai soudain envie de faire du feu. De me tester sur cette capacité. Il faut d'abord que je me calme alors je ferme les yeux et inspire calmement. Je médite et me concentre.

Je regarde ma paume et tente de rassembler mes souvenirs et mes émotions au contact des dragons et de Maeve. Je me rappelle la douceur de sa main sur la mienne, sa si petite main toute chaude, son parfum de fleur.

Une minuscule flamme apparaît au centre de ma main. Haute de quelques centimètres tout au plus. Je ne me brûle pas. J'ai juste un peu chaud et ma main rougit, je ne ressens aucune douleur. Je suis juste fasciné par la danse de ce feu miniature. Puis je m'évanouis de nouveau.

Je me réveille en milieu d'après-midi dans mon lit, mes chaussures au pied du lit, ma cravate et ma cape sur la chaise et une impressionnante quantité de gâteaux et de pommes sur la table de nuit. Horace, qui lit à côté de moi, me dit bonjour. Je lui demande si c'est lui qui m'a ramené et il me raconte que j'étais déjà là et dans cette position quand la chambrée s'est réveillé. Il a été le premier à se réveiller.

Jamie et Benoît, ainsi que tous les gars dormaient profondément comme à leur habitude. Horace a été voir immédiatement chez les filles et elles aussi dormaient profondément. Toutefois, Maeve avait une feuille dans les cheveux et sa peau était fraîche. Mais elle dormait bel et bien d'un sommeil lourd et sans cauchemar.

Je dépose un mot sur l'oreiller de Maeve pour lui demander si c'est elle et la remercier si c'est le cas. Je n'obtiens aucune réponse. C'est décidé, ce soir, quand les autres dormiront, je retente le coup. Je vais voir si je peux attiser le foyer de notre cheminée.

Cours de botanique aujourd'hui. Je n'aime pas ce cours. Je n'ai pas franchement la main verte. Nous nous rendons dans la serre. Il faut rempoter un machin truc mordeur. J'ai mal dormi. Je suis tracassé par de mauvaises nouvelles. Papa aurait été vu en compagnie de mangemorts identifiés près de notre ancien domicile.

J'ai du mal à me concentrer sur mes cours. Je ne regarde pas vraiment ce que je fais. La plante mord et griffe. Comme je suis distrait, ma main se retrouve coincée dans un de ses becs de perroquet. Je me mets à crier et à insulter le végétal agressif.

Ça fait un mal de chien. Ma douleur s'exprime dans un vocabulaire pas très poli. Je fais rire mes camarades. Le professeur intervient pour me libérer et me gronde pour ma distraction. Je vois plusieurs camarades se réjouir que ce ne soient pas eux qui subissent le courroux de l'être chlorophyllien. Je ronchonne.

Je donne plusieurs coups de petite pelle rageur dans la terre de la plante, qui se venge en essayant de me mordre à plusieurs reprises. Un combat becs de perroquet et petite pelle s'engage. Nous finissons par faire tellement de bruit que je risque d'attirer encore le professeur. Cette fois, je risque l'heure de colle, peu importe, je me défoule sur cette saleté de machin verdâtre.

Le machin truc se calme d'un coup. Quelqu'un lui a lancé des croquettes de bouffe et tandis qu'il mâchouille, il arrête de m'attaquer. J'en profite pour jeter le restant de la terre et finir le rempotage. J'en ai enfin fini avec cet être vindicatif.

Le cours se finit à mon grand soulagement. Maeve a parfaitement rempoté son bidule. Le professeur la félicite et discute avec elle de la technique d'apaisement qu'elle a utilisé pour calmer la plante.

Le professeur ne la connaît pas et veut savoir le secret, la technique de Maeve étant bien plus efficace que celle du professeur, la plante de Maeve n'ayant pas émis de bruit durant l'opération. Maeve refuse d'avouer son truc, toutefois, moi, j'ai trouvé la solution.

- Normal, elles ont le même caractère de chiotte toutes les deux cette sale plante et elle, dis-je dans ma barbe à destination de moi-même.

Je me dirige vers la grande salle pour le repas en traînant des pieds. Je suis bon dernier. Je shoote dans les rares cailloux pour passer ma colère. Je tripote ma main bandée avec mon mouchoir qui me fait encore souffrir atrocement.

Je songe à cramer la serre en représailles ou alors d'arroser l'attaquante avec du désherbant. Mes puérils plans de vengeance me font m'attarder et marcher au ralenti. J'entends au loin des bruits de pas précipités. Le professeur l'ayant séquestré, Maeve arrive en courant pour le repas.

Devant la salle, avant que nous ne rentrions, elle me prend la main sans me demander mon avis. Je la laisse faire, intrigué. Elle retire mon morceau de tissu ensanglantée et passe son doigt sur la blessure. Une douce chaleur se produit au niveau de son index et une lumière douce de ton lavande se forme entre ma peau et la sienne. Caressant ma chair meurtrie, l'index de Maeve fait cicatriser les tissus instantanément et la douleur disparaît.

- Le même caractère de chiotte que toi aussi Majesté. Me dit elle en riant et en me faisant une bise sur la joue.

Maeve rentre dans la salle en me laissant éberlué. Je mets au moins trente secondes à rentrer et à aller m'asseoir à ma place. Je regarde ma main durant tout le repas. J'ai rêvé. C'est impossible. Ce pouvoir n'existe pas.

Je mange mécaniquement en essayant de rassembler mes esprits. Je n'ai aucune cicatrice, aucune douleur. Je connais des baumes qui guérissent, mais pas aussi rapidement et une trace persiste.

Maeve a t'elle un nouveau pouvoir ? Pourquoi a t'elle fait ça? Et comment a t'elle entendue mon ronchonnage ? Ca y est. J'ai de nouveau mal à la tête.

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