Scène 1

4 minutes de lecture

La scène est sombre, il fait nuit. Elle est occupée par le décor simple et basique d’un petit appartement, avec une porte donnant sur le palier et une fenêtre donnant sur l’extérieur. Un ordinateur se trouve sur un bureau, deux canapés entourent une table basse où de la nourriture est posée, un coin est aménagé en cuisine. Thomas est en train d’ajuster sa cravate dans un miroir alors qu’Alice fume une cigarette, en sous-vêtement, devant la fenêtre.

ALICE

On n’est pas obligé de le faire, tu sais.

THOMAS

Non, c’est vrai.

ALICE

Alors…

THOMAS

Alors ?

ALICE

Alors pourquoi est-ce qu’on le fait ?

THOMAS en soupirant

Il ne faut pas se poser autant de question. Tu fumes, mais tu n’as pas un tempérament de fumeuse. Regarde cette soirée comme une cigarette : à peine consommée, à peine oubliée.

ALICE

Et à peine remplacée ?

THOMAS

Ca, c’est à toi d’en décider.

Silence.

ALICE

Et qui est-ce qui a eu cette idée ?

THOMAS

Adrien je crois.

ALICE

Tu crois ?

THOMAS

Oui, je ne m’en rappelle plus vraiment.

ALICE

Ce sont tes amis, pas les miens.

THOMAS

Ça part d’une volonté commune, j’imagine.

ALICE

Tu n’as pas l’air très sûr de toi.

Silence.

J’ai du mal à comprendre. C’est une expérience ? Une mise en scène malsaine pour vous donner l’impression de faire quelque chose d’interdit ? Un pied sur le bord du mur, l’autre dans le vide, juste pour goûter le risque de tout laisser tomber ?

THOMAS

Il n’y a rien de malsain, Alice.

ALICE

Alors pourquoi est-ce que tout parait si propre ? S’il n’y avait rien à cacher derrière cette affaire, pourquoi est-ce que tu as mis un costard, ciré tes chaussures, coiffé tes cheveux ? Tu es bien habillé pour une orgie.

THOMAS

Il ne va certainement rien se passer. Tu sais bien comment nous sommes : nous crions plus que nous n’attaquons. C’est une idée farfelue, un caprice qui nous est passé par la tête, rien de plus.

ALICE

Tu en parles comme si c’était une blague de mauvais goût.

Thomas s’approche d’Alice et la prend dans ses bras.

THOMAS

Allons, pourquoi es-tu si effrayée ?

ALICE

Parce que tu ne l’es pas.

THOMAS

Il n’y a aucune raison de l’être.

Silence.

Je t’aime, cela suffit amplement à me rassurer.

ALICE

Pas moi.

THOMAS

Il ne s’agit que de sexe et d’amitié, rien de plus. Nous sommes bien plus forts que ça.

ALICE

Je sens la tempête arriver, Thomas. Elle balade son regard sur notre peau nue, rase tout sur son passage : sensibilité, émotion, empathie. C’est la sauvagerie qui nous attend.

THOMAS

Tu devrais dormir, je te réveillerais lorsque tout le monde sera là.

ALICE

Le cannibalisme.

THOMAS

Vraiment, va t’allonger. Tes nouveaux médicaments ont un trop grand effet.

ALICE

Si ces médicaments faisaient vraiment effet, je n’aurais plus mal au crâne.

Silence

Et je n’ai aucune envie de dormir, surtout si c’est pour me réveiller au milieu de corps déshabillés.

THOMAS

Thomas : Bon.

Thomas retourne ajuster sa tenue dans le miroir.

Et tu ne t’habilles pas ?

ALICE

Pour une orgie ? A quoi bon ?

THOMAS

Tu vas attraper froid.

ALICE

C’est vrai qu’il fait froid.

Silence.

Mais ça fait du bien. Le monde bouillonne sans arrêt, il ne sait pas assez profiter de ce que la nuit peut lui offrir. On court dans tous les sens, on s’agite au moindre rayon de soleil, on baise surtout, alors qu’on devrait juste rester fumer devant une fenêtre ouverte en se disant que putain, le froid, c’est bien aussi.

THOMAS rieur

Je ne savais pas que la drogue te rendait aussi intelligente.

Silence.

Il faut que j’aille chercher à manger.

ALICE

Et de l’alcool ?

THOMAS

Ca, on en a assez.

ALICE

On n’en a jamais assez.

THOMAS

Je te rappelle que tu es sous médicament, tu ne devras pas trop boire ce soir.

ALICE

Des foutus médicaments qui ne marchent pas.

Silence.

THOMAS

Je vais prendre des pizzas, qu’en penses-tu ?

ALICE

J’en pense que c’est vulgaire.

THOMAS

La pizza est vulgaire ?

ALICE

Seulement lorsqu’on en mange entre deux orgasmes.

THOMAS

J’ai du mal à te suivre.

ALICE

Franchement, l’idée de coucher avec tes potes toute la nuit me parait déjà assez sale, tu pourrais au moins essayer de rendre l’évènement plus attractif. Pour l’instant, j’ai juste l’impression qu’on va regarder un match de foot en rotant toute notre bière sur la télévision.

THOMAS

J’ai fait des efforts, Alice ! J’ai acheté du champagne !

ALICE

Et moi qui espérais pouvoir me saouler !

THOMAS

Donc je prends des pizzas ou non, à la fin ?

ALICE

C’est ta soirée, tu fais ce que tu veux. Tant que tu n’en prends pas aux champignons.

THOMAS en s'habillant pour sortir

Je ne serais pas long, tu devrais mettre de la musique et de l’encens.

ALICE

C’est une partouze, chéri, pas la messe.

THOMAS

Si quelqu’un arrive, n’oublie pas de prévenir que l’ascenseur est en panne. Il y a une bouteille de champagne au frais.

Thomas s’approche de la porte.

Tu veux que j’en profite pour te rapporter quelque chose ?

ALICE

De l’estime ?

THOMAS en soupirant

Je t’aime, à tout à l’heure.

Thomas sort et la lumière baisse davantage.

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