Scène 4

7 minutes de lecture

Quelqu’un frappe à la porte, Thomas s’empresse d’ouvrir et Laurine se lève. Adrien apparait, un sac à la main.

THOMAS

Salut !

ADRIEN

Combien tu payes ton loyer pour avoir un ascenseur en panne ?

THOMAS

Assez pour pouvoir faire des orgies chez moi alors arrête de te plaindre.

Thomas se pousse et laisse Adrien entrer, suivi d’Anna. Cette dernière est habillée de manière provocante, Thomas et Laurine la regarde d’un air étonné. Adrien, lui, examine l’endroit.

ADRIEN

Et binh ! Tu as un appart pareil et tu nous y invite seulement pour baiser ?

LAURINE en regardant Anna

Finalement, Alice avait raison, c’est pas une orgie, c’est une partouze.

THOMAS sèchement

C’est quoi ça ?

ADRIEN

Oh, c’est une bouteille de vodka et quelques…

THOMAS

Je ne parlais pas de ça.

ADRIEN

Oh, ça ? C’est une amie, Lana…

ANNA

Anna, en fait.

ADRIEN

Comme tu veux.

THOMAS

C’est une soirée entre amis, Adrien.

ADRIEN

Justement, c’est mon amie !

THOMAS

Certes, mais ce n’est pas la nôtre.

ANNA

Très bien, heureuse de faire votre connaissance !

THOMAS

Désolé, rien de personnel.

ANNA

Oh, ouais, bien sûr.

THOMAS

Mais si vous pouviez partir…

LAURINE

Tu ne vas quand même pas la mettre dehors, l’ascenseur est en panne !

THOMAS ironique

Eh bien, c’est sûr que c’est un argument qui fait réfléchir !

ANNA

Si je gène, je peux m’en aller, c’est pas grave.

LAURINE

Tu ne gènes personne !

THOMAS

Elle a raison, y a aucun problème, mais quand même…

LAURINE

Tu ne dis rien, Adrien ?

ADRIEN

Que veux-tu que je dise ?

LAURINE

C’est ton amie, non ?

ADRIEN

Ouai, mais vous aussi. Donc démerdez-vous.

THOMAS

Adrien, ou l’étonnante faculté de créer des problèmes mais de ne jamais les régler…

ANNA

Non, je vais partir, ça vaut mieux. J’ai été bête d’accepter.

LAURINE

Oh, pour ça, t’inquiète pas, on a tous été bêtes d’accepter. Mais reste au moins boire un coup. Il n’est pas encore vingt-et-une heure de toute façon !

THOMAS

Bien. Si ce n’est qu’un coup à boire. Adrien, vient m’aider à déboucher des bouteilles.

Anna va s’assoir à côté de Laurine sur le canapé alors qu’Adrien accompagne Thomas dans la cuisine, à l’écart.

ADRIEN

Elle est pas mal en plus !

THOMAS agacé

Je crois que tu n’as pas très bien compris ce qui va se passer ce soir.

ADRIEN rieur

La fin du monde ?

THOMAS

Du monde entier, peut-être pas, mais du nôtre, certainement. C’est dangereux ce qu’on est en train de faire. J’ai tout organisé de la manière la plus saine possible, et tu viens tout foutre en l’air !

ADRIEN

Tu ne dramatises pas un peu là ?

THOMAS

Non, c’est toi qui es inconscient. On n’est pas en train de jouer à la poupée, Adrien. Ce sont des vraies personnes. Et si on les casse, on ne peut pas les remplacer.

ADRIEN

D’accord, tu fais de belles métaphores, mais c’est incompréhensible.

THOMAS

Ce que je veux dire, c’est que le sexe, c’est important. Nous sommes un groupe d’amis génial, mais il peut suffire d’un orgasme pour tout détruire. D’un orgasme, ou d’une inconnue. Tu as l’air de prendre ça comme une énorme farce, mais si tu continues à te foutre de notre sexe, tu peux être sûr que c’est la dernière soirée qu’on passe tous ensemble

ADRIEN

Et le plaisir alors ? Quand est-ce qu’on l’assume, notre plaisir ? Parce que c’est bien beau, tout ce charabia sur la délicatesse à avoir sur les sentiments, les désirs, les liens sociaux, mais tout ce qu’on veut ce soir, c’est seulement jouir, non ?

THOMAS

Tu ne comprends vraiment pas.

ADRIEN

Non, c’est toi qui ne veux pas comprendre. Tu fuis tes propres désirs en te réfugiant derrière un discours horriblement sérieux, tu préfères étudier ceux qui t’entourent plutôt de t’y confronter. Mais à la fin, tu ne fais que te mentir.

THOMAS

Ne dis pas ça, tu sais que je hais le mensonge.

ADRIEN

Oui, seulement chez les autres. En attendant, je sais pourquoi tu as voulu mettre Lana dehors…

THOMAS

Elle s’appelle Anna, Adrien.

ADRIEN

C’est parce qu’elle te plait. Dès la première seconde où tu l’as vue, ton cerveau l’a détestée mais ton entrejambe l’a désirée, et t’en as honte !

THOMAS

Peut-être, et alors ?

ADRIEN

Alors couche avec elle !

THOMAS

C’est insensé, je ne la connais même pas !

ADRIEN

Ça n’a jamais freiné personne.

THOMAS

Et ensuite ?

ADRIEN

Quoi ensuite ?

THOMAS

Je peux enfin la foutre à la porte ?

ADRIEN

Oui, si tu veux !

THOMAS en s’emportant

Tu vois, c’est ce que je disais ! On dirait un enfant avec ses jouets : tu les trimballes à droite, à gauche, tu en fais ce que tu veux, puis tu les laisses brisés au fond de ton jardin. Tu prends, tu jettes. Tu reprends, puis tu rejettes. Mais moi je refuse de faire les poubelles de l’amour !

ADRIEN

Thomas, arrête ton hypocrisie intellectuelle ! C’est comme ça que marche le monde : on prend, on jette, puis on recycle. On coupe du bois, puis on le jette au feu. On achète un blouson, puis on l’abandonne dans notre armoire. A peine avons-nous fini de manger que notre repas finit aux toilettes. Rien n’est fait pour durer, que ça soit amis, amours ou amants. Nous aussi, on finit par nous jeter au feu. Alors pourquoi avoir des scrupules ? Pourquoi se flageller, s’enfermer dans des ceintures de chasteté, si ce n’est que pour soulager notre bonne conscience ?

THOMAS

Il ne s’agit pas de punition mais de respect ! Nous sommes amis, tu ne peux pas nous traiter comme une de tes aventures d’un soir dont tu ne connais même pas le prénom ! Tu ne peux pas te permettre de nous utiliser comme ça, avec comme seule justification le fait que tu assumes pleinement d’être un connard !

ADRIEN en restant calme

Et toi ? Qu’est-ce qui te fait penser que tu peux dicter nos choix de vie avec comme seule justification le fait que tu confondes ton orgueil avec de l’intelligence ?

THOMAS énervé

Franchement, Adrien, sache que s’il arrive quoi que ce soit de mauvais à l’issue de cette soirée, t’auras des comptes à nous rendre.

Pendant ce temps, Anna s’est assise avec Laurine sur le canapé. Elle n’arrête pas de toucher à son portable.

LAURINE

Alors comme ça, tu es amie avec Adrien ?

ANNA

Si c’est ce qu’il dit.

LAURINE

Et quand est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

ANNA

Il y a deux heures.

LAURINE

Wow, il devait avoir de bons arguments pour que tu retrouves ici, finalement.

ANNA

Pour le coup, il a été très convaincant !

Elle s’occupe de son téléphone puis le pose à côté d’elle.

Désolée si je t’ai parue impolie mais je devais répondre à quelques messages importants.

LAURINE

Pas de problème.

Le vent souffle dehors, la pluie commence à tomber, le tonnerre résonne. Laurine tourne la tête vers la fenêtre.

Il commence à pleuvoir, il parait qu’une tempête se prépare.

ANNA

Le soir de cette orgie ? C’est plutôt beau comme coïncidence.

LAURINE

Tu trouves ?

ANNA

Oui, une tempête extérieure pour répondre à une tempête intérieure. Une tempête de foudre pour une tempête de passion.

LAURINE

Je ne te pensais pas aussi poétique.

Silence.

ANNA

Mais du coup, nous sommes chez ce garçon, c’est bien ça ?

LAURINE

Oui, et il y a aussi sa petite amie partie s’habiller.

ANNA

Ah ? Pourquoi faire ?

LAURINE rieuse

C’est sûr que toi, tu ne t’es pas donnée cette peine.

ANNA

J’ai arrêté de m’habiller quand j’ai compris que les vêtements étaient là pour nous emprisonner. S’il fait chaud, à quoi bon enfermer nos corps dans des mètres de tissu ?

LAURINE

Il ne fait pas vraiment chaud ce soir.

ANNA

Ce n’était qu’un exemple.

LAURINE

Et tu n’as pas peur d’être vulgaire ?

ANNA

Non, au contraire, j’adore la vulgarité ! C’est l’essence même du désir ! Qu’est-ce que c’est que ce sexe délicat dont vous me parlez ? « Partie fine », comme s’il y avait quelque chose de fin dans la baise ! L’érotisme est une vaste fumisterie, seule la pornographie est sincère.

LAURINE

Et le charme ?

ANNA

Le charme, comme tu dis, c’est recouvrir un morceau de viande de miel. Ca le rend plus sucré mais ça reste un tas de chair encore saignant. Et le sexe, c’est exactement ça : de la viande écorchée, encore fraîche, presque vive, palpitante.

LAURINE

Je ne t’ai pas prévenue mais j’ai un peu envie de vomir, donc si tu pouvais éviter ce genre de description…

ANNA

Moi, je ne trouve pas ça désagréable. Je veux dire, le sexe, ça tâche, ça coule, ça dégouline, mais quel serait son intérêt si ça n’avait été le cas ? Il faut se rendre à l’évidence : le sexe est sale, et c’est pour ça qu’on l’aime.

LAURINE

J’ose pas imaginer l’état de l’appartement après cette soirée, alors.

ANNA

Après, peut-être que vous allez effectivement faire une « partie fine » tout en retenue et élégance, mais putain, qu’est-ce que ça va être chiant !

LAURINE

Je suis chiante alors ?

ANNA

Oh, non, tu es charmante.

LAURINE

Donc je suis le miel qui recouvre le morceau de viande ?

ANNA

J’adore le miel. Bien plus que la viande.

Dans une pulsion, Laurine embrasse Anna.

LAURINE

Ca y est, je crois que je t’aime.

ANNA déroutée et un peu amusée

On ne se connait pas !

LAURINE

Justement.

Le téléphone d’Anna résonne.

ANNA

Désolée.

Elle décroche et va s’isoler. Thomas et Adrien viennent avec les coupes de champagne dans le salon.

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