Scene 2
De la musique résonne et la luciole d’un bâton d’encens scintille. Alice se rallume une cigarette et danse dans l’appartement. Elle coupe la musique quand l’interphone sonne et se fige. Elle hésite un instant, s’approche doucement de l’appareil puis le décroche. La lumière revient petit à petit.
ALICE
Oui ? Oui, le sexe, c’est ici ce soir. Sixième étage, à droite.
Elle raccroche et retourne fumer à la fenêtre. On frappe à la porte.
C’est ouvert.
Laurine entre vivement, de bonne humeur. Elle est bien habillée et a une bouteille à la main.
LAURINE
T’aurais pu me dire que l’ascenseur était en panne, je l’ai attendu des plombes.
ALICE
Oui, moi aussi je suis contente de te voir Laurine, ça fait longtemps.
LAURINE
Oh oui, désolée, je suis impolie. Tu vas bien ?
ALICE
Ça va.
LAURINE
Ça fait combien de temps déjà ? Trois, quatre mois ? Avec la fac, mes projets, la famille, je perds un peu la notion du temps, tu sais. Il fait super froid dehors, comment peux-tu laisser cette fenêtre ouverte ?
ALICE
Ça me fait du bien.
LAURINE
J’ai apporté une bouteille de vin, j’en ai deux autres dans mon sac. Je pense qu’on en aura besoin. Où veux-tu que je les mette ?
ALICE
Il fait tellement chaud. De l’air frais, c’est tout ce que je demande.
LAURINE déroutée
Bon, très bien, je les mets dans le réfrigérateur j’imagine.
Laurine va poser les bouteilles dans la cuisine et revient.
Il n’y a personne, comment ça se fait ? On avait dit vingt-et-une heures pourtant !
ALICE
Il est vingt heure trente, Laurine.
LAURINE
J’aime prendre de l’avance.
ALICE
Apparemment, tu as aussi pris de l’avance sur l’alcool, non ?
LAURINE
J’ai plutôt l’impression que c’est l’alcool qui a pris de l’avance sur moi.
ALICE
Tu veux qu’on ouvre une bouteille ?
LAURINE
Ca ne serait pas raisonnable.
ALICE
Le tire-bouchon est sur la table.
LAURINE
Rouge ou blanc ?
ALICE
Celui qui ne donne pas mal au crâne.
Laurine va chercher une bouteille de vin et commence à l’ouvrir.
LAURINE
Je suis tellement heureuse de tous vous voir ce soir, j’ai vraiment besoin de soirée comme ça. J’ai tellement de choses à faire en ce moment, j’ai besoin de me détendre. Les études de médecine, c’était franchement pas une bonne idée, je ne peux même plus voir mes amis ! Et toi ? Tu fais quoi maintenant ?
ALICE
Un an.
LAURINE
Pardon ?
ALICE
Ça fait un an que l’on ne s’est pas vu.
LAURINE
Vraiment ? Autant ? C’est fou !
ALICE
C’était pour l’anniversaire de Valentin.
LAURINE
Oh oui, exact ! Mais où étais-tu passé pendant un an ?
ALICE
J’étais sur la lune.
LAURINE décontenancée
Tu as besoin d’un verre, on dirait.
Laurine commence à servir deux verres de vin.
ALICE
Non, je vais attendre un peu, mais ne te prives pas.
LAURINE
Quoi ? Tu vas me laisser boire toute seule ?
ALICE
Tu as l’air d’avoir l’habitude.
LAURINE
Pas faux.
Laurine se sert un verre.
LAURINE
Je peux te poser une question ?
ALICE
Oui ?
LAURINE
Pourquoi est-ce que t’es à poil ?
ALICE
Tu devrais plutôt te demander pourquoi t’es toujours habillée.
LAURINE
Parce la soirée ne commence qu’à vingt-et-une heure.
ALICE
Donc ça ne te pose aucun problème ?
LAURINE
De quoi ?
ALICE
Cette idée d’orgie.
LAURINE
Non, sinon je ne serais pas là.
ALICE
Tu es effroyablement logique.
Silence.
LAURINE
Et toi ?
ALICE
Moi, ça me terrifie.
LAURINE
Vraiment ? Pourquoi ?
ALICE
Parce que je sais que je n’en sortirais pas indemne.
LAURINE
T’es sûre que tu ne veux pas boire ?
ALICE
Thomas fait des études en psychologie, il sait comment aborder ce genre de crise dans une vie. Et puis, il est amoureux, ça le sauve.
LAURINE
Pas besoin d’être psychologue pour prendre son pied, tu sais. Je dirais même que plus tu réfléchis, moins tu jouis. Freud devait être un amant pitoyable si tu ne ressemblais pas à sa mère.
ALICE
Alors il ne s’agit que d’orgasme ?
LAURINE
De quoi s’agirait-il d’autre ?
ALICE
Thomas a l’air de prendre ça comme une étude sociale ou comme un test entre amis.
LAURINE
Hypocrite !
ALICE
Non, je ne pense pas.
Silence, Alice prend le temps de fumer.
En fait, je crois qu’il est juste chiant.
LAURINE
Vraiment ?
ALICE
Oui, vraiment. Il trouve que je réfléchis trop, alors que c’est lui le rationaliste. C’est pour ça qu’il n’a pas peur de cette soirée, il ne ressent rien. Il ne fait qu’observer, formuler des hypothèses, tirer des conclusions, mais aucune passion, aucune émotion, seulement le froid.
LAURINE
Je croyais que le froid te faisait du bien.
ALICE
Seulement lorsqu’il vient de l’extérieur.
Silence.
LAURINE
Mais qu’est-ce que tu fais là, alors ?
ALICE
Pardon ?
LAURINE
Je veux dire, tu n’as pas l’air très emballée par ce genre de plan, alors pourquoi tu restes ?
ALICE
Oh. C’est juste. Elle marque un silence. J’imagine que je suis curieuse, que j’ai envie de voir jusqu’où vous pouvez aller… Enfin, tu dois comprendre ce que je veux dire, être là comme témoin, simple spectatrice, c’est tout…
LAURINE
Ouai, en gros, t’en as envie quoi…
ALICE
Quoi ? Non ! Je suis tétanisée !
LAURINE
Oui, tétanisée à l’idée d’avoir du plaisir ! Tu en as envie mais tu sais qu’une fois cette nuit passée, tout aura changé. Et ça, ce grand chamboulement, ça fait peur, n’est-ce pas ?
ALICE
Bon, d’accord, je n’aurais pas dû te proposer à boire.
LAURINE
Mais calme toi chérie, il n’y a rien de mal à vouloir jouir. Nous désirons, nous nous soulageons, pourquoi tout compliquer lorsque notre fonctionnement est si simple ? Libère tes ovaires, un peu.
ALICE
Libère tes ovaires ? Sérieusement ?
LAURINE
Ecoute, le sexe, ce n’est pas sensé t’effrayer Alice. Regarde, moi, il y a deux jours…
ALICE
Laurine, je n’ai pas besoin de tout savoir.
LAURINE
Vu où on en est…
ALICE
Oui, mais il n’est pas encore vingt-et-une heure.
LAURINE
Oh, avant qu’ils n’arrivent tous, tu n’aurais rien contre les maux de ventre ?
ALICE
Non, désolée, je n’ai pas accès à l’armoire à pharmacie.
LAURINE
Ça doit être ce temps étouffant, j’ai des nausées.
ALICE
Faudra faire attention en pleine fellation.
LAURINE rieuse
T’es dégueulasse.
Silence.
Et du coup, tu vas rester comme ça toute la soirée ?
ALICE
Comment ça comme ça ?
LAURINE
Habillée comme ça je veux dire.
ALICE
Mais qu’est-ce que c’est que cette obsession pour ma tenue ? C’est une partouze, pas un vernissage !
LAURINE
Non, ce n’est pas une partouze, c’est une orgie, Alice. C’est pas pareil.
ALICE
Oh oui, c’est vrai, partouze, c’est trop agressif. Le P, le T, et puis le zozotement qui vient, ça sonne comme une décharge électrique. Alors qu’orgie, tout de suite, ça donne plus envie. C’est plus court, plus léger, plus rond, plus distingué.
LAURINE
Et bien oui. Tu as raison. Orgie, c’est plus joli que partouze.
ALICE
Oui, comme guillotine est plus joli que décapitation. Mais à la fin, t’es mort quand même.
LAURINE
Tu compares le sexe à la peine de mort ?
ALICE
Non, je compare ton imbécilité à celle d’un aristocrate du dix-huitième siècle.
LAURINE vexée
Tu es désagréable.
ALICE
Non, je suis désespérée.
Silence.
Très bien, vous voulez que je m’habille, je vais m’habiller.
Alice sort, laissant Laurine seule.
LAURINE
Désespérée ?
Elle est pensive.
Désespérée…
Son verre dans la main, elle s’approche de la fenêtre.
C’est vrai qu’il fait un temps de chien. Le vent commence à se lever.
Etourdie, soudainement malade, elle oscille et s’assoit sur un siège pour se reposer, la tête entre les mains.
Annotations