Scène 5

6 minutes de lecture

Alice réapparait dans le fond de la pièce. Elle est toujours en sous-vêtement, mais ces derniers sont plus élégants et elle porte des bijoux. Elle est maquillée, coiffée. Tous la regardent avec surprise.

ALICE

Thomas, qui sont tous ces gens ?

ADRIEN en l’examinant du regard

Ca va vraiment être une belle soirée.

THOMAS gêné

Et bien… Hum… Ce sont mes amis, tu les connais déjà normalement. C’est, tu sais… Enfin, c’est… Et merde, Alice, qu’est-ce que c’est que ces vêtements ?

LAURINE

Il va falloir redéfinir le verbe s’habiller.

ALICE

Mes vêtements, c’est mon corps. C’est une orgie après tout, et tu voulais que je sois à l’aise, alors autant l’être dans la simplicité.

THOMAS

Mais il n’est pas encore vingt-et-une heure, Alice !

ALICE

Et alors ? On ne parle pas de sexe, seulement de nudité ! Tu sais, quand j’étais seule, loin de vous, loin de cette fenêtre, je me suis regardée dans le miroir de la salle de bain. J’ai vu ma peau, j’ai vu mes hanches, j’ai vu tout ce que je n’avais jamais vraiment vu, et je n’étais plus moi-même.

THOMAS

Arrête tes conneries, tu essayes juste de me provoquer.

ALICE

Vous m’avez transformée. Ce soir, je ne serais plus Alice, je serais de la chaire tendre prête à être dévorée, un bouquet de dentelles noires prêtes à être démêlées, rien de plus, rien de moins. Je serais un corps, un simple corps, comme vous l’avez voulu.

ADRIEN

Moi, ça me va.

THOMAS

Tu as juste besoin de prendre ton médicament

ALICE

Arrête avec tes médicaments, Thomas. Vous voulez briser toutes les conventions, vous voulez foutre en l’air la morale. Et toi, tu viens me faire chier avec des médicaments ? Si j’ai besoin de pilules, alors le monde entier en a besoin !

LAURINE

Thomas, je pense qu’elle va très bien, elle a juste besoin d’un verre.

THOMAS

C’est une mauvaise idée.

ADRIEN

Mec, t’as acheté dix bouteilles de champagne, il va bien falloir les boire !

ALICE

Oui Thomas, ça serait dommage de gâcher.

Thomas, froid, ne dit rien. Il laisse Adrien servir des coupes de champagnes alors que chacun s’installe sur des sièges, plus ou moins proches, encore timides. Anna apparait.

ANNA

Je suis vraiment désolée, c’était important et…

Elle voit Alice.

Oh, qui est-ce ?

ADRIEN

Un simple corps, apparemment.

THOMAS

Alice, ma petite amie.

ALICE

Je peux me présenter seule.

Alice se lève et s’avance vers Anna.

Alice, petite amie pour les uns, grand fantasme pour les autres.

ANNA

Enchantée.

Anna lui tend sa main mais Alice l’embrasse.

ALICE

De même.

THOMAS

Je sens que ça va être l’anarchie totale.

ADRIEN

Tant mieux, c’est ce dont on a besoin !

LAURINE

Thomas, tu croyais vraiment que cette soirée allait se dérouler dans l’ordre et le calme ? Il s’agit de sexe, pas de science.

ANNA

On peut se servir en champagne ?

Elle n’attend pas de réponse et se sert. Elle tend une coupe à Laurine.

LAURINE

Non, je vais rester au vin, j’ai encore un peu mal au ventre.

Alice se rapproche de la fenêtre pour s’allumer une cigarette.

ALICE

C’est fou, cette histoire de tempête.

ADRIEN

Oui, ils prévoient pas mal de dégâts.

ALICE

Moi aussi.

ANNA

On ne devrait pas fermer cette fenêtre alors ?

ALICE

Non, que la tempête vienne et rase tout sur son passage. C’est Adrien qui l’a dit, on a besoin d’anarchie ici.

THOMAS

Si seulement on m’avait prévenu que vous étiez fous !

ALICE

Ah, pour moi, t’étais au courant.

ADRIEN

Quand est-ce que Valentin est censé arriver ?

THOMAS

Je ne sais pas. Peut-être qu’il a renoncé à venir, avec ce temps.

LAURINE moqueuse

Tu penses vraiment que c’est le temps qui lui fait peur ?

ALICE

De quoi peut bien avoir peur Valentin !

THOMAS

De lui-même.

ADRIEN

Je n’en suis pas si sûr !

ANNA

Qui est Valentin ?

ALICE

Un ami, il est écrivain.

LAURINE

Moi, il m’effraye.

THOMAS

Ah ?

LAURINE

Est-ce que tu as déjà regardé ses yeux ?

ADRIEN

Ils sont magnifiques.

LAURINE

Ils sont affolants plutôt ! Dès que son regard se plonge dans le vôtre, c’est fini : vous voilà nu et sans arme, tout à fait dévoilé. Il lit en vous, il vous connait, vous comprend. Instantanément, il pense à votre place, il ressent à votre place, c’est une horreur !

ALICE

Ça s’appelle de l’empathie, Laurine.

THOMAS

Ou de l’autodestruction, plutôt.

LAURINE

Mais est-ce qu’il demande notre consentement ? Est-ce que moi, j’ai besoin de son empathie ?

ADRIEN

Toi non, mais lui, oui.

THOMAS

De toute façon, il ne viendra certainement pas, alors pourquoi en parler ?

ANNA

Pour fuir le sexe.

THOMAS

Il n’est pas encore…

ALICE

…vingt-et-une heure, on sait…

Une horloge sonne.

ADRIEN

Maintenant, si…

Silence.

LAURINE

Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on est censés se déshabiller ?

ALICE

Pour le coup, j’ai déjà commencé !

Long silence gêné. Anna éclate de rire.

THOMAS

Qu’est-ce qui se passe ?

ANNA

Je suis désolé, ce n’est pas contre vous. C’est juste que je vous trouve tellement minables !

ADRIEN ironique

C’est sûr que je ne me sens pas du tout insulté, pour le coup !

ALICE

Elle a raison, on est ridicules.

THOMAS

L’idée était ridicule.

ADRIEN

L’idée était merveilleuse, la soirée l’est un peu moins.

ANNA

Vous avez voulu jouer aux sauvages, mais vous n’arrivez même pas à supporter une femme en sous-vêtements.

LAURINE

Personnellement, ça ne me dérange pas.

THOMAS

Mais ce n’est pas une femme, c’est Alice !

ALICE

Tiens donc ? Au risque de te surprendre Thomas, je n’ai jamais été aussi femme que maintenant. Quelqu’un veut une cigarette ?

LAURINE

Toujours.

Laurine se lève et rejoint Alice à la fenêtre pour fumer.

THOMAS

Tu sais très bien ce que je voulais dire. A nos yeux… - Il se reprend – A mes yeux, tu n’es pas une femme, tu es une âme, un cœur. Tu es inviolable.

ADRIEN

Donc une femme n’est pas inviolable, c’est bon à savoir.

ALICE

Laisse, il est malade.

THOMAS

Alice, lequel de nous deux est le plus malade ?

ALICE

D’accord, et lequel de nous deux est le plus amoureux ?

Thomas ne répond pas.

LAURINE

Vous savez, j’ai toujours eu peur de confondre une crise cardiaque avec un coup de foudre.

ADRIEN

Ça serait une mort heureuse.

ANNA ennuyée

Eh bien, je ne savais pas que j’allais prendre part à un colloque philosophique. Et quand est-ce qu’on baise ?

ADRIEN

Tu es si pressée ?

ANNA

Le temps, c’est de l’argent.

THOMAS

Et cet argent m’a servi à acheter de l’alcool, alors buvons, ça nous aidera.

LAURINE à Alice

Tu as le droit de fumer ?

ALICE

Non, c’est pour ça que je le fais.

LAURINE

Et c’est pour quoi, ces médicaments ?

ALICE

J’en ai eu besoin après mon séjour.

LAURINE

Oh, où est-ce que tu es partie ?

ALICE

En hôpital psychiatrique.

LAURINE mal à l’aise

Ah, c’est pour ça qu’on ne te voyait plus !

THOMAS

Tu as l’air très au courant pour une femme amoureuse, Laurine.

LAURINE

Je ne savais pas, je suis vraiment désolée. Tu ne m’avais rien dit Thomas, en même temps !

THOMAS

Tu ne m’as jamais rien demandé !

ALICE

Ça va, on s’en fout !

ANNA

Ah ça, je confirme, on s’en fout !

ADRIEN

Ne dit pas ça Anna, c’est important.

ANNA

Pour vous, peut-être. Moi je suis venu pour jouir, pas pour pleurer.

ALICE

Elle a raison, ça ne sert à rien d’avoir pitié.

Alice prend un verre de champagne. Anna s’ennuie.

Si je commence à vous faire pitié, alors vous finirez par avoir de la pitié pour n’importe qui, y compris vous-même.

LAURINE

Peut-être qu’on le mériterait.

ALICE

Bien sûr que vous le méritez. Tout le monde fait pitié, et c’est pour ça qu’il ne faut pas y faire attention, sinon c’est la folie qui nous attend.

THOMAS

Toi, elle ne t’a pas vraiment attendu.

ALICE

Parce que tu crois qu’elle est si loin ? Pour vous, la démence est comme la foudre, elle ne frappe que les maisons isolées, mais le monde entier est déjà complétement fou. Réfléchissez à ce qu’on s’apprête à faire : quelle différence entre le sexe et la folie ? Sortir de son corps, devenir quelqu’un d’autre, mélanger fantasme et réalité, obéir à ses pulsions et oser l’inacceptable : ne sommes-nous pas tous timbrés le temps d’un orgasme ?

ANNA

Et puis merde !

Annotations

Vous aimez lire Bastien Gral ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0