Scène 5
Alice réapparait dans le fond de la pièce. Elle est toujours en sous-vêtement, mais ces derniers sont plus élégants et elle porte des bijoux. Elle est maquillée, coiffée. Tous la regardent avec surprise.
ALICE
Thomas, qui sont tous ces gens ?
ADRIEN en l’examinant du regard
Ca va vraiment être une belle soirée.
THOMAS gêné
Et bien… Hum… Ce sont mes amis, tu les connais déjà normalement. C’est, tu sais… Enfin, c’est… Et merde, Alice, qu’est-ce que c’est que ces vêtements ?
LAURINE
Il va falloir redéfinir le verbe s’habiller.
ALICE
Mes vêtements, c’est mon corps. C’est une orgie après tout, et tu voulais que je sois à l’aise, alors autant l’être dans la simplicité.
THOMAS
Mais il n’est pas encore vingt-et-une heure, Alice !
ALICE
Et alors ? On ne parle pas de sexe, seulement de nudité ! Tu sais, quand j’étais seule, loin de vous, loin de cette fenêtre, je me suis regardée dans le miroir de la salle de bain. J’ai vu ma peau, j’ai vu mes hanches, j’ai vu tout ce que je n’avais jamais vraiment vu, et je n’étais plus moi-même.
THOMAS
Arrête tes conneries, tu essayes juste de me provoquer.
ALICE
Vous m’avez transformée. Ce soir, je ne serais plus Alice, je serais de la chaire tendre prête à être dévorée, un bouquet de dentelles noires prêtes à être démêlées, rien de plus, rien de moins. Je serais un corps, un simple corps, comme vous l’avez voulu.
ADRIEN
Moi, ça me va.
THOMAS
Tu as juste besoin de prendre ton médicament
ALICE
Arrête avec tes médicaments, Thomas. Vous voulez briser toutes les conventions, vous voulez foutre en l’air la morale. Et toi, tu viens me faire chier avec des médicaments ? Si j’ai besoin de pilules, alors le monde entier en a besoin !
LAURINE
Thomas, je pense qu’elle va très bien, elle a juste besoin d’un verre.
THOMAS
C’est une mauvaise idée.
ADRIEN
Mec, t’as acheté dix bouteilles de champagne, il va bien falloir les boire !
ALICE
Oui Thomas, ça serait dommage de gâcher.
Thomas, froid, ne dit rien. Il laisse Adrien servir des coupes de champagnes alors que chacun s’installe sur des sièges, plus ou moins proches, encore timides. Anna apparait.
ANNA
Je suis vraiment désolée, c’était important et…
Elle voit Alice.
Oh, qui est-ce ?
ADRIEN
Un simple corps, apparemment.
THOMAS
Alice, ma petite amie.
ALICE
Je peux me présenter seule.
Alice se lève et s’avance vers Anna.
Alice, petite amie pour les uns, grand fantasme pour les autres.
ANNA
Enchantée.
Anna lui tend sa main mais Alice l’embrasse.
ALICE
De même.
THOMAS
Je sens que ça va être l’anarchie totale.
ADRIEN
Tant mieux, c’est ce dont on a besoin !
LAURINE
Thomas, tu croyais vraiment que cette soirée allait se dérouler dans l’ordre et le calme ? Il s’agit de sexe, pas de science.
ANNA
On peut se servir en champagne ?
Elle n’attend pas de réponse et se sert. Elle tend une coupe à Laurine.
LAURINE
Non, je vais rester au vin, j’ai encore un peu mal au ventre.
Alice se rapproche de la fenêtre pour s’allumer une cigarette.
ALICE
C’est fou, cette histoire de tempête.
ADRIEN
Oui, ils prévoient pas mal de dégâts.
ALICE
Moi aussi.
ANNA
On ne devrait pas fermer cette fenêtre alors ?
ALICE
Non, que la tempête vienne et rase tout sur son passage. C’est Adrien qui l’a dit, on a besoin d’anarchie ici.
THOMAS
Si seulement on m’avait prévenu que vous étiez fous !
ALICE
Ah, pour moi, t’étais au courant.
ADRIEN
Quand est-ce que Valentin est censé arriver ?
THOMAS
Je ne sais pas. Peut-être qu’il a renoncé à venir, avec ce temps.
LAURINE moqueuse
Tu penses vraiment que c’est le temps qui lui fait peur ?
ALICE
De quoi peut bien avoir peur Valentin !
THOMAS
De lui-même.
ADRIEN
Je n’en suis pas si sûr !
ANNA
Qui est Valentin ?
ALICE
Un ami, il est écrivain.
LAURINE
Moi, il m’effraye.
THOMAS
Ah ?
LAURINE
Est-ce que tu as déjà regardé ses yeux ?
ADRIEN
Ils sont magnifiques.
LAURINE
Ils sont affolants plutôt ! Dès que son regard se plonge dans le vôtre, c’est fini : vous voilà nu et sans arme, tout à fait dévoilé. Il lit en vous, il vous connait, vous comprend. Instantanément, il pense à votre place, il ressent à votre place, c’est une horreur !
ALICE
Ça s’appelle de l’empathie, Laurine.
THOMAS
Ou de l’autodestruction, plutôt.
LAURINE
Mais est-ce qu’il demande notre consentement ? Est-ce que moi, j’ai besoin de son empathie ?
ADRIEN
Toi non, mais lui, oui.
THOMAS
De toute façon, il ne viendra certainement pas, alors pourquoi en parler ?
ANNA
Pour fuir le sexe.
THOMAS
Il n’est pas encore…
ALICE
…vingt-et-une heure, on sait…
Une horloge sonne.
ADRIEN
Maintenant, si…
Silence.
LAURINE
Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on est censés se déshabiller ?
ALICE
Pour le coup, j’ai déjà commencé !
Long silence gêné. Anna éclate de rire.
THOMAS
Qu’est-ce qui se passe ?
ANNA
Je suis désolé, ce n’est pas contre vous. C’est juste que je vous trouve tellement minables !
ADRIEN ironique
C’est sûr que je ne me sens pas du tout insulté, pour le coup !
ALICE
Elle a raison, on est ridicules.
THOMAS
L’idée était ridicule.
ADRIEN
L’idée était merveilleuse, la soirée l’est un peu moins.
ANNA
Vous avez voulu jouer aux sauvages, mais vous n’arrivez même pas à supporter une femme en sous-vêtements.
LAURINE
Personnellement, ça ne me dérange pas.
THOMAS
Mais ce n’est pas une femme, c’est Alice !
ALICE
Tiens donc ? Au risque de te surprendre Thomas, je n’ai jamais été aussi femme que maintenant. Quelqu’un veut une cigarette ?
LAURINE
Toujours.
Laurine se lève et rejoint Alice à la fenêtre pour fumer.
THOMAS
Tu sais très bien ce que je voulais dire. A nos yeux… - Il se reprend – A mes yeux, tu n’es pas une femme, tu es une âme, un cœur. Tu es inviolable.
ADRIEN
Donc une femme n’est pas inviolable, c’est bon à savoir.
ALICE
Laisse, il est malade.
THOMAS
Alice, lequel de nous deux est le plus malade ?
ALICE
D’accord, et lequel de nous deux est le plus amoureux ?
Thomas ne répond pas.
LAURINE
Vous savez, j’ai toujours eu peur de confondre une crise cardiaque avec un coup de foudre.
ADRIEN
Ça serait une mort heureuse.
ANNA ennuyée
Eh bien, je ne savais pas que j’allais prendre part à un colloque philosophique. Et quand est-ce qu’on baise ?
ADRIEN
Tu es si pressée ?
ANNA
Le temps, c’est de l’argent.
THOMAS
Et cet argent m’a servi à acheter de l’alcool, alors buvons, ça nous aidera.
LAURINE à Alice
Tu as le droit de fumer ?
ALICE
Non, c’est pour ça que je le fais.
LAURINE
Et c’est pour quoi, ces médicaments ?
ALICE
J’en ai eu besoin après mon séjour.
LAURINE
Oh, où est-ce que tu es partie ?
ALICE
En hôpital psychiatrique.
LAURINE mal à l’aise
Ah, c’est pour ça qu’on ne te voyait plus !
THOMAS
Tu as l’air très au courant pour une femme amoureuse, Laurine.
LAURINE
Je ne savais pas, je suis vraiment désolée. Tu ne m’avais rien dit Thomas, en même temps !
THOMAS
Tu ne m’as jamais rien demandé !
ALICE
Ça va, on s’en fout !
ANNA
Ah ça, je confirme, on s’en fout !
ADRIEN
Ne dit pas ça Anna, c’est important.
ANNA
Pour vous, peut-être. Moi je suis venu pour jouir, pas pour pleurer.
ALICE
Elle a raison, ça ne sert à rien d’avoir pitié.
Alice prend un verre de champagne. Anna s’ennuie.
Si je commence à vous faire pitié, alors vous finirez par avoir de la pitié pour n’importe qui, y compris vous-même.
LAURINE
Peut-être qu’on le mériterait.
ALICE
Bien sûr que vous le méritez. Tout le monde fait pitié, et c’est pour ça qu’il ne faut pas y faire attention, sinon c’est la folie qui nous attend.
THOMAS
Toi, elle ne t’a pas vraiment attendu.
ALICE
Parce que tu crois qu’elle est si loin ? Pour vous, la démence est comme la foudre, elle ne frappe que les maisons isolées, mais le monde entier est déjà complétement fou. Réfléchissez à ce qu’on s’apprête à faire : quelle différence entre le sexe et la folie ? Sortir de son corps, devenir quelqu’un d’autre, mélanger fantasme et réalité, obéir à ses pulsions et oser l’inacceptable : ne sommes-nous pas tous timbrés le temps d’un orgasme ?
ANNA
Et puis merde !
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