Scène 3

5 minutes de lecture

Thomas entre sur scène, des pizzas dans les mains. Il les pose sur la table.

THOMAS

Tiens, bonjour !

Laurine le salue de la main.

Tout va bien ?

LAURINE

Pas vraiment. Je ne sais pas ce que j’ai.

THOMAS

Pour une étudiante en médecine, c’est un peu ridicule.

LAURINE

J’ai dû attraper la grippe.

THOMAS

T’as bien choisi ton jour !

LAURINE

Et bien, je n’embrasserais pas, c’est pas grave.

THOMAS

Ah non, c’est insensé, la soirée n’aurait plus aucun intérêt.

LAURINE

Quoi ? C’est une orgie, Thomas !

THOMAS

C’est avant tout une libération, une romance que l’on va construire à plusieurs, une façon de briser les barrières de la pudeur entre nous, pas seulement la réalisation d’un fantasme d’adolescents ! Si on ne s’embrasse pas, il n’y aura que le sexe, et alors tout cela n’aura plus aucune signification !

LAURINE

Elle a raison Alice. En fait, t’es chiant.

THOMAS

Elle a dit ça ?

LAURINE

Faut pas lui en vouloir, elle avait l’air trop sincère pour être dans son état normal.

THOMAS

Où est-ce qu’elle est maintenant ?

LAURINE

Partie s’habiller je crois.

THOMAS

Vraiment ? Je pensais qu’elle voulait rester en sous-vêtement !

LAURINE

Oui, moi aussi je suis déçue.

THOMAS

Vous avez commencé à boire ?

LAURINE

Non, j’ai commencé à boire. Tu peux me passer mon verre ?

THOMAS

Tu es malade.

LAURINE

Justement, ça fera passer la nausée.

Thomas passe son verre à Laurine et s’assoit à ses côtés.

J’ai demandé des médicaments, Alice n’a pas voulu m’en donner.

THOMAS

Il y a un cadenas sur l’armoire à pharmacie, je peux aller t’en chercher si tu veux.

Il s’apprête à se lever mais Laurine le retient.

LAURINE

Non, reste là, près de moi.

Elle glisse une main sur sa cuisse.

LAURINE

C’est étrange, cette soirée. Ce soudain désir de sexe, cette invitation obscène, ça doit cacher quelque chose de pervers, non ?

THOMAS gêné

Oh, heu… C’est plutôt de la curiosité et de l’enrichissement intellectuel…

LAURINE

Intellectuel, exactement… Le sexe, c’est très intellectuel… Tu as raison…

THOMAS

Il faut connaître, penser, visualiser…

LAURINE

Ressentir ?

THOMAS

Oui, aussi…

LAURINE

Tu veux me ressentir ?

Thomas se lève vivement et s’éloigne en prenant les pizzas pour les poser autre part.

THOMAS

Il n’est pas encore vingt-et-heure !

LAURINE outrée

C’est ridicule ! Comme s’il y avait une heure pour le sexe !

THOMAS

Ce soir, il y en a une ! Imagine un peu si les autres venaient pendant que…

LAURINE

Pendant que ?

THOMAS

Oh, tu sais très bien ce que je veux dire.

LAURINE

Oui, bien sûr, alors pourquoi est-ce que tu ne le dis pas ?

Thomas reste silencieux.

C’est fou, toi aussi tu as peur !

THOMAS

Laurine, allons !

LAURINE

Derrière une pseudo-curiosité, tu joues à la roulette russe avec ton petit cœur. Tu lances un train en pleine vitesse mais tu as peur de savoir où il va atterrir. Et au fond, c’est assez minable.

THOMAS

Je ne te permets pas !

LAURINE

Thomas, ne te vexe pas, je dis ça sans aucune méchanceté. C’est assez minable d’organiser une orgie lorsqu’on est aussi paniqué du pénis, c’est tout. Il n’y a pas à avoir honte.

THOMAS

Mais je n’ai pas honte, je… Je suis juste… Enfin, tu sais, c’est nouveau pour tout le monde ! C’est toi qui es étrange !

LAURINE

Allons bon…

THOMAS

Tu es tellement sûre de toi !

LAURINE

Non, je suis sûre de vous…

THOMAS

Comment ça ?

LAURINE

Je vous fais confiance, c’est pour ça que je n’ai pas peur, moi. Si je suis là ce soir, c’est parce que j’ai envie de vous montrer que oui, je crois en vous, et que je sais que vous ne me ferez pas mal, que vous ferez attention à moi. Je n’ai pas peur parce que je sais que je ne cours aucun risque.

THOMAS

Non, tu as bu, c’est tout.

LAURINE

Tu te trompes. Si je suis là ce soir, c’est que je vous aime, tout simplement.

Silence.

Et toi ?

THOMAS

Quoi, moi ?

LAURINE

Tu nous aimes ?

THOMAS

J’aime Alice, ça me suffit.

LAURINE

Et nous ?

THOMAS

Et bien vous… Vous… Je vous aime bien, c’est tout.

LAURINE

C’est fou comme un seul mot peut changer le sens d’une phrase ! Alice, tu l’aimes. Nous, tu nous aimes seulement bien. C’est presque insultant.

THOMAS

Laurine, je ne peux pas dire que je t’aime autant qu’Alice, ça n’aurait aucun sens.

LAURINE

Ah ? Pourtant, personnellement, je t’aime autant qu’Alice.

THOMAS

Mais ça n’a rien à voir !

LAURINE

D’ailleurs, tu t’apprêtes à coucher avec elle, avec moi, avec tous les autres. Alors, quelle différence ?

THOMAS

Mais bien sûr qu’il y a une différence !

LAURINE

Oh, peut-être qu’elle, tu vas la baiser, alors que nous, tu vas seulement nous baiser « bien » !

THOMAS

Tu joues sur les mots ! Tu sais bien ce que je veux dire, je parle d’amour.

LAURINE en se levant

L’amour ? Mais qu’est-ce que tu pourrais connaître de l’amour, à part ce qu’on t’en a appris ? Pour toi, l’amour est unique, aveugle, immortel et intemporel. Mais ce n’est pas de l’amour ça, Thomas, c’est de la démence. Elle marque une pause. Ou de la bêtise.

THOMAS

Alors je suis fou. Ou idiot. Mais arrêtes de dire que tu nous aimes, c’est un mensonge, et je n’aime pas ça.

LAURINE

Pourquoi est-ce que tu ne pourrais pas y croire ? Oui, j’aime plusieurs personnes. Je vous aime passionnément, sans ambiguïté, sans espoir, sans injustice. Je vous aime tous totalement, et je suis persuadée que c’est le meilleur amour que je n’ai jamais connu.

THOMAS

Et c’est moi qui suis fou ?

LAURINE

Je n’ai jamais dit que je ne l’étais pas.

Silence. Thomas se dirige vers l’ordinateur.

THOMAS nerveux

J’avais dit à Alice de mettre de la musique.

Il met de la musique et s’occupe des pizzas en les mettant dans la cuisine. Il sort des flutes à champagne. Laurine se rassoit.

LAURINE

Qui est sensé venir ce soir ?

THOMAS

Adrien, bien évidemment.

LAURINE

Il serait gonflé de ne pas venir, c’est lui qui a organisé cette soirée.

THOMAS

Non, c’est lui qui l’a réclamée, c’est moi qui ai tout organisé, c’est différent.

LAURINE

Valentin vient ?

THOMAS

J’espère bien, j’ai pris un mois à le convaincre.

LAURINE

De quoi a t-il peur ?

THOMAS

De lui-même, très certainement.

LAURINE

Je vois que tes études en psychologie te sont utiles, impressionnant !

THOMAS ignorant la remarque d’un haussement d’épaule

Du coup, il a accepté de venir à condition de pouvoir être accompagné.

LAURINE

C’était prévisible, il n’avait pas envie de s’ennuyer.

THOMAS

Ah ?

LAURINE

Il est homosexuel, Thomas. Qu’est-ce qu’il pourrait bien faire au milieu de deux couples hétéros ?

THOMAS

Tenir l’appareil photo ?

LAURINE rieuse

T’es con. Elle fait une pause. Franchement, tu pourrais coucher avec Valentin, toi ?

THOMAS

Oui, je pense. Tu sais, à partir du moment où je peux coucher avec toi…

L’interphone sonne.

LAURINE

Connard !

Thomas va décrocher.

THOMAS

Oui ? Oui, sixième étage, à droite.

Il raccroche.

C’était Adrien, il avait l’air enthousiaste.

LAURINE

Sans blague.

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